La galanterie inversée

Elle a senti que je voulais m’asseoir. Comme une évidence. La galanterie inversée m’est insupportable mais là je n’avais pas le choix : je devais m’asseoir.

Qu’a-t-il bien pu pousser cette Japonaise sophistiquée à me céder sa place dans le métro ? D’habitude c’est moi le galant, d’habitude c’est moi le cédant. Et elle a même poussé le vice jusqu’à me poker. Les écouteurs et le stylo à la main, j’étais bien trop occupé à décrire une infusion d’eucalyptus pour l’entendre me héler : « Il y a une place de libre ! ». C’est le stylo dans ma main, c’est le papier en sous-main qui l’ont poussée à me réserver la place. Elle a du s’inquiéter du sort de cet homme qui écrivait penché dans le métro. Sans une barre à laquelle s’agripper, le stylo devenait une arme à chaque virage.

La Japonaise aime son Prochain et ce n’est pas l’amour de l’Art qui l’a poussée à me faire asseoir : c’est l’amour de son œil et de ceux de ses voisins.

100% de mon temps

Je me fous une pression, je me fous une pression de dingue à vous pondre des textes tous les jours.

J’y pense en marchant. En me promenant je recueille des impressions, je glane l’air frais et mets des mots dessus. Quel mot définirait le mieux cette légèreté que je ressens ou au contraire ce poids mort que je sous-tends ? Tout ça pendant des heures à l’obsession. Ressentir dans la solitude de mes promenades ne me suffit pas : je dois partager, être productif.

« T’as booké un graphiste ? », « On respecte pas le planning là », « Sur ce projet on fait trop peu de marge ». La journée je ne peux penser à mes récits, à mes bons mots et à ces petits bouts de papier. Mon temps de cerveau disponible est occupé par mon boulot ; ce qui est plutôt rassurant pour mes patrons.

En revanche j’y pense le soir en rentrant. Aussitôt rentré dans le métro, je cherche une place assise pour ne blesser personne avec mon stylo. Le cerveau en compote, je cherche encore à produire après dix heures de travail. Je ne m’arrête jamais. Car lorsque je m’arrête je meurs ; je déprime.

Lundi de Pâques, journée triste. Aucun métro, aucun doux mot. Aucune pression, aucun objectif. Le repos comme la petite mort. Ecrire me repose car me fait voyager, penser autrement, ordonner mes idées. Mettre des noms sur les belles choses n’est pas les étiqueter, ça permet de plus longtemps les aimer.

Alors oui je me mets la pression pour mes brouillons et oui j’en parle un peu plus que de raison. Mais si j’ai une passion c’est bien celle d’écrire, et elle mérite bien de s’y donner à fond.

Le refus du résumé

J’ai l’impression d’être un garçon bizarre. Je me donne peut-être trop d’importance en me disant ça. Je cherche peut-être à me démarquer là où il n’y a pas de raison d’être, mais je ne peux m’empêcher de le penser. Et cela se reflète dans ma façon d’aborder un garçon.

Un garçon que j’aurais facilement ne pourrait m’intéresser. Il faudrait que je galère pendant des mois pour l’embrasser pour qu’il revête un caractère spécial à mes yeux, et surtout à ce machin, là, dans ma cage thoracique. Ce besoin de se dire que j’en ai chié pour le sentir dans mes bras ne provient pas d’un simple esprit de contradiction. Il ne faut pas se méprendre, à long terme une relation simple m’intéresse. Je ne m’intéresse pas qu’aux choses compliquées ; aux choses complexes un peu plus déjà. Aux choses qui prennent de la valeur dans tous les cas.
J’aimerais juste me dire que ces longs mois lui auront permis de m’apprécier et d’aller au-delà de ce vernis d’étrangeté que malgré moi j’aime me donner. C’est dans la durée que je suis plus fort, que j’aime et qu’on m’aime encore.

Voilà pourquoi je suis un piètre dragueur selon moi. Car je me vois dans l’impossibilité de résumer en quatre minutes ce que je suis, ce que je serai et ce que je pourrai être. Personne n’en est capable et pourtant je m’obstine à vouloir le faire. Alors tout devient brouillon pour mon interlocuteur, je semble confus et finalement assez étrange comme garçon. Ce comportement est orgueilleux au demeurant. Le refus du résumé motivé par un sentiment de complexité et d’intérêt pour soi ne peut qu’être lui-même réducteur. Tout ça parce que je me refuse à montrer qu’une seule facette. Et finalement, à vouloir tout montrer, je déstabilise et je me plante.

J’ai encore beaucoup de choses à apprendre.

Les walkyries du métro

On aime tous une brute. Le pied dans la face. Le visage écrasé par l’humiliation.

A ma gauche est assis un kaki-ranger. Crâne rasé. Regard métallique. Mais ça reste un homme, une forme d’intelligence comme on dit des extra-terrestres. A quoi vois-je cela ? A son iPod accroché à sa taille.

Il a l’air calme maintenant. Beaucoup plus que lorsqu’il est entré dans la rame. J’ai cru qu’il lisait par-dessus mon épaule mais que nini : il est absorbé dans ses pensées. La musique est douce à ses oreilles. C’est peut-être de la musique progressiste de la nouvelle scène berlinoise mais cela semble l’apaiser. Ou peut-être du Wagner, sûrement les walkyries dans le métro ce matin.

La trahison des vieux garçons

Oui, je trahis des amis.
La nuit je mens et je mens à mes amis. Je leur dis que je vois d’autres amis qu’ils ne connaissent pas. Tout ça pour aller baiser. Tout ça pour compenser quelque chose, quelque chose qui m’est inconnu car je ne veux pas le recevoir des bonnes personnes.

Je ne veux pas finir vieux garçon.
« Tu vas finir vieux garçon » m’a souvent répété ma mère. Et que je le veuille ou non, en étant homosexuel je ne peux finir que vieux garçon. Sans enfant, sans petits enfants à promener le dimanche après-midi aux Buttes Chaumont je ne peux que finir vieux garçon.
L’adoption pour ne pas finir vieux garçon.

Je vais finir vieux garçon car je veux tout ou rien. Il y a plus de chances que j’ai rien.
Tout ça parce que je trahissais ceux que j’aimais.