La pompière de Saint-Fargeau

Je rentrais à trois heures du matin d’une soirée où j’avais pécho dégun. Je m’étais d’ailleurs dit : « A une soirée hétéro je fais tâche dans le lot. Parmi leurs jeux de séduction, j’ai bien l’air con dans leur salon. » Alors je me suis mis à charmer des filles, mais des mignonnes attention, c’est pas parce que je suis gracile que je ne sais pas détecter de moches cons. Etre pédé ça ne vous rend pas Sheila jolie, un peu plus sympa je veux bien merci.

Donc je rentrais de taxi d’Argentine – ça fait un peu cher la course je sais, quand le chauffeur m’a déposé à Saint-Fargeau sur la 3bis pour le métro. Cette ligne qui ne sert à rien, ce métro privé sans strapontin, sans affluence et Parisien, c’est mon métro à moi le mien. Et en plus il dessert la caserne des pompiers la plus moderne de la cité : des baies vitrés et des camions qui font rêver astiqués en plein soleil par des torses bombés. Par les joggeurs préférés de mon quartier, ceux qui me donnent le sourire lorsque je vais travailler. Ca c’est la caserne de mon pâté. Pâté de maisons ou de mon patelin, j’aime les pompiers de Fargeau-Saint.

Mais à trois heures c’est autre sport pour les sauveurs. C’est sport de rampe, c’est sport de crampe, c’est sport pour celle qui les écarte. Et un, et deux, à ton tour mon beau, la prostipute ouvre cuisses au Mont-Fargeau. Car en passant devant la caserne en pleine nuit, c’est deux pompiers qui raccompagnent la jolie. Jolie rousse un peu flétrie, vulgarisée jusqu’à l’ennui. Sa jupe est assez short pour ouvrir les portes du gros camion qui téléporte. Son manteau est transparent comme à Boubou, comme celles qu’on ramasse dans des cars à bout. C’est évident c’est une grognasse, putassière des masses militaires qui fait la passe. Passe de bras en mains et en claques : « J’embrasse pas, c’est toi qui raque. »
Pour moi c’est clair les pompiers à côté de chez moi s’envoient en l’air avec la fille de joie.

Et dans mon sang alcoolisé j’n’ai qu’une idée : la remplacer. Je l’envie, je veux être elle, je veux être cette putain officielle. Et non celle qui se tapie chez elle, dans les noirceurs des logiciels :
« slt tu ch ?
– un plan rapide, un septième ciel »

Je veux être elle car j’veux la beauté, j’veux tous ces beaux hommes esseulés, entre mes bras les rassurer. Mais j’oublie qu’elle, la sainte-maquerelle, n’a jamais voulu ouvrir son ciel. C’est juste la foudre qui la percée, la transpercée et retournée dans sa violence spontanée. Sa chienne de vie elle a bavé et c’est loin d’être terminé.

Alors je veux, je veux être elle, mais juste un temps pour voir son ciel ; la pompière de Fargeau-la Belle.

La petite voix

C’est AMLOC* qui m’a poussé à écrire ce billet. Il m’a envoyé un mail pour me demander quand est-ce que j’allais revenir. C’est le genre de mail qu’il faut m’envoyer.

Je n’ai pas arrêté d’écrire, j’ai toujours mon carnet sur les genoux dans le métro. Je suis juste sur un autre projet, plus grand, mais pas plus prometteur. Je ne promets rien en écrivant ce recueil de nouvelles, je ne promets pas qu’il plaira ou qu’il sera publié ; mes ambitions ont bien changé en dix ans.
Lorsque j’avais dix-huit ans et que j’avais déposé mon manuscrit à l’accueil de Gallimard je m’étais moqué de la nana derrière moi, « Les Feux de la Passion » : ridicule le nom de son roman. Moi j’avais un avantage sur elle : j’étais jeune. Oui mais je ne savais pas écrire. Je savais sentir, absorber le réel autour de moi, m’imprégner du vécu des inconnus, mais je ne savais pas le retranscrire. J’écrivais « navire » au lieu de « bateau » et mon écriture n’était pas sincère. Alors un jour j’ai écrit « Putain ! » au lieu de « Diantre ! » et c’en a été que meilleur : j’ai commencé à écrire comme je pensais. J’ai commencé à écrire ce que la petite voix dictait en moi.

Et la petite voix me dicte aujourd’hui de revenir doucement vers vous.
Merci AMLOChou.

* A Mysterious Lecteur Of Coquecigrue*

La possibilité d’un Il

« Je ne t’avais jamais vu comme ça. Tu buvais ses paroles et surtout, tu le regardais vraiment. Tu le regardais VRAIMENT. »

Lorsque Matoo m’en a parlé et qu’il a plaisanté en disant qu’il l’intégrerait dans un post, j’ai répondu avec une fausse humilité qu’il n’y aurait pas grand-chose à écrire dessus pour que lui-même me réponde qu’en effet ce serait limité. Nous anticipons les dialogues avec Mathieu ; nous nous connaissons bien nous deux.

Parce que lui comme moi savons que ces regards que j’ai eu envers ce garçon ont leur importance. Et bien que ce soit mort de chez mort lorsque j’apprends qu’il a un mec et qu’il vit avec depuis deux ans, il est rassurant de constater que j’arrive encore à m’intéresser à un garçon. A un seul.

« Rédhibitoire. » C’est un mot que j’ai appris à Isabel l’autre soir. Jeune Allemande aux traits furtadiens qui buvait elle aussi mes paroles entre ses fines lèvres. « Rédhibitoire c’est une chose sur laquelle tu ne peux pas passer outre. Comme la gourmette ou les chaussettes pendant l’amour. » La Chandler attitude qui te rend coupable un poireau sur le sourire du Prince Charmant. L’intransigeance ne fera jamais bon mariage avec l’amour.

Il avait l’air sain lorsque j’y repense. Lorsque j’y repense il avait l’air de ces garçons qui n’ont pas le même parfum que moi. Pas ce parfum de la centaine d’amants qui ont laissé sur ma peau ce nectar repoussant. Car sur le coup je n’ai pensé à rien ; j’ai juste écouté. Je n’ai pas cherché à impressionner, je n’ai pas cherché à réguler mon naturel, j’ai juste été en ce 21 juin. J’étais là en dehors du temps, de la nuit la plus courte et de la musique frénétique. Juste été avec quelqu’un, même si c’était pour de faux.
Et c’est qui m’a manqué pendant des années, être deux, même si on ne l’est que dans ma tête. Alors même si ça ne sera pas avec ce garçon, on va quand même essayer, on va essayer d’être heureux à deux.

Car tout seul je sais déjà faire.

Droit aux Buttes

J’aime croire que mon premier souvenir date des Buttes Chaumont.

Printemps 81, on assassine Reagan et Jean-Paul II mais ma mère décide de me sauver. Sa gynéco lui avait dit que je serai 21, que je serai mal en point, que je serai mongolien. Sa gynéco a eu tort et je suis venu fort. Je suis venu victoire et Victoire aurait été mon nom si je n’avais pas été garçon.
Sa gynéco est ma marraine.
Il y a des choses qui ne s’expliquent pas.

Printemps 81, mon grand-père filme ma mère. Et sur les bandes délavées les couleurs ont bien palis. Mais le sourire est radieux sous les cheveux roux, les branches des arbres sont évanescentes mais la joie palpable ; je suis dans son ventre, son ventre énorme qui lui cache les pieds. Aucune ombre au film.

Eté 08, je ne me sens pas bien, une angine à la con me fait tourner en rond. Je ressasse des pensées et reste à ruminer. La vache je suis drogué. Des heures à chatter, des heures intoxiquées à perdre mon temps, à le perdre vraiment. J’essaie de me dire que ce vide me restera : comme une force, comme un trait, comme une possibilité contre l’ennui. Et pourtant aujourd’hui je reste là sans rien faire. Ce texte pour témoigner, c’est peut-être assez.

Eté 08, je me rends Buttes Chaumont. Une évidence des jours trop cons. Une évidence de se rendre là si on considère mon avant-moi. Si ses promenades enlacées sont lovées comme j’étais bébé. Dans son ventre, ventre. Bercé, bercé.

Et soudain la pluie.
Et soudain avenue Michal, je m’aperçois qu’il est bien là, que je l’écoute comme je le sens et Elodie me chante doucement « Viens jusqu’à moi ». Mon iPod est bien ironique et le sourire attendu arrive. Là. Lentement. Sur mes lèvres, pendant longtemps.

Puisque le temps est subjectif, perdre son temps c’est p’têt’ un kif.