On les lapide

J’ai entendu son nom à la soirée – Samuel – alors je me suis retourné pour savoir qui c’était. J’ai vu son visage de métis et me suis dit « Serait-ce lui ? ». J’ai tenté un léger « Samy », puis plus fort je l’ai appelé : « Samy ! ».
Il s’est retourné ; c’était bien Samy.

Samy était la grosse tapette de mon lycée, celui dont mes potes se moquaient une fois le cul tourné. Moi, j’étais bien à l’abri derrière mes airs d’hétéros, et riait jaune aux blagues d’homophos. Pendant que Samy essuyait les lazzi, les quolibets, moi je regardais.

Beaucoup de mes amis actuels ont été des Samy, la tapette du lycée, du collège ou de la garderie. La rare fois où ce sujet a été évoqué entre nous, je n’ai fait que me taire car je n’ai jamais connu ça. Je portais mon masque et collaborais. On aurait pu les raser, les tabasser, je n’aurais fait que dire à ma mère en rentrant : « Aujourd’hui, y’a un garçon qui s’est fait taper dessus par les autres ». Je ne suis pas convaincu que j’aurais pris sa défense. Ou si je l’avais fait, ça aurait été sans évoquer son homosexualité, ce mot qui me donnait du rouge aux joues.

Je suis très heureux d’avoir revu Samy l’autre soir. Sa féminité autrefois outrageante ne m’est plus aussi évidente ; moi-même j’ai changé et ne dois plus voir les garçons du même côté. J’ai souvent pensé à lui pendant ces années, me demandant s’il avait survécu aux insultes lycéennes. Et bien oui il a survécu, et il n’en est que plus beau et plus fort. Mais n’aurait-il pas été aussi victorieux en évitant les ténors de la bêtise ? Je pense que oui, et ce n’est pas eux qui le disent.

Un chômage à plein temps

Deux ans. Deux ans de recherches d’emploi. Un véritable job à plein temps.
Levé 7h30. Devant l’ordi à 8h15. Envoie de CV jusqu’à 13h00. Puis visionnage d’une série en VOST afin d’entretenir mon Anglais. Et surtout afin d’entretenir la discussion pendant cet énième déjeuner solitaire. Ne pas tourner en rond. Ne pas tourner en rond tout seul comme un poisson. Je n’ai rien envoyé aujourd’hui ? Tant pis, j’enverrai demain. Sortir, se changer les idées, tout plutôt que rester une minute de plus enfermé ici. Il est 17h déjà. Se doucher, s’habiller, prendre ses clefs. Boire des bières. Les amis chômeurs en boivent des verres. Et puis parler, ne pas s’arrêter car on n’a pas eu l’occasion de le faire pendant la journée. Les murs sont silencieux dans un studio. Rentrer tard. Ne pas dîner car le frigo est vide ; comme chez les copains qui bossent eux. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas de boulot qu’on a plus de temps ; sauf pour aller acheter les cadeaux communs d’anniversaires avec les thunes que l’on avance et qu’on n’a pas. Pas plus de temps de faire les courses lorsqu’on est au chômage. Faire les courses ça reste toujours une activité très chiante même lorsqu’on est au chômage. Ca commence à être distrayant vers soixante ans. Pour ça qu’on finit par les faire le samedi après-midi comme tout le monde, comme les p’tits vieux qui avaient tout le temps pendant la semaine et qui attendent le samedi après-midi pour payer en pièces de 10 centimes leur brique de Bridélice.
Etre chômeur, c’est devenir aussi chiant qu’un p’tit vieux.

Une Physique facile

« Et surtout, faîtes bien attention à ne pas inciser le cervelet.
– Schlorp !
– Mais mais, qu’est-ce que t’as fait ??
– Je crois que je viens exactement de faire ce qu’elle a dit de ne pas faire… »

C’est pour ça que j’avais choisi Olivia comme binôme : elle, elle s’occupait de réaliser les expériences, et moi je m’occupais des dessins.

« Mais t’as pas besoin de la dessiner en couleur tu sais la grenouille…
– Ouais mais c’est plus joli comme ça non ? »
En comparaison avec les cours de Physique-Chimie, ceux de SVT avaient un avantage incomparable : ils ne permettaient pas d’expérimenter sur les vivants. Car ce jour-là en TP de Physique…

« Arf, j’y arrive pas…
– Et donc nous allons voir comment les…
– Arf, fichu bec bunsen…
– Mais d’abord allumez vos… Mais mais, ça sent le gaz ? Qui a allumé son bec bunsen avant que je le dise ??
C’était moi. Alors que j’avais actionné le bec bunsen, je ne sais pourquoi je m’évertuais depuis deux minutes à vouloir allumer le robinet que j’avais confondu avec ladite fuite de gaz. Forcément, le robinet avait du mal à s’allumer.

Que voulez-vous, je n’ai jamais eu une Physique facile.

Amitiés en série

L’amitié c’est comme un paysage. C’est comme une rue de Boston où Ally serre le Biscuit dans ses bras. Il neige mais il fait toujours beau lorsqu’on a ses amis.
L’amitié c’est comme Nick Stokes qui va boire un verre avec Warrick Brown. C’est l’amitié virile végassienne et parfois même c’est Addison Montgomery qui fait un barbe-cul sur la plage avec Violet et Naomi – mais pour ça faut regarder les séries sur le Net. L’amitié, c’est toujours beau dans les séries.
Et pourtant je n’en veux pas ; je ne veux pas que de cette amitié-là.
« Les gens deviennent cons à force de rester entre eux. » C’est pas de moi, c’est de ma copine Marjo qui déteste qu’on l’appelle Marjo. Et elle a bien raison.
Ally a-t-elle d’autres amis en dehors du cabinet Cage & Fish ? Et si elle en a, combien dans le lot ne sont pas avocats ? Car ils sont bien gentils ces American characters mais ils ont tout de même une vie amicale réduite en dehors du boulot. Allez donc les voir toujours sortir dans le même bar et vous constaterez qu’ils manquent tout de même d’un peu d’imagination.

« Ca vous dirait de boire un verre avec moi un de ces soirs ?
– Bien sûr. Que diriez-vous de demain soir à 6 heures au bar en dessous du cabinet ? »
« Ling, vous ne venez pas ? Il y a Elaine qui chante au bar ce soir. »
« J’organise une petit fête de rien du tout pour mes 29 ans et douze mois ce soir. Ne vous sentez pas obligé de venir, mais je serais très heureuse de vous y voir. Ce sera au bar où Vonda Shepard chante, je ne sais pas si vous voyez où ça se trouve… »

Oh oui Ally, on voit très bien où c’est. Car vous sortez toujours au même endroit. Toujours le Pitch Pit, le Central Perk ou Chez Alfredo !
Amis collègues et mêmes lieux de rencontre, l’amitié des séries n’a rien d’un conte.

La pluie occupe mes nuits

Addison Montgomery se réveille en sursaut dans Private Practice. C’est parce qu’il pleut. Il pleut à L.A. et ses affaires sont trempées. C’est une moche journée, elle va se coucher.

Moi j’aime me faire réveiller par la pluie. Au beau milieu de la nuit, lorsque tout est éteint, se faire réveiller par la pluie c’est se faire réveiller par la vie. La vie c’est également les cris des voisins, mais je préfère le clapotis du lointain. Je pense à ces gouttes qui caressent ma peau comme dans une pub Obao. Je pense au velours de l’eau et à ces frôlements qui ne mouillent pas. Ma couette me protège et me berce au milieu de la jungle rosée. Je peux être proche du bitume, au clapotis il devient velouté. Je me rendors.

Mais parfois au son des gouttes je repense à Faouzi. Et l’air frais de la rue devient froid. Les gouttes deviennent pénétrantes et je pense à ceux pour qui la pluie mouille. Où qu’il soit dans la rue, le sans-abri que j’ai un soir connu a froid à l’instant. Et soudain la pluie devient menaçante, grisante, minante. Ma couette ne protège plus et je n’entends que ces satanées gouttes qui résonnent dans ma tête. Plic, ploc, ce serait trop beau si elles faisaient ce bruit. Non, elles résonnent comme un tambour. Un tambour qui annonce le pire dans son bruit sourd.

Il pleut, et dans ces gouttes de pluie, mon cœur se noie dans la nuit comme dans un océan de larmes.

Bourse. BOurse.

« Bajada por el lado izquierdo. »
S’il y a bien une phrase que les Parisiens hispanophones connaissent en Espagnol, c’est bien celle-là. Car il existe des citations rendues célèbres par les voix du métro. Mais ma préférée n’est pas celle de la ligne 14.

« Bourse. Bourse ».
Les habitués de la ligne 3 savent de quoi je parle. Ca vous, lecteurs Bêta, qui ignorez que l’intonation est différente entre les deux mots, me désolez à ne points différencier les deux bourses. L’une est sèche et descendante, tandis que l’autre est ronde et à longuement tenir en bouche. La phonétique est difficile à appliquer lorsque les bourses sont malmenées.

Mais les bourses ne sont pas que des mots et diffèrent également dans nos vies. Au Palais Brognard j’oppose mon palais, et à Jean-Pierre, le gaillard dans mes bras. Car s’il est bien une valeur fluctuante c’est la beauté.
Un jour beau dans mon miroir, l’autre défait dans les chiottes d’open bar, ma beauté fluctue au cours des nuits. Et lorsque décoiffé et armé de spots j’entre dans ce bar, c’est ce garçon despote qui me choisit comme star. Moi-même je peux trouver beau le vieux graisseux qui cligne des yeux, et ne pas regarder l’éphèbe imberbe qui rend envieux.

La beauté fluctue et s’affole dans sa course, mais c’est mes valeurs montantes qui décident en mes bourses.

Plus beau de dos

Moi j’aime bien les grèves, c’est la solution à la guerre dans le monde. C’est un peu comme Facebook ; ça rapproche les gens.

Lorsque le wagon est bondé, mon regard bondit à sa recherche, à la recherche de mon euro-star bandé.
Dès que je l’vois, je sais que c’est lui. Je ne résiste plus, j’ai vu dans son regard, des stations disparues, je rentre il est trop tard. Corps à corps anonyme et rêves impossibles, je me blottis contre lui. Je ne lui souris pas simulant la froideur dans mon épais manteau de musique. Les yeux mi-clos, je l’imagine plus que ne le vois. Sa nuque bien rasée laisse entrevoir un nez parfait, son manteau en laine vierge une peau finement grainée. Son air suave et la grâce Cluny – La Sorbonne de sa cambrure en font le plus beau du subway.

C’est un comme ça que je veux ; c’est l’homme de mes rêves. Sans visage, sans nom, mais bien contre moi dans la foule des jours cons.

Négatif c’est positif

J’ai mis la photo d’un jardin sur mon portable. C’est le jardin de mon médecin de famille. Je l’ai peint de pixels la fois où j’ai été malade ; la troisième fois pour être tranquille. La première c’était pour l’angine, la deuxième pour le faux kyste et la troisième pour l’oreille interne. Mon médecin a l’habitude de me voir somatiser. Y’en a qui fument, y’en a qui tisent, moi je somatise.

Mon médecin me préconise à chaque fois repos et prise de sang. Tests sanguins qui ne révèlent jamais rien hormis une séronégativité très appréciée. Peut-être mon médecin me pousse-t-elle à me sucer le sang plutôt que de me ronger les os. Peut-être a-t-elle compris que lire « négatif » me rend positif. Un test HIV se fond mieux dans la masse toxoplasmique et cholestérolique. Un test HIV est trop flippant, larmoyant, violent. La dernière fois je n’ai pas pu. Je suis parti pleurer dans la rue. Pleurer ma bêtise.
Se fondant dans une dizaine d’analyses, le Sida meurt mieux en moi. Plus en douceur. Juste quelques instants de râles en ouvrant l’enveloppe, en cherchant la ligne, et en répétant dans ma tête que négatif c’est positif, négatif c’est positif, négatif c’est positif.
Et c’est fini.

Car mon docteur me connaît bien, et mon docteur a un beau jardin.

Rentre Avec Tes Pieds

« Des places assises ! Des places assises ! » Parfois le bonheur tient à peu de choses les jours de grèves. Car je n’aurais pas cru trouver 10 cm² de libre après ce qui m’était arrivé ligne 1.

Comprimés comme des Pringles dans un tube de Sour Cream & Onion, nous nous accrochions à ce que nous pouvions. Barre de fer ou fil d’iPod du voisin, tout était prétexte à l’accroche. Non pas que nous craignions de tomber vu que la loi de la gravité avait été refoulé à l’entrée du wagon, mais plutôt de peur d’embrasser par mégarde le vieux moche qui puait avec son bonnet du commandant Kuzko.
Et là paf sans chien, qu’est-ce que je fais moi ? Je me gratte l’arrière du mollet du pied ! (Avec le mollet de la jambe qui ne gratte pas hein, car sinon ça n’aurait aucun sens. Tout comme un « mollet du pied » qui ne veut rien dire car un pied n’a pas de mollets mais des orteils.)
Je me grattais donc le mollet avec mon pied moche – qui vaut beaucoup plus qu’un pied bot – lorsque soudain, en voulant le reposer, je constatai qu’il n’y avait plus de place sur le sol. Plus une once de miettitas pour mes petons ; les voisins barbares avaient conquis mes terres souterraines. Piégés par ces intrus de transit, j’étais condamné à voyager sur un pied pendant tout le reste du trajet. Cloche que j’étais je clopinais immobile. Dernier pied de nez des grévistes de la Rentre Avec Tes Pieds.

L’oeil du diaphragme

Il est nul le dernier Playboy avec la Boniche, on voit même pas sa chatte comme dirait Queen Lateuchah.
Pourtant elle a bien fait. Car une chatte floutée est plus belle qu’une chatte fouillée. Et lorsqu’elle explique qu’il fut difficile de se dévêtir, je veux bien la croire. Moi-même j’eus du mal à me déshabiller devant Anne-Isabelle.

Autant je peux le souiller, autant je considère mon corps comme sacré. Point de tatoo, point de bijou, points de suture ici et là. Mon corps n’est pas une carte, il est un chemin.
Je l’ai souillé et continuerai à l’abîmer aux sons d’alcool et de baisers violés. Mais comme Serrano plongeant le Christ dans son urine, ma profanation n’est pas blasphème ; je magnifie mon corps en le souillant.

Anne-Isabelle voulait également magnifie mon corps ce jour-là.
Qu’il fut difficile de me déshabiller. Chaque vêtement comme une arme déposée à ses pieds. La mise à nu comme la mise à mort. Son objectif comme œil rouge sang ; j’étais l’homme et la bête. La viande douce au poil luisant ; le regard puissant et les muscles osseux. Un bout de chair oublié dans l’atelier de Bacon.

Ces photos je n’en veux pas. Je n’en ai jamais voulu. Elles sont quelque part dans un tiroir, prêtes à surgir à la une de Closer.
Ce que je voulais, c’était l’expérience. Me souvenir de ce corps maladif que je ne voulais plus. La possibilité de capter la faiblesse, la soumission, la contrôler et la magnifier. Rien de plus, pas plus.
Pas plus qu’un corps mis à nu.