Le Parfait

Ce qui est curieux dans cette histoire, c’est qu’il lira ces mots.

Lui, c’est le Parfait. Le garçon parfait. Je l’ai toujours qualifié de la sorte quand on me demandait comment il était : « Comment est-il ?

– Il est parfait.

– Et bien, pour que toi tu dises cela de quelqu’un… »

Oui, c’est qu’il me plaisait vraiment bien.

Il était tellement parfait qu’il n’a pas compris ce soir que je le qualifie de la sorte. Il était modeste, donc parfait le Parfait. Et moi, qui est objectivement subjectif pour le qualifier de parfait, je suis l’Imparfait. Mais à nous deux ça me semblait tellement plus que parfait.

« Tu es plutôt bon pour écrire dans ces moments », m’a dit Florian au téléphone. « Tu ne veux pas passer boire des bières, t’es sûr ? ». Oui, j’en suis sûr. Je veux faire quelque chose de parfait avec cette imperfection. Comme le cancer de Gabriel Elkaïm à l’origine de « La guerre est déclarée », je veux faire de quelque chose qui me peine quelque chose de parfait. Maintenant ma plume est lancée.

Je savais que les mots m’apaiseraient, je ne pleure déjà plus. Il fallait que je pense à mes phrases sur le chemin du retour pour sentir mes larmes s’assécher.

Sachant que le Parfait lisait ce blog, j’ai passé le dernier mois à retenir mes mots. Bien que presque toujours moi-même face à lui (c’est pour cela que je me sentais si bien en sa compagnie), je ne pouvais pas être totalement moi ici. C’est difficile d’écrire tout ce que l’on ressent lorsque celui qui est censé nous découvrir lentement peut découvrir beaucoup de nous en un instant. Mais je lui ai tout de même laissé parcourir les pages, les notes de 2008, les billets d’antan, je me disais : « Il lit celui que j’étais avant, il ne lit pas celui que je suis maintenant. » Je me disais surtout que j’avais confiance en lui, que je le savais intelligent, et qu’il m’avait dit une des plus belles choses qui soit : « Je ne te reprocherai jamais d’être toi-même. »

Je suis assez fier de la tournure que prend ce texte, je commence à entrevoir une beauté sous la tristesse. Et pourtant, dés que j’abandonnerai le clavier, il est évident que mes yeux s’embueront comme avant. C’est que je le trouvais vraiment parfait le Parfait. Il était beau si vous saviez. Il aurait pu être objectivement – je pleure mais continue, je verrai plus tard si je supprime cette remarque, je préfère avancer – laid, je m’en fichais : pour moi, il était beau. Je ne l’ai jamais trouvé laid sur une seule photo, alors que tout le monde sait qu’on est laid sur au moins une photo. Et puis il était gentil, gentleman, attentionné, costaud, sexy, câlin, dynamique, drôle, généreux, il sentait si bon, j’appréciais même de l’entendre ronfler : pour lui j’aurais fait tellement de choses… Tellement de choses parce qu’il – je m’arrête un temps – m’a accepté comme je suis. Vous savez comme moi que c’est un de nos plus grands combats – voire même le plus grand – que celui contre soi. Celui qui nous pousse tous les jours à ne pas nous détester, à nous apprécier nous-mêmes avec nos défauts et nos défauts ; car nos défauts sont souvent nos qualités. Prenons le Parfait : il mangeait des trucs bizarres au petit-déjeuner – je ne dirais pas lesquels, je ne veux pas qu’il se fasse griller – pour moi c’était une de ses particularités qui le rendait parfait. Tout comme – je pleure…

Je ne vais pas continuer à énumérer, cela me fait mal, cela ne me fait pas avancer. Ce que je devrais dire pour pouvoir avancer c’est que – comme ce texte est vain finalement, je me sens si triste…

(5 minutes plus tard.)

Il m’a entendu pleurer dans le couloir dés que la porte s’est refermée (je raconte ma vie comme Sophie Calle, je me trouve si impudique souvent) : m’a-t-il entendu ?

C’est pour cela que je ne veux pas m’attacher d’habitude, cela me fait tellement de mal. C’est pareil pour tout le monde me direz-vous ? Oui, mais il me semble que pour moi un chouilla plus que pour certains. (Ce qui vient, j’ai voulu l’écrire ces dernières semaines, mais je ne voulais pas choquer le Parfait.) A. je l’aimais quand elle partie. Je l’aimais quand je l’ai prise dans mes bras et que j’ai posé mes lèvres sur les siennes. Je l’aimais quand elle s’est éteinte pendant notre bouche-à-bouche. Ce que j’aimais m’a été pris brutalement alors que j’allais avoir 15 ans. Comme Louis Garrel dans « Les chansons d’amour » : pourquoi croyez-vous que ce film me touche autant ? Pendant les 15 années suivantes, je me suis alors comporté comme ce personnage de « Magnolia », Claudia qui dit « Now that I’ve met you, would you object to never seeing me again? »

Car là, avec lui, pour une fois, je retirais mes armures une par une pour n’être que moi-même. Je voulais m’ouvrir à quelque chose de nouveau, à la confiance, au respect : je voulais m’ouvrir à lui. La difficulté dans les prochains temps va donc consister à continuer à retirer mes armures, quitte à souffrir de nouveau comme ce soir : car sinon je resterai toujours un guerrier, et jamais je ne deviendrai un chevalier.

J’aurais d’ailleurs adoré qu’en chevalier il m’accompagne à la table des témoins au mariage de Laurène et Thibaut ce 18 mai. Non pas pour parader, ni pour me considérer comme socialement acceptée en tant que couple au sein d’un événement sociétal, mais pour signifier à mes amis lors de la célébration de l’amour éternelle que « oui, moi aussi, je crois en l’amour ». J’aurais tant aimé aimer ce jour-là. Mais je sais maintenant qu’il ne faudra pas compter sur moi ce jour-là pour cet amour-là. Comme avant, il faudra compter sur moi pour distraire, faire rire, aimer mes amis comme je le fais déjà. C’est déjà sûrement beaucoup ; il faut que je me concentre sur ce point-là.

Voilà, s’il a lu ce billet jusqu’au bout – il l’aura forcément fait si j’ai osé cliquer sur « Publier », j’hésite encore à le faire, j’ai ma part de pudeur, il ne faut pas l’oublier – je devrais en profiter pour lui dire encore deux-trois choses :

– J’espère que tu as réussi à manger la religieuse au café. Jette celle au chocolat, mais essaye au moins de croquer celle au café, c’est tout de même ton dessert préféré.

– Je voulais t’acheter ce soir le DVD d’Almodovar que tu voulais, puis des croissants pour le petit-déjeuner. Mais sur le trottoir en venant j’y ai renoncé, sentant la discussion tant redoutée doucement s’avancer (et puis je me suis rappelé que ça ne servait à rien de t’acheter des croissants, tu manges des choses vraiment trop bizarres au petit-déjeuner !).

– S’il y a une chose que je t’ai caché me concernant c’est que… je n’ai pas mon permis. Je vais bientôt m’inscrire dans une auto-école, je ne veux plus jamais avoir à éprouver cette gêne aux côtés de quelqu’un.

– Ce que je t’ai dit à la fin était vrai, et je suis certain de ne jamais le regretter. Sache-le.

– Enfin, si tu souhaites que par respect je supprime ce billet, je le ferai.

Comme hier soir je voyais un peu les choses arriver avec le Parfait, je n’ai pas commencé à écrire un billet. Je voulais en effet en écrire un qui s’intitulait « Le poissard le plus veinard de la Terre ». Ca parlait de moi – bien évidemment – et de notre discussion d’hier avec Laetitia qui dans l’avion de Barcelone me disait « On ne se rend pas compte de la chance qu’on a », et à qui j’ai répondu en toute franchise « Tu te trompes : je me le dis souvent. »

Ce soir, cette expression me concernant – « Le poissard le plus veinard de la Terre » – se doit d’avoir autant de sens qu’hier. Je me sens mal, attristé, réellement peiné, mais je continue à penser au fond de moi – même si c’est en cet instant un peu difficile – que j’ai une chance extraordinaire et que je connaîtrai encore de nombreux bonheurs. Oui, je reste intimement convaincu que ma vie sera toujours parfaite, et cela même si je dois la vivre sans le Parfait.

Alors maintenant, musique !