Elodie Frégé, héroïne gainsbourienne

Je revenais du ski lorsque j’ai appris la mort de Serge Gainsbourg. Je ne savais pas trop qui c’était, mais je savais juste que c’était quelqu’un de très important. J’avais déjà entendu une de ses chansons avec sa fille dans son lit. C’était très bizarre, mais c’était beau. Ca, mon père ne m’interdisait pas de l’écouter. Ca voulait donc dire que Serge Gainsbourg était quelqu’un de respectable.
J’avais 9 ans et demi le 2 mars 1991.

Dans les jours qui ont suivi son décès, j’ai regardé quelques reportages qui lui étaient consacrés à la télévision. J’ai pu remarquer qu’il avait composé pour de nombreuses chanteuses que je connaissais plus ou moins comme Vanessa Paradis ou Joëlle Ursull. Mais aussi pour des actrices comme Isabelle Adjani et Catherine Deneuve. J’ai alors cru comprendre qu’il privilégiait l’émotion à la puissance vocale. Preuve en est de celle à qui on le rattache le plus souvent : Jane Birkin.

A l’occasion de la sortie de son excellent album, leur fille Charlotte expliquait l’autre jour à la télévision qu’elle n’avait pas travaillé sa voix pour l’enregistrement de 5:55. Son père ne faisait jamais travailler les voix de ses muses afin de garder l’émotion intacte. Serge Gainsbourg n’aurait donc jamais écrit pour Céline Dion ou Lara Fabian s’il vivait encore.

Mais peut-être pour Elodie Frégé.
Non, je ne la surestime pas en écrivant cela.

– Car Elodie c’est la jolie fille qui traverse audacieusement la rue en provoquant des accidents de voitures avec sa minijupe. Et Serge Gainsbourg était un homme qui jurait aussi bien par le sensuel que par le sexuel.
– Car Elodie c’est un timbre de voix bien particulier qu’on a le droit d’adorer comme de détester. Et Serge Gainsbourg n’aimait pas les voix fades.
– Car Elodie c’est un destin ; de son bled de la Nièvre à la victoire dans l’émission phare du premier groupe de télévision en Europe. Et Serge Gainsbourg aimait les belles histoires.
– Mais surtout, Elodie est une interprète avant d’être une chanteuse ; la meilleure de ce que la télé-réalité nous a balancé à la gueule. Et Serge Gainsbourg était aussi un homme qui pleurait en écoutant de la musique.

C’est pour ces raisons qu’Elodie incarne l’héroïne gainsbourienne par excellence.
Et c’est pour ça qu’elle m’intrigue.

Dans le silence de Mylène Farmer

Mon grand-père – célèbre avocat et journaliste barcelonais – fut emprisonné par Franco en raison de ses idées socialistes. Ma mère m’a notamment raconté comment la Garde Civile Espagnole vint fouiller l’appartement familial de la Calle Pelayo et comment elle l’avait taxé de pornographe. En effet, la présence d’une femme nue en couverture d’un de ses recueils de poésie relevait forcément de la pornographie…

De là découle un des nombreux préceptes de mon éducation : le fait de pouvoir tout lire depuis mon jeune âge.
Si je voulais découvrir la pornographie par la lecture, il n’y avait aucun problème. Bien entendu, j’ai fait comme tout le monde et je l’ai découverte par les films cryptés de Canal + ; films que j’essayais de décoder en regardant à travers une passoire. Néanmoins – et bien que je refuse de les assimiler à des œuvres pornographiques – mes parents m’ont laissé lire tranquillement L’Amant de Duras et Lolita de Nabokov sur le canapé du salon.
J’ai donc toujours pu lire tout ce que je voulais à la maison.

Il n’en était pas de même pour la musique…

Je me souviens en effet qu’il nous était interdit d’écouter une chanteuse en particulier. Mon père la trouvait glauque et vulgaire. Elle passait son temps à se dénuder dans les cimetières et à se moquer des dogmes chrétiens. Il m’était donc interdit d’écouter Mylène Farmer lorsque j’étais petit.
Je me souviens notamment d’images du temps de Louis XIV où une jeune femme montrait ses fesses dans un clip du Top 50. Marc Toesca avait pourtant l’air enchanté.
Je me souviens aussi des 20 ans de la fille de la voisine où le DJ avait passé le numéro 1 du TOP 50. Ca s’appelait Désenchantée. Quand le morceau est passé, tout le monde s’est mis à danser à l’exception de ma famille ; c’était comme si on s’interdisait de danser sur ce morceau que mon père jugeait « nul ».
J’ai bien été éduqué dans le silence de Mylène Farmer.

Pendant mon adolescence, à chaque fois que j’écoutais certaines chansons que je savais commerciales, mon frère venait dans ma chambre se moquer de moi : « Boouuuuh !!! Il écoute Peter Kitsch ! Trop la honte !! ».
Je devais alors acheter en cachette mes singles d’Aqua et des Spice Girls, les enregistrer sur K7 et les écouter faiblement sous ma couette. Au contraire, je devais écouter bruyamment mes albums de Björk, des Fugees et de Radiohead.

La dernière fois, cela m’a attristé lorsque mes parents et mon frère sont venus chez moi et qu’ils se sont moqués de mes CDs. Ils ont fait remarquer bien fort à ma mère que j’avais les albums de Nolwenn Leroy et de Britney Spears. J’ai alors cru que j’allais pleurer de rage devant Coloca.
Lorsque mes yeux se sont embués en cachette dans la cuisine, ce sont des années de dissimulation musicale et sexuelle qui avaient envie d’exploser en plein jour. Mais rien n’est arrivé ce jour-là ; la sortie du placard musical s’est produite plus tard.

C’est pourquoi je n’accepte plus qu’on critique mes goûts musicaux.
Oui j’écoute des trucs intelligents comme Philip Glass, Radiohead, Placebo et Muse.
Mais j’écoute aussi Patxi, Elodie Frégé et Séverine Ferrer. Et je le revendique !
J’ai besoin d’écouter ce genre de musique. Les morceaux que j’écoute dans la journée correspondent à des besoins précis, à des humeurs.
Et puis j’ai toujours considéré comme louches les gens qui n’écoutaient que de la musique intelligente, que de la « bonne musique ».

Mes amis l’ont bien compris, et c’est pourquoi ils ne s’étonnent plus de voir s’enchaîner Nolwenn et Haendel sur mon MSN.
Aujourd’hui, je vis dans la Sarabande Ohwo !

La guerre des boutons

Danièle Gilbert a la phobie du beurre, moi j’ai celle des boutons de chemise : je me demande laquelle est la plus étrange…

Depuis tout petit, il m’est en effet difficile de plonger la main dans un bocal à boutons de la mercerie. Je peux le faire, mais je n’aime pas trop ça.
Idem pour le simple fait de porter des chemises : j’ai dû apprivoiser ces bouts de plastique aux bords de mes cols. Maintenant j’y arrive bien et cela ne me pose plus de problème, mais était un temps où cela consistait en un véritable calvaire.

Mais le plus étrange dans cette affaire, c’est que je ne suis pas le seul dans la famille à avoir cette phobie : mon grand-père l’avait aussi.

Le problème c’est qu’il est mort en 1963, et que moi je suis né en 1981.

La phobie des boutons de chemise serait-elle donc génétique ?

Quand je marche

« Quand je marche, je marche » chante Camille dans une chanson sobrement intitulée Quand je marche. Elle est très forte cette Camille ; car moi lorsque je marche, je ne fais pas que ça.

Quand j’étais petit, je ne marchais pas : je roulais.
Les étés passés chez ma grand-mère eurent raison de moi. Les paellas, les croquettes au poulet, les churros, les glaces à l’italienne, le riz au lait ou bien encore le Soup’* m’ont fait pousser des seins lorsque j’avais 10 ans.
Sur la plage, les gamins me pressaient les tétons en s’exclamant : « Les vaches elles donnent de la crème ! ». Ca expliquerait pourquoi je n’aime pas trop qu’on me pince les tétons aujourd’hui…

Pendant l’adolescence, je ne marchais pas : je mangeais mes chaussures.
En noir de la tête aux pieds, la raie sur le côté, les lunettes écaillées, je ne regardais jamais devant moi mais toujours par terre. Comme si le sol versaillais était jonché de crottes que je devais éviter à tout prix. Je mangeais littéralement mes chaussures du regard.
Les bras fixes le long du corps, le menton légèrement rentré dans le coup, je ressemblais à un héron. A un héron qui n’attrape aucun poisson.

A 20 ans, rien n’est impossible : j’ai appris à marcher avec les bras ballants.
Maggy est la première personne à m’avoir fait comprendre que je marchais comme un abruti. Je me suis alors efforcé de marcher comme tout le monde : les bras ballants.
J’ai eu beaucoup de mal au début, mais je me suis forcé. Cela peut sembler bizarre que quelqu’un se force à marcher d’une certaine façon dans la rue, mais moi je cherchais juste à marcher « normalement ». Ma façon de marcher devait refléter ma « normalité » : rien ne devait laisser penser que j’étais « différent »…

Pendant mes études à Lille, je marchais les bras ballants mais il me manquait encore quelque chose : l’assurance.
Maggy m’avait dit de penser « assurance », de me répéter ce mot dans la tête pendant que je marchais. Au début j’ai trouvé ça débile. Puis je me suis dit que si je devais bien appliquer une fois dans ma vie la méthode « Couet », ce devait être cette fois-là. Et ça a marché.
J’ai pris de l’assurance. Les filles ont commencé à me regarder dans la rue ; et puis les garçons aussi.

Aujourd’hui, je ne marche pas : je tourne dans des clips !
Mon iPod sur les oreilles, je m’imagine dans un clip de Robbie Williams, de Madonna ou des Black Eyed Peas (Tripping, Love profusion et Pump it c’est tellement tripant quand tu marches !). Je regarde les passants et les lignes des rues en fonction de la musique. Le ciel est plus lumineux à la voix de Sia et les sémaphores plus électriques aux rythmes de Peaches. Qu’importe si parfois j’articule discrètement les paroles en croisant un beau garçon, car je suis heureux en marchant. Et peut-être que je suis tout simplement plus heureux qu’avant.

(*) Ma grand-mère étant d’origine espagnole, elle a toujours eu beaucoup de mal à comprendre le nom de cette boisson gazeuse. En effet elle a toujours confondu le 7 de l’étiquette avec un Z, et un « up » prononcé à l’espagnole ça donne « oup ». Voilà comment 7up a donné Soup’.