The Re-Invention Four

Etes-vous prêt ?

Le désir de réinvention concerne pratiquement tout le monde. De la petite chenille à Cindy Sander, de la rock-star bowienne à la plus madonnesque, à ta mère s’essayant à une nouvelle coupe de cheveux. Tout le monde veut changer, du moins évoluer. Cela probablement afin de justifier le temps qui passe, de regarder un jour une photo de soi sans trop s’y reconnaître et de pouvoir dire : « C’était moi. »

Pourtant la réinvention reste pour la plupart un fantasme. Comme le chante Céline – la Canadienne, pas l’antisémite – : « On ne change pas. » On reste à vie cette « petite fille ». Ou – pour un peu moins de la population mondiale – un petit garçon. (Afin de nous faciliter la tâche, nous exclurons dans ce billet l’analyse du cas de Josiane de Secret Story 4.)

Pour autant, n’allez pas penser que je sois pessimiste. Nous avons tous en effet la possibilité d’évoluer, de placer de nouvelles briques sur notre chemin ou de dynamiter des rochers ; seulement, dés notre plus jeune âge la plupart des pierres sont déjà posées. Prenons pas exemple mon cas – comme c’est étrange, vous ne vous attendiez pas à cela : dés mon plus jeune âge j’ai cherché à me réinventer. Un jour boxer, le lendemain cuisinier, un après-midi prince arabe, le lendemain Tortue Ninja des gentils quartiers : j’ai passé mon enfance à me déguiser. Comme tous les enfants du monde entier ? Continuons. A l’adolescence j’ai cherché à perdre du poids (12 kilos en 9 mois), ai insisté pour porter des lentilles, ai abandonné la raie sur le côté – que j’ai depuis ironiquement réadoptée -, ai fustigé les habits choisis par Maman… Comme tous les ados à cet âge ? Hum, continuons également.

Magali m’a fait remarquer l’année dernière qu’a priori mes trois principaux postes de dépenses sont :

  1. les sorties,
  2. les voyages,
  3. les déguisements.

Une trentaine de paires de lunettes, une dizaine de montres, des nœuds papillon à la volée, des masques et des accessoires à n’en plus finir, une visière chinoise, un kilt polémique, un pantalon de gaucho argentin, une cravate à paillettes, la combinaison de Kick-Ass, de quoi se teindre les cheveux en bleu, se tatouer la nuque et bien plus encore pour faire de moi l’élégant ou le vulgaire, le sublime ou le sommaire, selon mon humeur mais selon surtout trois principes :

  1. le ridicule ne tue pas,
  2. nous sommes là pour nous amuser,
  3. et là également pour nous façonner des souvenirs.

C’est pour cela qu’inconsciemment je m’entoure d’amis qui partagent ces mêmes valeurs. Regardez Clotilde rembourrée de coussins le pinceau à la main : n’est-elle pas une hilarante Valérie Damidot ? Et Florian en voilette, une Lady Gaga parfaite ? Et Arnaud en gladiateur ? Et Coralie en Dorothée sans Toto ? Et Romain en canard ? Et Thibaut en Katerine ? Et Alex et Matoo en Catwoman/Batman ? Je pourrais noircir des cahiers en énumérant les déguiguis de mes amis tellement j’ai participé à des soirées costumées dans ma vie. Stations de métro, Lettre V, Party de Campagne, Jungle Party, Imaginarium, Oscars, Peignoirs et Champagne, Mini-shorts et Champagne… Et bien entendu Le Style Avant Tout pour mes 30 ans, où les participants devaient venir dans leur plus belle tenue, celle dans laquelle ils se sentaient les plus à l’aise, celle dans laquelle ils se sentaient les plus beaux. Car qu’importent nos déguisements, ils ne sont pas là pour nous embellir : beaux les gens qu’on aime le sont déjà.

Pour cela qu’importe finalement ma tenue ou si je porte parfois des couleurs flashy pour me motiver, car ce n’est finalement que par mes actions que je peux me réinventer. « C’est lorsque tu as un coup dur que tu es le meilleur » me disait Florian l’autre jour et il avait bien raison. En deux semaines, j’ai booké plusieurs trains et hôtels, fixé une date pour l’opération de mes yeux, programmé mes vacances au Pérou (« Tû tû tû tû !!!« ), écrit, écrit, sorti, sorti, vu presque tous mes amis les plus proches, listé les coordonnées des éditeurs à contacter, entassé les vêtements d’hiver à donner, trié mes livres, chassé des bibelots, acheté un paillasson stylé… Énumérer, énumérer, là aussi je pourrai noircir des pages non pour me vanter mais pour construire, me construire, car il est bien question de cela. Les bâtons dans les roues ou – comme dirait Afida – « les arbres dans les bâtons » ne me font plus chuter. Je me sens de plus en plus fort, je ne ressens plus le besoin de me réinventer, ma personnalité est faite, elle est dessinée. Ca y est, je peux l’écrire enfin : je suis prêt.

Planning d’un chômeur

Je me levais tous les matins à 8h30. Qu’importait ce que j’avais fait la veille au soir, il fallait l’assumer. Je me levais, urinais, allumais la chaîne et me préparais le petit-déjeuner. C’était l’époque où je buvais du jus de carotte pour avoir bon teint ; je l’ai depuis troqué contre la confiance en soi ça me va aussi bien. En checkant mes mails, j’effaçais les newsletters auxquelles j’étais abonnées ; c’était l’époque où Cécile de Rostand était ma BFF. Je n’avais pas encore de compte Facebook et Twitter : je vous parle d’un temps que les moins de 15 ans ne peuvent pas connaître. C’est à cela que mes réveils de chômeur ressemblaient en 2005.

Je me connectais rapidement aux sites de l’IRMA, de l’ANPE, Cadremploi, Monster, Profilculture, Talents.fr. Je ne connaissais pas encore celui de la BALE : le site qui m’offrirait en août 2007 mon premier C.D.I. Je postulais et postulais, j’envoyais et envoyais, souvent en étant sur-qualifié pour les postes proposés. C’est ainsi qu’à Bac +5 je suis devenu secrétaire dans une maison d’édition pendant deux jours ; jusqu’à ce que je craque face à des connasses qui se moquaient de moi en me pointant du doigt lors d’un transport de cartons de livres jusqu’au sixième étage sans ascenseur. Il n’y a pas de sot métier mais il y a de sots collègues. J’en ai pleuré de cette humiliation, Place Carrée du  Forum des Halles au téléphone avec mon père. J’en ai pleuré les yeux plein de colère. J’avais oublié tout cela ; il est bon que je m’en souvienne parfois.

Il fallait envoyer tôt son CV pour figurer parmi les premiers. Chaque offre à laquelle je postulais obtenant plusieurs centaines de candidatures, envoyer une lettre de motivation à J+1 était comme adresser aux truies de la confiture. Un coup pour rien de plus à l’être de démotivation.

« Tu fais quoi dans la vie ? », « Tu es sur des pistes en ce moment ? », « Tu ne serais pas un peu trop exigeant ? », « Mais tu cherches vraiment ? ». Non : c’est toi qui me cherches vraiment. Le pire étant atteint le jour où Mickaël brillant et séduisant généticien polyglotte option Japonais ayant obtenu 19,5/20 de moyenne au baccalauréat me déclara : « Je ne peux pas être avec quelqu’un qui n’a pas d’emploi. » Comme Precious t’as la tête dans la boue, bah on continue quand même à marcher sur toi ! Pourtant, à même le sol il fallait continuer à se tenir le dos droit.

http://www.youtube.com/watch?v=3UeJD031qRc

Ainsi se déroulaient mes matinées, « Hung Up » ou « Ma philosophie » dans la playlist du commis chômeur DJ. Cela jusqu’à 12h30, 13h30 les jours de grandes envolées. Si le vendredi matin je n’y arrivais pas, je reportais sans hésiter au lundi suivant. Pour les travailleurs, le dimanche matin n’existe pas ; pour les chômeurs, c’est le vendredi matin qui le remplace de ce pas. Et lorsque les autres jours je n’y arrivais pas du tout, je m’octroyais des candidatures récrés. Maisons de disques, distributeurs ciné ou musées, je mandatais auprès de ceux pour qui mes chances approchaient du zéro parfait. Car il fallait que je me laisse des fenêtres ouvertes pour rêver, car il fallait que je puisse ensuite postuler pour des jobs nausées. Et même si en ces instants de désespoir je souhaitais plus que tout au monde un gentil garçon pour m’épauler, je prenais également conscience que tout ce que j’avais fait de bien jusqu’alors tout seul je l’avais opéré. En 2005, j’avais besoin de cette crasse, de cette parenthèse solitaire, de ce merdier pour me réaliser : la plus extraordinaire des mandragores naît dans le plus abject des fumiers.

Le reste de la journée était free : amis aux déjeuners, piscines, musées, cinés les après-midis – et éventuellement des entretiens, jamais programmés le matin – et en soirées apéros, dîners et rencards foireux. Je devais continuer à me changer les idées sans culpabiliser, pour me sentir à l’aise dans mes baskets Zara et transpirer le bien-être lors des entretiens que je passais. M’amuser faisait partie du plan, m’amuser me permettrait de dénicher le job rêvé.

Pendant  deux ans la mécanique a bien été huilée, entrecoupée certes de boulots plus ou moins adaptés. Mais la mécanique m’a permis de me construire, de produire, de me fortifier, d’avancer, me permettant également de m’atteler à ce qui deviendrait mon deuxième roman non publié (celui que je m’apprête à imprimer cette semaine : d’abord chez Copy-Top pour aux éditeurs l’envoyer). Ce que je regrette tout de même aujourd’hui c’est de ne pas avoir été plus ouvert aux autres, de ne pas avoir plus exprimé mes doutes auprès de mes amis, de ma famille, de ne pas avoir plus profité de mon réseau. Car j’ai bien évidemment fini par trouver par moi-même un emploi pour lesquels beaucoup tueraient tuteur et belle-mère : à force de se blinder, on devient bulldozer, on se découvre des forces inimaginées. Mais ne les aurais-je pas découvertes en moitié moins de temps si je ne m’étais laissé aider ? Très probablement. Il n’y a pas besoin de se retrouver le nez dans la crasse pour savoir que l’on peut tout seul s’en hisser : il y a assez de mains fortes autour de nous qui ne demandent qu’à nous relever.

Aujourd’hui, je me lève tous les matins aux alentours de 8h30. Qu’importe ce que j’ai fait la veille au soir, je l’assume pour aller travailler.

J’assume ce que je fais, j’assume ce que je suis, plus attentif aux mains qui se tendent, grâce à elles je peux avancer.

Le Parfait

Ce qui est curieux dans cette histoire, c’est qu’il lira ces mots.

Lui, c’est le Parfait. Le garçon parfait. Je l’ai toujours qualifié de la sorte quand on me demandait comment il était : « Comment est-il ?

– Il est parfait.

– Et bien, pour que toi tu dises cela de quelqu’un… »

Oui, c’est qu’il me plaisait vraiment bien.

Il était tellement parfait qu’il n’a pas compris ce soir que je le qualifie de la sorte. Il était modeste, donc parfait le Parfait. Et moi, qui est objectivement subjectif pour le qualifier de parfait, je suis l’Imparfait. Mais à nous deux ça me semblait tellement plus que parfait.

« Tu es plutôt bon pour écrire dans ces moments », m’a dit Florian au téléphone. « Tu ne veux pas passer boire des bières, t’es sûr ? ». Oui, j’en suis sûr. Je veux faire quelque chose de parfait avec cette imperfection. Comme le cancer de Gabriel Elkaïm à l’origine de « La guerre est déclarée », je veux faire de quelque chose qui me peine quelque chose de parfait. Maintenant ma plume est lancée.

Je savais que les mots m’apaiseraient, je ne pleure déjà plus. Il fallait que je pense à mes phrases sur le chemin du retour pour sentir mes larmes s’assécher.

Sachant que le Parfait lisait ce blog, j’ai passé le dernier mois à retenir mes mots. Bien que presque toujours moi-même face à lui (c’est pour cela que je me sentais si bien en sa compagnie), je ne pouvais pas être totalement moi ici. C’est difficile d’écrire tout ce que l’on ressent lorsque celui qui est censé nous découvrir lentement peut découvrir beaucoup de nous en un instant. Mais je lui ai tout de même laissé parcourir les pages, les notes de 2008, les billets d’antan, je me disais : « Il lit celui que j’étais avant, il ne lit pas celui que je suis maintenant. » Je me disais surtout que j’avais confiance en lui, que je le savais intelligent, et qu’il m’avait dit une des plus belles choses qui soit : « Je ne te reprocherai jamais d’être toi-même. »

Je suis assez fier de la tournure que prend ce texte, je commence à entrevoir une beauté sous la tristesse. Et pourtant, dés que j’abandonnerai le clavier, il est évident que mes yeux s’embueront comme avant. C’est que je le trouvais vraiment parfait le Parfait. Il était beau si vous saviez. Il aurait pu être objectivement – je pleure mais continue, je verrai plus tard si je supprime cette remarque, je préfère avancer – laid, je m’en fichais : pour moi, il était beau. Je ne l’ai jamais trouvé laid sur une seule photo, alors que tout le monde sait qu’on est laid sur au moins une photo. Et puis il était gentil, gentleman, attentionné, costaud, sexy, câlin, dynamique, drôle, généreux, il sentait si bon, j’appréciais même de l’entendre ronfler : pour lui j’aurais fait tellement de choses… Tellement de choses parce qu’il – je m’arrête un temps – m’a accepté comme je suis. Vous savez comme moi que c’est un de nos plus grands combats – voire même le plus grand – que celui contre soi. Celui qui nous pousse tous les jours à ne pas nous détester, à nous apprécier nous-mêmes avec nos défauts et nos défauts ; car nos défauts sont souvent nos qualités. Prenons le Parfait : il mangeait des trucs bizarres au petit-déjeuner – je ne dirais pas lesquels, je ne veux pas qu’il se fasse griller – pour moi c’était une de ses particularités qui le rendait parfait. Tout comme – je pleure…

Je ne vais pas continuer à énumérer, cela me fait mal, cela ne me fait pas avancer. Ce que je devrais dire pour pouvoir avancer c’est que – comme ce texte est vain finalement, je me sens si triste…

(5 minutes plus tard.)

Il m’a entendu pleurer dans le couloir dés que la porte s’est refermée (je raconte ma vie comme Sophie Calle, je me trouve si impudique souvent) : m’a-t-il entendu ?

C’est pour cela que je ne veux pas m’attacher d’habitude, cela me fait tellement de mal. C’est pareil pour tout le monde me direz-vous ? Oui, mais il me semble que pour moi un chouilla plus que pour certains. (Ce qui vient, j’ai voulu l’écrire ces dernières semaines, mais je ne voulais pas choquer le Parfait.) A. je l’aimais quand elle partie. Je l’aimais quand je l’ai prise dans mes bras et que j’ai posé mes lèvres sur les siennes. Je l’aimais quand elle s’est éteinte pendant notre bouche-à-bouche. Ce que j’aimais m’a été pris brutalement alors que j’allais avoir 15 ans. Comme Louis Garrel dans « Les chansons d’amour » : pourquoi croyez-vous que ce film me touche autant ? Pendant les 15 années suivantes, je me suis alors comporté comme ce personnage de « Magnolia », Claudia qui dit « Now that I’ve met you, would you object to never seeing me again? »

Car là, avec lui, pour une fois, je retirais mes armures une par une pour n’être que moi-même. Je voulais m’ouvrir à quelque chose de nouveau, à la confiance, au respect : je voulais m’ouvrir à lui. La difficulté dans les prochains temps va donc consister à continuer à retirer mes armures, quitte à souffrir de nouveau comme ce soir : car sinon je resterai toujours un guerrier, et jamais je ne deviendrai un chevalier.

J’aurais d’ailleurs adoré qu’en chevalier il m’accompagne à la table des témoins au mariage de Laurène et Thibaut ce 18 mai. Non pas pour parader, ni pour me considérer comme socialement acceptée en tant que couple au sein d’un événement sociétal, mais pour signifier à mes amis lors de la célébration de l’amour éternelle que « oui, moi aussi, je crois en l’amour ». J’aurais tant aimé aimer ce jour-là. Mais je sais maintenant qu’il ne faudra pas compter sur moi ce jour-là pour cet amour-là. Comme avant, il faudra compter sur moi pour distraire, faire rire, aimer mes amis comme je le fais déjà. C’est déjà sûrement beaucoup ; il faut que je me concentre sur ce point-là.

Voilà, s’il a lu ce billet jusqu’au bout – il l’aura forcément fait si j’ai osé cliquer sur « Publier », j’hésite encore à le faire, j’ai ma part de pudeur, il ne faut pas l’oublier – je devrais en profiter pour lui dire encore deux-trois choses :

– J’espère que tu as réussi à manger la religieuse au café. Jette celle au chocolat, mais essaye au moins de croquer celle au café, c’est tout de même ton dessert préféré.

– Je voulais t’acheter ce soir le DVD d’Almodovar que tu voulais, puis des croissants pour le petit-déjeuner. Mais sur le trottoir en venant j’y ai renoncé, sentant la discussion tant redoutée doucement s’avancer (et puis je me suis rappelé que ça ne servait à rien de t’acheter des croissants, tu manges des choses vraiment trop bizarres au petit-déjeuner !).

– S’il y a une chose que je t’ai caché me concernant c’est que… je n’ai pas mon permis. Je vais bientôt m’inscrire dans une auto-école, je ne veux plus jamais avoir à éprouver cette gêne aux côtés de quelqu’un.

– Ce que je t’ai dit à la fin était vrai, et je suis certain de ne jamais le regretter. Sache-le.

– Enfin, si tu souhaites que par respect je supprime ce billet, je le ferai.

Comme hier soir je voyais un peu les choses arriver avec le Parfait, je n’ai pas commencé à écrire un billet. Je voulais en effet en écrire un qui s’intitulait « Le poissard le plus veinard de la Terre ». Ca parlait de moi – bien évidemment – et de notre discussion d’hier avec Laetitia qui dans l’avion de Barcelone me disait « On ne se rend pas compte de la chance qu’on a », et à qui j’ai répondu en toute franchise « Tu te trompes : je me le dis souvent. »

Ce soir, cette expression me concernant – « Le poissard le plus veinard de la Terre » – se doit d’avoir autant de sens qu’hier. Je me sens mal, attristé, réellement peiné, mais je continue à penser au fond de moi – même si c’est en cet instant un peu difficile – que j’ai une chance extraordinaire et que je connaîtrai encore de nombreux bonheurs. Oui, je reste intimement convaincu que ma vie sera toujours parfaite, et cela même si je dois la vivre sans le Parfait.

Alors maintenant, musique !

Le bras de Lady Gaga

Le monsieur à mes côtés avait la polyarthrite rhumatoïde. Du moins imaginais-je cela en regardant ses doigts. Déformés, inapprivoisés, comme des ronces sauvages que seule une lame pourrait dompter. Un Edith Piaf anonyme dans la salle des brancards. Sa quatrième opération m’expliqua-t-il, charlotte sur la tête. Je récitais sagement « fracture du métacarpien 4 », charlotte en casquette. Forcément à côté de lui je n’avais rien, dans tous les cas ma fracture n’était rien, c’est le reste autour qui avait toujours été : comment cela s’était passé.

On a emmené une folle sur un brancard. « Ils vont me faire comme à Carla Bruni ! Hi hi ! » La porte s’est refermée sur elle et dans la salle des brancards personne n’a jamais compris. Ce fut ensuite mon tour d’être emmené en salle d’anesthésie. « Je croise les doigts pour vous ! Ah ah ! » Oui, le monsieur à la polyarthrite rhumatoïde m’a bien dit cela.

 

L’avantage de tomber sur un vieux docteur, c’est qu’avec l’expérience il y a moins de chances qu’il loupe son coup. Mais du coup, il est également moins probable qu’il soit patient avec ses clients, pardon ses patients. Aiguille sous l’aisselle. La sensation d’un courant électrique qui traverse tout le corps. Je crie – naturellement – plus par peur que par douleur. « Mais ça ne va pas de crier comme ça ? Vous vous croyez le seul en ville en quoi ? » La vexation. Croit-il vraiment que je l’ai fait exprès ce con ? Il doit redouter que je fasse flipper la dizaine de corps allongés attendant le bouclier de la douleur, c’est pourquoi il décide de m’infliger sa petite soeur. « Avec deux doses, il risque plus de nous faire chier celui-là ! »

Le gars à mes côtés dit qu’il voit les carreaux du plafond danser. je suis déçu : je ne vois ni collines ni grand Canyon ni éléphant rose voler. Il aurait peut-être dû m’en piquer une troisième l’homme masqué. Mais finalement opère le somnifère et mes iris se voilent d’une brume d’hiver. On me transporte dans la salle d’opération.

 

L’infirmier qui pousse le brancard est bien mignon. Je ne vois pas son visage, mais ses yeux sont bienveillants sous le masque ; à ce moment-là me suffit l’attention. Je le soupçonne d’être… Je n’en sais rien en fait. Il me serre le bras dans un caoutchouc marron, en bandes comme Madonna dans « Die Another Day ». J’évite de le lui faire remarquer, pour le coup je serais bien grillé. Le chirurgien lunnetté arrive, derrière son loup de nez, je le reconnais ; je l’ai déjà rencontré :

« Vous ne portez pas les mêmes lunettes que la dernière fois.

– Heu… Oui, c’est possible.

– C’est sûr même, parce que la dernière fois vous aviez les branches de lunettes violettes assorties à votre chemise. Je m’étais alors fait la remarque que c’était… Heu… Très élégant. »

Les infirmiers s’esclaffent, je dis tout haut ce qu’ils ne peuvent dire à leur taf. Le chirurgien soulève mon bras plastifié. Je lui dis : « On dirait le bras de Lady Gaga, hein ? » Ca y est : les infirmiers m’ont grillé. Tout en déballant le caoutchouc on me répond que « Oui, cette tenue-là elle ne l’a pas encore osée. » L’opération va maintenant commencer, je peux mettre mes écouteurs mais pas trop fort s’il vous plaît.

Une infirmière s’approche doucement de mon oreille : « Vous écoutez quoi ?

– De la merde. »

Le bloc des vivants est mort de rire.

« J’écoute Lady Gaga. Je m’étais préparé une playlist « Opération » avec du classique, du Philip Glass, de la Callas, mais finalement des trucs qui bougent c’est mieux pour oublier qu’on me charcute le bras. »

Le chirurgien m’explique alors qu’ils avaient une chaîne hifi au bloc mais qu’elle est cassée. Je lui réponds alors qu’on est bien d’accord mais dans « Nip/Tuck » leur chaîne n’a rien d’hygiénique et que dans la réalité ça ne pourrait pas passer. Il confirme. Il fait tomber une vis à terre, je lui dis que je vais me taire pour qu’il puisse se concentrer.

« Dance in the Dark » passe dans mon casque pendant qu’il utilise la visseuse électrique pour me rafistoler. Je pense à ceux que j’aime. Je sais bien que je ne vais pas mourir – je ne suis pas encore trop con, mais ça m’aide de penser à leur visage, ma famille, mes amis, ceux en qui je peux vraiment compter. D’ailleurs depuis ce jour de juin je ne cherche à voir que ces amis : ceux dont j’ai vu le visage pendant que je me faisais visser. La visseuse fait des chatouilles, je sens l’intérieur de mes os trembler. Ce n’est pas désagréable, une expérience nouvelle : puisqu’on me l’a imposée autant la savourer. Je suis un peu triste. Mais je souris. Et je chantonne aussi. Ca va, j’ai tous les droits : je suis surtout complètement drogué.

« Elle est quand même légèrement vêtue cette Lady Gaga », conclue le chirurgien en se faisant plaisir. Oui mais c’est peut-être pour ça qu’elle plaît : parce qu’extravagante elle sait nous faire sourire.

Je ne veux retenir que cela de ce mois de juin. Je veux oublier la douleur ossuaire intenable sitôt partie l’anesthésie de ma main. Oui, c’était vraiment une bien chouette opération : un travail d’équipe de médecins, de Gaga, de famille et d’amis à foison.

Un chien dans la valise (2/2)

« Lorsque j’ai raconté cette anecdote à mon père, il m’en a conté une bien pire : une histoire arrivée à des amis de mes grands-parents dans les années 60.

– Raconte.

– Bon. Ils avaient décidé d’aller se promener ce jour-là en Andorre avec leur fils et la mère de l’épouse. Le voyage en voiture était très tranquille, la grand-mère s’était même assoupie à l’arrière. Arrive alors la frontière et ses merveilles tabagiques, alcoolisées et surtout détaxées, lorsqu’ils remarquent qu’ils ont quand même vachement de mal à réveiller Mamie sur la banquette arrière.

– Non ?

– Si : Mamie avait clamsé à l’arrière de la caisse. Le truc c’est que je ne sais pas si vous savez, mais c’est très compliqué de transporter un corps d’un pays à un autre, il y a beaucoup de formalités à respecter, tu ne fais pas ce que tu veux. C’est pourquoi ils ont décidé à trois avec leur fils de conclure une sorte de pacte : celui de repasser la frontière dans l’autre sens en faisant croire aux douaniers que Mamie dormait à l’arrière. Donc là, ils passent la frontière dans un état de nerfs inimaginable, vous vous en doutez bien. L’épouse est toute tremblante – sa mère vient de décéder tout de même ! – mais tout se passe plutôt pas mal, et ils réussissent à passer la frontière les doigts dans le nez. Donc là, soulagement indescriptible : tout va bien, tout est rentré dans l’ordre, on va pouvoir rentrer tranquillement annoncer à tout le monde que Mamie est décédée. Oui mais voilà, soulagés comme ils étaient, ils se sont dits qu’ils pouvaient s’arrêter cinq minutes sur une aire d’autoroute pour un petit pipi. Et c’est là qu’ils ont commis une erreur fatale : ils ont abandonné 5 minutes Mamie dans la bagnole.

– Et ?

– Et la bagnole s’est faite voler.

– Non ?

– Si ! Dans la précipitation le voleur n’avait pas dû voir qu’il y avait quelqu’un à l’arrière de la voiture, et il s’est barré avec ! Mais le pire dans tout ça, c’est qu’ils n’ont jamais retrouvé la grand-mère.

– Mais c’est horrible ! A côté de ça l’histoire du chien c’est du pipi de chat !

– Carrément. Et puis surtout, ça montre bien ce qu’on savait déjà d’Icare.

– C’est à dire ?

– Que dans tous les cas, ce n’est jamais bien de voler.

Un chien dans la valise (1/2)

« Raconte-la.

– Non, raconte-la toi. Tu la racontes mieux que moi.

– Bon. Alors en fait elle avait promis d’aller garder le chien de ses voisins pendant qu’ils étaient en vacances. Genre une semaine. Le chien était un vieux chien, très malade, pour ça qu’il fallait particulièrement s’en occuper et dormir dans leur appartement. Donc ma copine avait décidé de passer la nuit chez eux et de dormir dans leur lit. Mais là au réveil – horreur – qu’est-ce qu’elle découvre ? Que le chien avait clamsé pendant la nuit. Là, au pied du lit, se trouvait un vieux gros chien mort. Du coup ma pote téléphone toute gênée à ses voisins pour leur apprendre la nouvelle. Ils sont forcément très tristes mais ils s’y attendaient. Comme dernière faveur, ils demandent à mon amie d’emmener le chien chez le vétérinaire dont il lui donne l’adresse. Cette dernière accepte bien entendu. Mais en raccrochant et en observant le lourd chien mort à ses pieds, une question la taraude : « Comment vais-je faire pour le transporter jusque chez le véto ? » C’est là qu’elle découvre une valise géante dans un placard et se dit « Bingo ! Je vais transporter le chien dans la valise ! »

– Enorme !

– Mais ma pote n’a pas trop de thunes, et puis ça la fait chier de payer un taxi pour un chien crevé, alors elle décide d’aller chez le véto en métro. La valise pèse un chien mort, elle galère pour la descendre dans les escaliers… C’est à ce moment-là qu’un type se propose de lui filer un coup de main et de porter la valise. Elle hésite – y’a quand même un cadavre de chien dans cette valise ! – mais finalement elle accepte avec plaisir. Le type tire la gueule en découvrant à quel point pèse cette connerie : « Mais vous avez mis quoi là-dedans ? Un cadavre ? » Hi hi, rires gênés. « Heu, c’est du matériel informatique. » Voilà, c’est bien ça : du matériel informatique. Si elle se met à raconter la vérité, c’est elle qu’on enverra piquer. Enfin sur le quai, plus que quelques mètres avant d’être libéré. Le métro arrive, et là tout va si vite qu’elle n’a pas le temps de le voir arriver : le mec la pousse dans le wagon, choppe la valise et court au loin sur le quai. Les portes se referment. Le type s’est fait la malle avec la valise. Oh non le con, il s’est barré avec le chien mort. Il a vraiment cru que la valise contenait du matériel informatique !

– C’est pas vrai ?

– Je te jure. Mais tu sais le pire là-dedans ?

– Parce qu’il y a pire qu’un gars qui vole une valise avec un chien mort dedans ?

– Oh que oui… »

Incipit aux confessions : I have a tale to tell

Je forme une entreprise en réouvrant ce blog : écrire des billets d’humeur, de courts textes qui reflèteraient mes envies, mes aspirations, mes rêves, mon quotidien et mes désillusions. Pas de grands projets ici, pas de textes écrits pour du long, pour de grands récits. Des posts post-anecdotiques, reflétant ce que je vis, ce que je sens dans mes jours que je veux poétiques.

Le problème est que j’avais oublié ce que ça fait, de se savoir lu par plusieurs, par beaucoup peut-être bien, par quelques-uns c’est certain. Je dois envisager leur lecture, leurs haussements de sourcils, leur jugement – forcément – même s’ils ne commentent pas, ne me le disent pas, gardent en leur dedans. Je dois côtoyer ce qu’ils pourraient aimer, apprécier ou détester carrément. Je vais devoir me mettre des gens à dos, accepter la critique, qu’ils ne comprennent pas la part de vrai, de faux dedans, de vérité, de fantasme, d’exaltation de mon jugement. Car si tout est vrai ici, tout peut-être exagéré, pour coller au plus près de la vérité ; car la vérité c’est forcément objectif à moins d’être platonicien, mais on se ferait un peu chier hein. Je demande donc à ceux qui me connaissent de ne pas me juger sévèrement si je les évoque ici. Je leur demande de me demander de plus amples renseignements aux sujets des textes qui les auront interpellés ici. Et plus particulièrement toi qui me découvres ici pour la première fois, plus particulièrement toi qui ne sais pas encore que je parlerai le plus souvent de toi lorsque je parlerai de moi.

C’est parti ? 1, 2…

Whitney Houston par Bret Easton Ellis

« C’est en 1985 que Whitney Houston a fait une apparition fracassante dans le paysage musical, avec l’album qui porte son nom, lequel comportait quatre titres premiers au hit-parade, dont The Greatest Love of All, You Give Good Love et Saving All My Love for You, et devait en outre remporter le Grammy Award de la meilleure performance vocale féminine pour les variétés, ainsi que deux American Music Awards, celui du meilleur album de Rythm and Blues, et celui de la meilleure vidéo de Rythm and Blues. De plus, les magazines Billboard et Rolling Stone la sacraient meilleure nouvelle chanteuse de l’année. Avec un tel battage publicitaire autour de cet album, on est en droit de s’attendre à le trouver décevant et terne mais Whitney Houston (Arista) se révèle un disque de Rythm and Blues étonnamment plein de chaleur, de finesse, somme toute un des plus satisfaisants de la décennie. Quant à la voix de Whitney, elle défie l’imagination. Il suffit de voir la photo de couverture (robe Giovanne De Maura) et celle, assez sexy, qui lui répond au verso (maillot de bain Norma Kamali) pour deviner que ce n’est pas là l’habituel filet d’eau tiède du professionnalisme ; certes, la musique est fluide, mais c’est un fluide intense, et la voix de Whitney se joue si bien des limites, avec une telle capacité d’adaptation (encore que Whitney demeure essentiellement une chanteuse de jazz), qu’il est difficile de s’imprégner de l’album à la première audition. Mais là n’est pas le but. C’est un disque à déguster, encore et encore. Les deux premiers morceaux, You Give Good Love et Thinkng About You, tous deux réalisés et arrangés par Kashif, bénéficient d’un arrangement jazzy, chaud et luxuriant, mais avec une rythmique contemporaine au synthé ; ce sont là deux très bonnes chansons, mais l’album ne décolle vraiment qu’avec Someonefor Me, réalisé par Germaine Jackson, que Whitney chante avec mélancolie sur un rythme disco-jazz très enlevé, créant ainsi un décalage extrêmement émouvant Saving All My Love for You est la ballade la plus sexy, la plus romantique de l’album. Elle bénéficie d’un fantastique solo de saxophone par Tom Scott, et l’influence des groupes vocaux féminins des années soixante y est perceptible (elle a été coécrite par Gerry Goffin), bien que ceux-ci n’aient jamais atteint un tel degré d’émotion ou de séduction (ni une telle qualité de son). Nobody Loves Me Like You Do, un fantastique duo avec Germaine Jackson (qui l’a également réalisé) n’est qu’un exemple de la qualité des chansons de cet album. La dernière chose dont il souffre est bien le manque de textes valables, ce qui arrive généralement quand une chanteuse n’écrit pas ses propres chansons et doit laisser son producteur les choisir pour elle. Mais Whitney et ses amis ont été heureusement inspirés. How Will I Know, à mon sens le meilleur morceau de danse des années quatre-vingt, évoque avec allégresse les tourments d’une fille qui ne sait pas si un garçon s’intéresse ou non à elle. Le riff au clavier est superbe, et c’est le seul titre de l’album qui soit réalisé par Narada Michael Walden, l’enfant prodige. La ballade que je préfère, personnellement (mis à part The Greatest Love of Ail, qui demeure au-dessus de tout), est All at Once, l’histoire d’une femme qui s’aperçoit soudain que son amant s’éloigne d’elle. L’arrangement des cordes y est magnifique. Rien dans l’album ne semble être du remplissage, à part, peut-être, Take Good Care of My Heart, un autre duo avec Germaine Jackson, qui s’éloigne des racines jazzy de l’album, et paraît trop influencé par la dance music des années quatre-vingt Cependant, nous retrouvons le talent de Whitney, plus grand que jamais, dans l’extraordinaire The Greatest Love of All, une des plus fortes, des meilleures chansons jamais écrites sur la dignité et le respect de soi-même. De la première à la dernière ligne (dues à Michael Masser et Linda Creed), c’est une ballade qui parle, de façon magistrale, de la foi en soi-même. C’est là une proclamation pleine d’intensité, que Whitney chante avec une noblesse qui confine au sublime. Son message universel dépasse toutes les frontières, pour instiller chez l’auditeur l’espoir qu’il n’est pas trop tard pour s’améliorer, pour être plus humain. Puisque, dans ce monde, il nous est impossible de nous ouvrir aux autres, nous pouvons toujours nous ouvrir à nous-même. C’est là un message important, essentiel en vérité, que ce disque nous transmet superbement. Son deuxième album, Whitney (Arista, 1987) comportait quatre chansons classées en tête des hitparades, / Wanna Dance with Somebody, So Emotional, Didn ‘t We Almost Have It All ?, et Where do Broken Hearts Go ? Il est essentiellement réalisé par Narada Michael Walden et, sans être de la qualité de Whitney Houston, il ne souffre aucunement de la fameuse baisse de régime des secondes œuvres. Il s’ouvre sur / Wanna Dance with Somebody (Who Loves Me), un morceau enlevé, dansant, dans la même veine que l’irrésistible How Will I Know de l’album précédent. Suit le sensuel Just the Lonely Talking Again, où apparaît la forte influence jazz qui imprégnait le premier album, et où l’auditeur peut déceler une nouvelle maturité dans l’interprétation de Whitney — qui a réalisé tous les arrangements vocaux de l’album. C’est très évident sur Love Will Save the Day, la chanson la plus ambitieuse que Whitney ait chantée jusqu’alors. Le producteur en est Jellybean Benitez. C’est un morceau rapide, énergique et, comme la plupart des chansons de l’album, il évoque, de manière adulte, la conscience de ce monde dans lequel nous vivons. Elle le chante, et nous sommes convaincus. Nous voilà loin de l’image tendre de petite fille perdue, si séduisante sur son premier album. Sa maturité est plus évidente encore avec Didn ‘t We Almost Have It All, produite par Michael Masser, qui évoque une rencontre avec un ex-amant, et les sentiments qu’inspire à présent cette histoire ancienne. Whitney nous en offre une interprétation suprêmement poétique. Comme la plupart des ballades, elle bénéficie d’un somptueux arrangement de cordes. So Emotional est dans le même esprit que How Will I Know et / Wanna Dance with Somebody, mais dans une veine encore plus rock soutenue, comme tous les titres de Whitney, par une fantastique rythmique de studio, avec Narada à la boîte à rythme, Walter Afanasieff au synthétiseur et à la basse-synthé, Corrado Rustici à la guitare-synthé, et un certain Bongo Bob à la boîte à perçus et au mixage batterie. Where You Are est la seule chanson de l’album réalisée par Kashif, et elle porte l’empreinte indélébile de son professionnalisme — un son luxueux, doux et éclatant à la fois, et un fameux solo de sax par Vincent Henry. Pour moi, c’était là un tube en soi (mais n’est-ce pas le cas de tous les titres de l’album ?), et je me demande pourquoi il n’est pas sorti séparément. Mais la vraie surprise de l’album demeure Love Is a Contact Sport — un morceau puissant, audacieux, sexy qui, sur le plan de la réalisation, constitue le noyau de l’album, avec des paroles excellentes et une rythmique de qualité. C’est l’un de mes préférés. Sur You’re Still My Man, on s’aperçoit à quel point la voix de Whitney est proche de l’instrument — un instrument parfait, chaud, qui ferait presque oublier la musique en soi, si les paroles et les mélodies n’avaient une singularité, une force qui empêchent une chanteuse, même de la qualité de Whitney, de les occulter. For the Love of You met en valeur le talent remarquable de Narada à la boîte à rythme, et son ambiance jazzy, très contemporaine, évoque non seulement les tenants du jazz moderne que sont par exemple Michael Jackson et Sade, mais aussi d’autres musiciens, tels Miles Davis, Paul Butterfield, ou Bobby McFerrin. Where Do Broken Hearts Go ? est le morceau le plus puissant de l’album, évoquant l’innocence perdue et le désir de retrouver la sécurité de l’enfance. La voix de Whitney est plus jolie, plus maîtrisée que jamais. Nous arrivons enfin à I Know Him so Well, le moment le plus émouvant du disque, car il s’agit, avant toute autre chose, d’un duo avec sa mère, Cissy. C’est une ballade qui évoque le souvenir d’un homme (Un amant partagé? Un père depuis longtemps disparu?) avec un mélange de désir, de regret, de force et de beauté qui conclut l’album sur une note délicate et parfaite. Nous attendons encore beaucoup de choses de Whitney (elle a fait une apparition bouleversante aux J.O. 1988, nous offrant un magnifique One Moment In Time), mais même si ce n’était pas le cas, elle demeurerait néanmoins l’une des voix noires les plus passionnantes et les plus originales de sa génération. »

 

American Psycho, Bret Easton Ellis.

Bret Easton Ellis est celui qui aura apporté à Whitney Houston la postérité.

Baisser le filet

C’est avec les écouteurs sur mes oreilles que je claque la porte. Elle résonne dans le couloir. Je ne l’entends pas mais la sens dans mon entonnoir. La chanteuse dans mes oreilles – une chanteuse forcément, je suis un homme-salsepareille, un Schtroumpf coquet  – me force à continuer, à continuer ce clip que dans ma tête j’ai commencé. Je danse. Je fais des gestes, je suis la star, et Bercy est là pour moi ce soir : « Bonsoaaaar Paris !! » crie-je dans Krishna qui me regarde à ce moment-là. Quelque part là-haut on doit bien se foutre de moi.
Puis clefs posées, c’est le même mouvement au loin vers l’aquarium bombé. Un regard furtif pour vérifier, pour se rassurer : les poissons flottent à la surface, se sont noyés ?

Il y eut H & M. Il y eut Jésus, Marie, Joseph. Puis il y eut Colin Farrell brièvement suivi d’Abercrombie & Fitch. Et aujourd’hui, il y a Meurthe, et puis Moselle.
Meurthe et Moselle, mes deux poissons rouges que je nourris à chaque matin – pas plus de 6 cristaux de bouffe, ça les étouffe , que je caresse de mes bons mots (« Comment ça va mes p’tits poissonnous ?? »). Mes p’tits poissons sont rouges de l’attention que je leur prête, mes golden fishes dorés dans une cage vitrifiée.
Ils ne flottent pas.
Mes petits poissons gambadent, s’ennuient forcément, mais ils tournent et retournent la situation jusqu’à oublier et s’extasier du beau rideau à leur côté. (« Et t’as vu ce salon ? Quelle taille ! Waouh ! ») Et ainsi de suite toute la journée jusqu’à attendre mon arrivée. (« Il arrive !! I danse encore, cet abruti… ») Et oui je danse et je m’oublie.
Mes petits poissons ne flottent pas.
Ils ne flottent pas à la surface à mon arrivée le soir après le boulot. Ils sont vivants, vivants encore jour après jour, ils sont bien là. Pas comme H, comme M, Jésus, Marie et Josépha, pas comme Colin et les Yankees, toujours sont là, sont bien en vie. Car les précédents ont mal joués, et rapidement se sont allés. A la surface se sont glissés, en surface toute satinée. C’est la vision de mes poissons au quotidien, à mon retour de la journée, no life dans mon appart’ non-Hausmannien : ceux que j’aime avec par-dessus le filet baissé.

C’est là la possibilité de m’interrompre, de couper court à mes belles journées, de découvrir au milieu de mon salon ou d’une chanson, un corps inanimé, foudroyé, rayé par un dieu pêcheur, Dieu raturier. C’est une peur – La Peur – que je dois contrôler. Ce n’est pas parce qu’une fois s’en est allée que tous mes proches doivent l’imiter. Mes proches vivront âgés, vivront très vieux, je ne vais pas les perdre en un clin d’oeil, en une giclée. Je vivrai vieux aussi et je jouerai un jour avec mes petits-neveux – voire peut-être plus – au jeu des petits poissons et du filet.

C’est bon les enfants, personne ne vous fera de mal… baissez le filet !! 🙂