Les gens d’en face

Les gens d’en face sont dans une vitrine, ou enfermés dans un miroir. J’hésite encore.

Un enfant qui tournoie, deux mecs assis sur leurs valises, un black élégant au fuck-in-town de médecin de campagne, une femme qui passe sa main dans ses cheveux, des milliers de cas à décrire et à reproduire ; jusqu’à en faire des millions.

« Veuillez attendre le prochain train. Veuillez attendre le prochain train. »
Le RER A se vide de ses voyageurs désabusés et mon quai de Charles de Gaulle se noircit. L’appel du 18 mars de Colombey-les-Doux-Débiles. Je ne vois plus rien du quai d’en face et j’imagine que d’autres se réjouissent de ce festin visuel. Des milliers de corps à scruter et à dévisager. Un plaisir voyeuriste à son apogée si on n’est pas agoraphobe.
Ou alors n’y aurait-il que moi tripper sur les inconnus du métro ? Toi ? Vous ? Je ne pense pas être l’unique merci beaucoup.

A l’échafaud

On se regardait droit dans les yeux sans parler. Pas longtemps, car il était timide et déviait vite le regard.
On se regardait droit dans les yeux puis on regardait par la fenêtre. On regarder défiler Viroflay, Chaville et Sèvres. Des maisons, des arbres et des ponts, ce qui fait une ville quand les rues sont vides. Vitres embuées ou vitres taggées, le trajet était le même : monotone et menaçant. Car au-delà des petites maisons souriantes sourdaient les tombes béantes. Les froides tombes qui exigent au corps d’y tomber.
Avec Nicolas nous contemplions et rarement nous parlions. Prendre le train pour aller en prépa était ça : le chemin vers l’échafaud que la victime prend au matin.

Et je n’ai rien fait

Ecouter Zazie n’encourage pas forcément à l’écriture.

J’écoute J’étais là en loops depuis un quart d’heure, et depuis quatorze minutes mon imagination ne fait qu’un demi-tour. Mon stylo glissse diiiffficicilement sur le crnaet tant ce qu’il entend est net, limpide et aiguisé. Les mots tombent et tranchent l’air. Que peut bien y faire mon Bic ?

« Et je n’ai rien fait. »

Je vais me remettre à écouter du Jenifer.

Comment tunner son scooter

On allait souvent boire des verres place du Marché. On commandait un Monaco ou une pression si vraiment on était des rebelles. On parlait scooters et gonzesses. Que des sujets que je maîtrisais à merveille.

« Tu l’as tunné ton scoot’ ?
– Ouais j’ai mis un nouveau pot et un nouveau cligno.
– Moi je viens de débrider mon vario.
– Ah ouais ? Mais t’as pas peur de te retrouver un jour avec des galets dans le carter ?
– Bof on verra.
– Et comment t’as fait alors ?
– Bah d’abord tu sais que le truc qui bride la transmission du scoot’ se trouve dans le variateur ?
– Bah ouais quand même ! C’est le truc qui empêche le vario de monter complètement !
– Ouais c’est ça. C’est ce qui explique que le scoot’ prenne des tours à partir de 30Km/h.
– Ok.
– Bah pour retirer cette bride, tu dois démonter le carter de transmission. Puis tu mets un bloc piston dans l’emplacement de la bougie et tu dévisses le vario.
– Ok je vois.
– Et alors là t’as plusieurs pièces sous la main. Tu verras la rondelle de bridage est située sur le canon du vario. C’est celle qui a le plus gros diamètre et la plus grosse épaisseur.
– Ouais ok.
– Bah alors tu la retires tout simplement et tu remontes le reste dans le bon ordre.
– Ah mais c’est facile en fait !
– Bah ouais.
– Mais les flics ils peuvent rien caler comme ça ?
– Bah si faut faire gaffe. C’est pour ça que y’a une astuce : faut que tu limes la rondelle de bridage, comme ça elle aura plus du tout d’effet.
– Ah ouais comme ça quand le flic regarde le truc il a l’impression que le vario est bridé alors que pas du tout car la rondelle est pas efficace.
– Exactement.
– Et sinon toi t’avais pas des problèmes avec ton anti-parasite ?
– Ouais je me l’étais fait chourrer.
– Ah merde. »

Ouais merde en effet car je n’y comprenais quedalle.
Mais bon ça me faisait plaisir d’être entouré de beaux garçons trop sympas et marrants qui parlaient scooters. Ils se foutaient gentiment de ma gueule à chaque fois en voyant que je ne comprenais rien à leur discussion. Mais bon parfois on pouvais parler ciné ou télé et là je pouvais me rattraper.

Les méthodes de mon lycée

« Viand, vous allez m’imiter le chien hurlant au clair de lune.
– Pardon ?
– Vous avez bien entendu. Vous allez m’imiter le chien hurlant au clair de lune !
– Mais je ne vois pas le rapport avec…
– Vous allez m’imiter le chien hurlant au clair de lune oui ou non ?
– Mais…
– Mais allez !!
– Ouh ouh ouh ! »

Fou rire général dans la classe : Viand s’était ridiculisé. C’était une des nombreuses méthodes qu’employaient les professeurs du lycée Hoche pour encourager leurs élèves à avoir de bons résultats scolaires. Dans ce cas précis, Childéric Viand avait fait une horrible version anglaise ou il avait osé traduire « it’s raining cats and dogs » par « il pleut des chats et des chiens ». Cela lui avait donc valu de se faire publiquement ridiculiser par Madame Pernelle qui établissait à chaque correction le Top Ten des âneries. Nous aimions autant que nous craignions cette tradition car nous redoutions d’y apparaître.

« Alors Patytzine, on a traduit « rire jaune » par « to laugh yellow ». Alors vous laugher yellow maintenant Patytzine ? Hihihi ! »
« Qu’est-ce que vous m’avez fait là Larfoux ? « I have a frog in my throat » ça devient “J’ai une grenouille dans la gorge”? Vous connaissez pas “avoir un chat dans la gorge” non ? Alors ça fait croaaak croaaak dans votre gorge Larfoux ? C’est pas un peu la honte ça ? Vous feriez mieux de travailler votre Anglais plutôt que de traîner au café au baby-foot. Je vous y ai vue avec Buffard l’autre jour en passant devant. Alors il se passe quelque chose entre vous deux ? »
« Ah bah Truite vous nous avez fait très fort là : « When pigs have wings » ça devient « quand les cochons auront des poulets » !! Non mais vous pensiez à quoi ? Aux chicken wings ? Fallait traduire ça par « Quand les poules auront des dents ». Par exemple : « Truite aura des bonnes notes en Anglais quand les poules auront des dents ! ».

Quelle salope cette prof. Mais faut reconnaître qu’elle nous faisait bien marrer. Mais bon le problème restait toujours le même ; un problème que l’on retrouve de façon générale dans tout le système éducatif français : le bâton plutôt que la carotte. Alors que moi j’ai toujours été carotte : j’ai toujours préféré avoir un truc dans la bouche plutôt que sur les fesses.

Y penser au passé

C’était un peu confus dans ma tête. Je pensais au passé. Je pensais à l’imparfait, aux phrases que j’allais écrire une fois dans le métro.

Je pensais à ma mère et au plaisir que j’aurais à l’emmener voir un spectacle aux Blancs Manteaux. A cette joie que j’éprouverais à lui présenter celles et ceux avec qui j’ai travaillés il y a deux ans déjà. A la fierté d’entendre une comédienne lui dire « J’adore votre fils ». Qu’elle découvre une facette.
La pluie pascale devenait moins froide à mesure que ces pensées coulaient en moi. Le mal de crâne persistait mais c’était du à la veille : à la We Love Art à la Cité de la Musique. Etienne de Crécy avait frôlé la perfection dans sa scénographie ; mais uniquement dans sa scénographie. La vrai surprise était venue du groupe Planningtorock, également appelé PTR mais pas PTDR. Téléchargement légal sur iTunes le lendemain en me souvenant du visage de ce garçon maintes fois croisé. La BTP, l’Eden et maintenant la We Love Art : Glenn a définitivement le visage d’un ange. Quand aurai-je les couilles d’aller lui parler ?

Je me disais tout ça dans la rue du Télégraphe en constatant qu’une musique joyeuse ne suffit pas à me rendre optimiste. Imaginer ma mère heureuse oui. Au présent plus qu’au passé cela me suffit.

Dans la mer profonde, profonde

« Il y a un silence où il n’y a jamais eu de bruit. Il est un silence, là où aucun bruit ne peut être, Dans la froide tombe, sous la mer profonde, profonde. »

De La leçon de piano c’est mon passage préféré. Lorsqu’Ada s’imagine accrochée à son piano, le corps suspendu au plus profond des océans.
Cette image m’a tellement obsédé que j’en avais recopié les vers dans mon agenda à côté des paroles de Bachelorette.

Rien ne me donne plus le vertige que l’océan. Mes pieds palmés, mon masque et mon tuba à la Costa Brava. Papa dans le bateau préparant l’apéro. Maman est là-bas, elle bronze et lit Hola ! De dos, l’enfant beau.

L’enfant n’est pas à Tarquinia mais l’angoisse silencieuse est quand même là. Il n’ose pas regarder au fond de la mer avec son masque. Il y voit ses pieds paniquer et le vide sous ses palmes. Il a peur de tomber. Le vertige des océans est plus puissant que celui des falaises au vent.

La chute lente des corps au fond de l’océan. L’eau remplit doucement mes poumons comme une cave qui s’inonde.

Rien ne m’effraie dans le silence. Le calme.
Se taire, se taire enfin, dans la mer profonde, profonde.

Le poète aux pieds puants

Le couloir qui relie la 11 à la 1 est comme une caverne. Les murs en sont des peintures et les hommes des allégories platoniciennes.

Barbu au crayon gris, pieds puants mais traits tonitruants, un homme vit sous terre mais écrit aux cieux. Sur les affiches de Surcouf et des Saints-Valentin aux lagons bleus, ses mots noircissent les paysages. Mots durs, mots rêveurs, ce travail acharné fait peur. La robe de mariée devient veuve lorsque les phrases obscurcissent la dentelle. Les mots comme des apparats, les mots comme des surpiqûres, et quand il y en a trop ça fait fioriture. Mais parfois ça fait mouche dans le cœur du puant. Lorsqu’il transforme le Soldat Rose, avachi, effondré, sous le poids de son Paradis. Ou ce « J’aime beaucoup ce que vous faîtes » qui prend une autre tête lorsque sa plume s’y arrête.
Les toiles déchirées mais sous les papiers la rage.

Ils auront beau arracher, recoller et annuler, il continuera à écrire et à écrire. Comme un acharné, se moquant des gens autour le crayon à la main. Les mots sur les lèvres il trouvera le rythme. Alors qu’importe les regards curieux qui n’auront qu’en tête le mot « fumeux », puisqu’au fond il s’accomplit. Il s’achève tous les jours, se concrétise et se réalise. Un épanouissement aux pieds puants certes, mais le chardon éclot aussi. Pas moins ardent que la rose, juste un peu moins noble. Mais au final qu’importe le parfum tant que la graine est là. Et elle le restera.

Ecrire, dit-il

J’ai rêvé que le bouchon de mon Bic tombait dans l’océan. Je me tenais à la rambarde et écrivais sur mon carnet. Le bouchait tombait. Et alors je m’apercevais de ce que je faisais : je risquais mon carnet sur les bords de l’océan. Aussitôt je revins au centre du ponton et constatais ma chance.
Serait-ce à quoi je tiendrais le plus ? Ecrire ?