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On avait le don pour arriver en retard au cinéma. Mais faut dire qu’on allait jusqu’à Paris. Et soit on calculait mal le temps nécessaire pour se rendre aux Champs Elysées, soit on avait toujours des embouteillages avec Papa et on tournait trois quart d’heure avant de trouver une place. C’est pour ça qu’on arrivait toujours en retard.
C’est pour ça que je voyais toujours la pub de Jean Mineur à la fin, lorsqu’on restait dans la salle pour voir le début du film. J’adorais Jean Mineur.
Et puis le bonhomme Baff je l’aimais bien aussi. D’ailleurs je me souviens qu’il y avait plein de pop-corns à mes pieds quand on restait dans la salle pendant que tout le monde partait. Maman me faisait des sourires comme pour me signifier que c’était pas bizarre de faire ça, mais moi je trouvais ça quand même bizarre : de ne pas suivre les gens lorsqu’ils partaient. Mais y’avait quand même un truc qui me plaisait : c’était de pouvoir rester avec Maman dans la salle de cinéma et de me dire qu’on était des privilégiés, des gens un peu bizarres et un peu différents. Et que le retard c’était pas pour les autres gens.

Ne pas se tromper en le trompant

Me serais-je trompé en le choisissant ?
Quand l’envie me prend de le tromper, de tremper ma langue dans des lèvres essaoulées, de trop près mon corps s’approche des leurs.

Un seul parmi des milliers. Par milliers ils s’avancent et je n’en arrête qu’un.
Pour avancer à contresens.
A deux.

Je peux rester des semaines sans le faire ; je l’ai déjà fait.
Mais rester des heures sans le faire après avoir défait mon cœur de fer me semble l’enfer. Serait-ce parce qu’il m’offre une nouvelle dimension au sexe que je ne peux plus vivre sans ? Que je veuille désormais le faire avec tout le monde ?
Tout en sachant que ce ne sera jamais comme avec lui.

Des semaines d’une journée

Pendant des années les journées ont duré une éternité. Et puis un jour je me suis mis à travailler, et les semaines sont devenues journées. J’ai alors compris qu’il était bien facile de vieillir.

« Tu verras comme le temps passe vite. »
Si le temps doit passer aussi vite que ces six derniers mois, je le comprends déjà. Six mois à travailler, à écrire et à sortir : les trois activités qui me sont les plus dispendieuses. C’est dans ces moments-là que j’aimerais aimer : aimer ralentit le temps.
« J’adore le dernier album de The Bird and the Bee.
– Moi je préfère celui de Vicki Vale !
– Moi en ce moment j’écoute Carrie Underwood !
– Et pourquoi pas Jordin Sparks pendant que t’y es !! »

Mais qui sont tous ces gens ??
J’ai passé ma soirée du samedi à me morfondre de ne connaître aucun des musiciens cités dans les conversations de mes amis. Si, à un moment, j’ai reconnu Michael Jackson et Texas dans une phrase. Il est vite temps que j’arrête de bosser si je ne veux pas passer à côté du prochain Madonna.
« Tu verras, à partir d’un certain âge tu ne chercheras plus à écouter les nouveautés mais tu te reposeras sur les artistes que tu écoutais quand tu étais ado. Ou alors tu te mettras au Classique. »
Mon amour pour Philip Glass viendrait-il de là ? Si tel est le cas, je veux bien alors devenir rapidement centenaire aux mélodies des Metamorphosis. Car il faut croire que l’oreille s’éveille avec l’âge.

Un coeur de Glass

Un cœur de Glass fera l’affaire. Et il le fera même largement tant il m’éloigne de mes tourments.

Des mots comme des touches de couleurs. Petit à petit elles s’amenuisent puis elles grandissent. Comme un souffle, comme une étoile, exhalant lentement les douleurs et les espoirs. La musique de Philip Glass est d’abord visuelle.
Répétitive. Entêtante. Tellement profonde qu’une seule visite ne suffit pas, ne même deux, ni même dix, ni même cent. Des milliers d’écoute ne suffiraient pas à la cerner. Elle ne m’endort pas, elle m’apaise. Comme une larme délicieusement ravalée.
Les mêmes instruments aux milles teintes. Le piano surtout, le plus noble de tous. Je rêve d’un être qui m’en jouerait. Non pas du Michael Nyman comme tout le monde mais du Philip Glass comme l’éternité.

La musique comme l’éternité. Flamboyante, immuable et obsédante, c’est la seule musique qui pourra m’apaiser.

La beauté dans ses coups de pieds

Rien ne m’apaise autant que la beauté. Parfois je me demande quel homme je serais si je perdais la vue.

Leur grain de peau dans le métro, rien que ça me donne les saisons dans le dos. Mes yeux s’ouvrent un peu plus pour capter l’essence, la chance impalpable qui rend les hommes beaux. Le choix d’un pull, d’une barbe mal rasée et de cheveux décoiffées. La veste, le regard, la force du menton, tout le mystère d’un homme en quelques impressions. Le lien entre tout ça ? La beauté.

Non, vous ne lisez pas l’édito du Madame Figaro spécial Hommes. Vous êtes bien là, près de moi, vous que je connais ou que je ne connais pas. Vous qui avez votre beauté ; même le plus laid d’entre vous.
« Le plus laid est-ce moi ? Est-ce possible que de toutes les personnes qui lisent ces lignes le plus laid soit moi ? »
Bien sûr que non car si vous étiez le plus laid d’entre tous vous en deviendriez beau. Le plus laid ne se sait pas ; et heureusement pour lui.

L’autre soir j’attendais aux toilettes de l’UGC avec un garçon des plus laids. Visage tuméfié par la vie et fouetté d’asymétrie, je le regardais en me disant ô combien il était laid. Jusqu’à ce qu’un changement s’opère dans son corps.
Pour patienter, le garçon s’était mis à donner des petits coups de pieds contre le mur puant. Juste rien, juste tout. De petits coups de pieds qui illuminaient son visage, qui ne le faisaient pas sourire comme un idiot non, mais qui lui offraient une expression d’un charme particulier. Un charme unique, singulier ; la beauté dans ses coups de pieds.

Rien ne m’apaise autant que la laideur. Parfois je me demande quel homme je serais si je perdais l’odeur.

L’importance des points de suspension

L’importance des points de suspension. Il en a mis à la fin de sa phrase, tu crois que ça veut dire quoi ?? Que nous nous reverrons ou que je peux rêver ? Que ce serait avec un coquin plaisir ou alors il savait pas trop quoi écrire ? Et ces deux points de suspension à la con ça veut dire quoi selon toi ? Qu’il se fout de ma gueule ? Ou alors c’est un gros radin qui veut absolument économiser le moindre texto ? Peut-être qu’il a voulu aller vite… Ou alors c’est qu’il est con comme ses pieds et qu’il sait même pas qu’on met trois points de suspension et pas deux !
Mais attends, le « biz » là à la fin, tu crois que ça veut dire qu’il veut pas s’engager ? Tu me diras : j’ai pas eu droit à des « bibis », des « mimis » ou d’autres trucs niais. Tout comme le « kikou » d’ailleurs, ça c’est motif de rupture. Et puis surtout, j’ai échappé au pire : « @+ ! ». De quoi devrais-je me plaindre dans ce cas-là ?
Me plaindre qu’il ne m’appelle pas ?
C’est vrai qu’il ne m’appelle pas.
J’aimerais bien qu’il m’appelle…

Mais puis-je réellement lui reprocher de ne pas m’appeler lorsque moi-même je n’appelle pas ceux que j’aime ?
Ma mère qui se fait chier à Genève attend mes coups de fils pendant ses longues journées. Et que dire de ma grand-mère dans sa maison de repos ? Et Jérôme et Cécile que je n’ai pas vus depuis des années. Eux qui me laissent des messages et que jamais je ne rappelle. Parce qu’il y a toujours quelque chose. Oui il y a toujours quelque chose, et ce quelque chose ce sera un jour un appel me disant que c’est fini. Et alors je regretterai ces coups de fil avortés, parce que je n’aurais pas appelé ceux que j’aimais.

Alors, je ne vais pas critiquer son silence lorsque moi-même je me tais..

Cendrillon est une nobod

Mowgli je veux bien. Elevé dans la jungle, ses meilleurs amis ne pouvaient être qu’un ours et une panthère. Tarzan aussi je veux bien. Il n’avait pas d’autre choix que de sympathiser avec Cheetah.
Jasmine, c’est déjà un peu plus délicat. On suppose qu’elle est enfermée dans le palais, mais quand même, elle pourrait avoir d’autres potes qu’un tigre non ? On va dire qu’elle a une ou deux copines dans le sérail de son père.
Aladdin, il est top. Je suis sûr qu’il a un ou deux potes voleurs dans la banlieue d’Agrabah et qu’il ne brûle pas des carrioles qu’avec la seule compagnie d’un singe. Tout comme le prince Eric qui lui est grillé avec ses potes qui se bourrent la gueule sur le galion en criant « Paye ta chatte ! ». Mais sa copine…

La copine du Prince Eric c’est la Petite Sirène, et ses meilleurs amis c’est tout de même un poisson, un crabe et une mouette. Mais bon c’est la fille du roi, et on imagine aisément qu’il est difficile de se faire des amis désintéressés dans ce milieu. Mais quand même, Polochon, il a beau avoir l’air gentil, il n’a pas l’air très fut’-fut’. Les discussions ont l’air assez limitées avec lui.

Passons aux choses sérieuses : la Belle aux bois dormant. Alors elle c’est simple : ses meilleures amies c’est trois vieilles. Mais bon à sa décharge elle a pioncé cent ans et ses potes ont eu le temps de clamser.
Quant à Blanche-Neige, heureusement que sa marâtre l’a foutue à la rue sinon elle n’aurait jamais connu d’autres amis que les rouges-gorges et les moineaux. Imaginez un peu les discussions dans le château :
« Qu’as-tu fait aujourd’hui ma belle-fille ?
– J’ai chanté toute la journée avec Cui-Cui et Piou-Piou !
– Qui ça ??
– Mais si tu sais ! Mes amis les moineaux ! Ils t’embrassent d’ailleurs.
– Pauvre fille… »

Tu m’étonnes que c’est une pauv’ fille la Blanche-Neige. Pourtant elle était bien partie dans la vie avec un prénom aussi sociabilisant dans les soirées de Beigbeder. Au final elle a copiné avec des nains.
« C’est déjà ça » a du soupirer sa belle-mère…

Un nobod est quelqu’un qui n’a pas de pote : un « no buddy » ou un « nobody » en Anglais. Et bien la palme de la noboditude revient à Cendrillon.

« Je te présente mes témoins.
– Où ça ?
– Bah là. Juste devant toi !
– C’est quoi ça ?
– Je te présente Jack et Gus : mes témoins.
– Des souris ?? »

Les potes du Prince ont bien du se foutre de sa gueule pendant le banquet : « Hey ! Fais attention à ne pas trop les laisser avec elle, car qui sait alors de qui sera le polichinelle dans son tiroir ! Gniarf gniarf ! Tire sur mon doigt !! »

Faut reconnaître que la Cendrillon elle n’a pas inventé l’eau tiède. Car ne pas être foutue de se faire une ou deux copines servantes des autres villas du coin pendant le marché, et préférer coudre des micro-bonnets à ses mini-friends en font d’elle la plus grosse looseuse de tous les temps : Nobodina la nobod. Tu m’étonnes que la belle-mère était dégoûtée que la plus conne de la maison se tape le gossbo de Prince.

« Et on va devoir les inviter à déjeuner tous les dimanches ? »
Prince, fallait un peu réfléchir avant de faire des paris débiles avec ses potes pendant le bal et épouser la première conne venue qui y oublierait sa Bata.
« Oui et le samedi on pourra laisser Jack et Gus garder le bébé pour aller au ciné !
– Tristesse… »

La fiche Facebook de Cendrillon :

CQPD

« On a tous besoin d’un PD pour bien commencer la journée !
– Non mais tu peux pas écrire ça !
– Mais c’est une prez…
– Justement ! Tu vas pas dire devant tout le monde « Un PD équilibré est essentiel pour bien grandir » !
– Ou « A chacun son PD » ?
– Exactement !
– Bon ok, je vais écrire « petit-déjeuner » en entier alors… »

L’amour dans ta gueule

J’ai beau le savoir et me répéter de ne pas tomber aux pieds du plus beau, je tombe toujours amoureux du salaud.
Le plus beau ne l’est pas mais il l’est pour moi.
Je tombe je tombe, et sans élastique c’est là que j’ai la trique.
Le tic des sentiments qui à chaque fois se répète, de ce cœur qui bat obsessionnellement bam bam. A chaque fois la fixette, à chacun la risette.

Car même si je tombe amoureux, je n’imagine jamais la douloureuse chute : la gueule dans le gravier, le visage en sang, que même ta mère elle t’a jamais baffé comme ça.

Je souris, alors que je vais encore une fois m’en prendre plein la gueule.

Plonger dans mon lac

Mon nez était aussi bouché que le Périph’ un samedi soir lorsque je décidai de le désengorger. La tête au-dessus d’un bol d’eucalyptus, je respirais les effluves sacrées tout en entendant la musique au loin : Jil Caplan chantait Le lac dans mon salon.

De nombreux artistes parcourent ma playlist me disais-je tout en sentant les poils arrières de mes narines respirer à nouveau. Là, seul, dans mon appartement, je ne me disais que ça : qu’il était bon d’entendre Jil Caplan dans le lointain.
Lorsque soudain je pris conscience que je n’étais pas vraiment seul, là, dans la cuisine : Jil Caplan était à côté de moi à me tenir le front au-dessus de l’infusion. Et lorsqu’elle aurait fini sa chanson, ce serait peut-être Patxi ou Robbie qui viendraient tenir la serviette sur ma tête.Je n’étais jamais seul. En la présence de la musique j’oubliais l’absence des hommes. Voilà pourquoi je supportais la solitude. Car la solitude, elle est juste là.
Toutes ces promenades, ces heures devant l’ordi, ces chemises repassées et ces textes brouillonnés, rien n’aurait été possible sans Zazie, Madonna ou Elodie. Et surtout rien n’aurait été magnifié. Car au-delà du quotidien, la musique sublime ma solitude ; elle en fait quelque chose de bien.

Une solitude que je peux bercer. Bras croisés, genoux remontés, je me tiens, je me cramponne. Et ce mouvement, à la différence d’un bateau, apaise et contient l’esseulé qui se berce. C’est une solitude intérieure, qui enveloppe étroitement comme une peau. Puis il y a une solitude vagabonde, indépendante. Celle-là, sèche et envahissante, fait que le bruit de son propre pas semble venir de quelque endroit lointain.

Beloved, Toni Morrison