Deauville sans Trintignant

Paris, le 15 février 2012

Si à 30 ans tu n’as pas foulé de tapis rouge, c’est que tu as raté ta vie.

L’homme qui sortait des toilettes était Nate Archibald. Celle qui parlait comme une charretière était Emmanuelle Béart. La femme qui avançait rapidement avec un sourire gêné, Annette Bening. Et moi au milieu d’eux overlooké, quasi ring’.

À notre arrivée dans la chambre nous attendaient des macarons, tout souriants dans leur p’tite boîte en rond. Accompagnés d’une bouteille de Champagne cela va de soi. Au Normandy on sait recevoir sinon il ne serait plus là. J’avais laissé le lit-double à Stéphanie ma Chef de Projet ; je suis un gentleman mais surtout un benêt. C’est tout de même moi qui avait dealé notre venue à Deauville, j’aurais pu tout réclamer car sans moi deal nous aurions plutôt été à Franconville. Tenues. Lors d’un premier Festival on veut trop bien faire et on fait forcément plouc. Le costard à 17h, plein soleil, Alain de loin ça déroute. Ma CP en robe de soirée en plein jour c’est peu de le dire faisait pitié.

C’est ainsi que nous avancions dans Deauville, barques luttant contre un courant qui nous rejetait sans cesse vers l’insuccès, prêts à découdre contre les chutes de tapis rouge, Niagara Falls des inhabitués. L’épreuve du tapis rouge est bien pire qu’une épreuve d’immunité : quand on est un bleu on a tout à y perdre, si on est un rouge on a tout à y gagner. La règle du jeu est la suivante : s’y aventurer avec assurance bien avant le passage des grosses stars pour qu’on vous autorise à l’emprunter, et surtout se forcer à avancer lentement dessus car le stress vous fera toujours speeder. Ces chasseurs d’autographes et photographes qui vous mitraillent de leur regard – pas de leur flash, personne ne vous reconnaît – c’est déconcertant, troublant, vivifiant ; c’est une horreur la première fois il faut l’avouer. Gênés, intimidés, pressés, ce first red carpet l’avons foiré. Nous n’étions pas à notre place, peu habitués des palaces : nous devrions nous rattraper le soir si nous voulions qu’on nous prenne pour des stars.

Si à 30 ans tu n’as pas foulé de tapis rouge, c’est que tu as raté ta vie.
Nous en avions emprunté un mais notre prestation avait été gérardesque. Il fallait nous rattraper dans notre chambre majestueusement grotesque. Saint-Paul Smith, Frères Paul & Joe, ne bradez pas mon égo et Bradpittez-moi illico. Je me mirais dans le hall du Normandy lorsque je constatai qu’il me manquait un détail : une paire de lunettes de soleil à faire brunir Nathalie Baye. Je remontais dans ma chambre, Jeanne Balibar avec moi dans l’ascenseur. Regards, robe noire, silence gêné, puis un « J’ai peur de rester coincée dans les ascenseurs. Je deviens hystérique quand je reste coincée dans un ascenseur ! » Rires. Les portes s’ouvrent : « Vous me suivez ? » Rires complices.  Jeanne Balibar venait de me proposer de la suivre dans sa chambre ; c’était déjà gagné. Lunettes de soleil rouges et Pop Hour JCDC au poignet, je pouvais enfin le survoler sereinement, le tapis de sang royal d’un festival déclinant. Les caméras de journalistes japonais me filmèrent au cas où, au cas où je me révèlerais être une star montante du cinéma américain. Point d’autographe, mais quelques flashs dans le doute. Avec aussi cette possibilité d’apparaître la semaine suivante dans Voici dans la rubrique « Les plus mal fagotés du Festival ». Qu’importait mon flacon, j’avais l’ivresse.

« Vous avez du feu ? » (Virginie Efira, le 4 septembre 2010)
Virginie Efira qui après quelques regards échangés avec moi me demande du feu. Bien sûr que j’en avais ! « Stéphanie, tu peux nous filer ton feu ? » Pendant que ma Chef de Projet s’affairait dans son sac en croûte de vachette, Virginie et moi-même taillions une bavette. Elle n’avait vu aucun film de la journée, j’en avais vu trois, elle fut impressionnée. Enfin, surtout étonnée. Car à moins d’appartenir au Jury, si vous venez à un Festival de Cinéma pour regarder des films c’est que vous n’êtes pas important mais uniquement un simple festivalier. J’étais grillé. Qu’importait le désintérêt, je l’avais l’espace d’un instant charmée. J’avais charmé une des plus charmantes du cinéma français – ou du PAF si vous préférez. Ma discussion le soir-même avec Emmanuelle Béart ne fut pas aussi aérienne, se plaignant qu’elle était « vraiment entourée de connards » et qu’elle allait « niquer sa robe à cette pétasse ». Non, Emmanuelle Béart n’est pas aussi angélique que Virginie Efira. Mais toutefois plus que Chace Crawford qui ne tire pas la chasse d’eau après avoir emprunté les wawas.

J’ai longtemps cherché une conclusion à ce texte sur Deauville, une jolie maxime qui résumerait ces anecdotes en une seule impression. Et bien que Virginie me reconnut le lendemain et me fit un signe de la main, la conclusion s’impose là, unique et évidente. D’une banalité extrême, d’une niaiserie implacable, mais plus les années passent et plus elle semble inévitable. Sur les tapis rouges, les étoiles sont aveugles sous leurs lunettes de soleil. Comme elles je m’y suis glissées et m’y suis endormi léthargique d’illusoire vermeil. Je ne vois bien qu’auprès de mes proches, ceux qui m’éclairent, sur leur tapis blanc Ikéa au milieu du salon. Il est agréable de frôler les étoiles, de s’approcher des cieux, mais à quoi bon s’y accrocher pour n’y rester qu’un week-end, qui plus est tout seul – avec Nilda Fernandez – on n’y sera jamais heureux. En plus Deauville comme Cannes c’est un peu plouc, ce sont des villes inventées uniquement pour se checker sur Facebook. Car ces villes sans amour c’est très peu intéressant. Et oui, comme le chantait Delerm : « C’est un peu décevant Deauville sans Trintignant ».