Le Tombeau de Napoléon

Le moment que je préférais à mes anniversaires c’était le Tombeau de Napoléon.

Mon frère choisissait une petite fille et l’emmenait à l’écart dans une pièce. Il l’allongeait et lui demandait de se taire. Ca chatouillerait mais il ne fallait surtout pas rigoler. Ca gâcherait tout le plaisir.
Il allait alors chercher un autre de mes convives à qui on avait bandé les yeux. Il l’emmenait doucement près du corps étendu et lui prenait la main, pour parcourir non sans appréhension le corps allongé.

« Voici le genou de Napoléon. »
Et au convive bandé de caresser le genou de Claire.
« Voici l’avant-bras de Napoléon. »
Et dans la crypte imaginaire, à un enfant de frissonner comme pour la première fois.
« Voici le lobe de Napoléon. »
Et à Sébastien de caresser dans le noir la peau diaphane et délicate.

« Et voici… Les yeux de Napoléon ! »
Et paf ! Le doigt dans le pot de confiture !!

« Baaaaaaaaaaaaah !! Beurk ! C’est dégoûtant !! »
Et au convive invalide d’être dégoûté, et aux spectateurs jusqu’ici muets d’éclater de rire.

Vraiment, j’adorais le Tombeau de Napoléon.

Coûte que coûte

Il faut que je pense à cette image. Je dois m’efforcer de garder cette image en tête lorsque je me rends au travail.
Je dois y penser lorsque ma peau asséchée me tiraille sur les pommettes parce que j’ai oublié d’appliquer ma petite crème Nickel.
Je dois y penser lorsque je commence à perler au milieu des businessmen et que j’hésite à retirer ma veste parce qu’en dessous je porte une chemisette – achetée par ma mère en 1996, c’est tout ce qu’il me restait de propre.
Et je dois également et surtout y penser lorsque je me fais traiter comme la pire des merdes par mon patron et que je reste imperméable parce que bon, en période d’essai, ça le fait pas trop.

Je dois penser à ce jour où j’étais heureux de me lever à 7h00 du matin, où j’étais fier d’arborer un beau costume au milieu des hommes de la ligne 3. La fierté illuminait mon visage, j’appartenais enfin au grand monde du travail après deux ans de petits travaux. Oui, je dois penser à ce jour où l’on m’a fait confiance. Oui, me dois de penser à ce jour on l’on m’a dit oui.
Car depuis c’est non sur non. Combien de non pèsent ce grand oui ? A quel moment la balance va-t-elle basculer ?
Qu’importe, je me dois de penser à ce oui.

J’y pense et puis j’oublie. C’est la, c’est la vie.

Crier aux trains

J’étais un adulte dans un corps d’enfant. Je ne portais pas le pijama en velours bleu Monoprix comme un bambin mais comme un adulte attardé. Mes jambes étaient poilues à douze ans et mon père s’en moquait gentiment : « Tu es poilu comme un singe. ».
Je les ai rasées.

Je les ai rasées parce que je devais jouer le rôle principal d’une pièce de théâtre en Latin. Je devais porter la toge romaine et montrer mes jambes. Je ne voulais pas du premier rôle. J’ai eu le premier rôle. Grâce à mon nez d’aristocrate romain. J’ai eu le premier rôle de la pièce de théâtre en Latin. Je n’aimais pas mon nez d’aristocrate romain. Je n’aimais pas mon nez d’aigle aryen. Moi je n’aimais rien chez moi.

Moi j’avais un corps d’enfant avec des poils et un nez proéminent. Comme toi, comme toi, mais pas comme eux. Eux ils plaisaient aux filles et ne se posaient pas de ce genre de questions. Moi je pleurais en me les posant. « Je suis mal foutu » avais-je pleuré à ma mère le jour de la goutte d’eau, celle qui fait aborder la vase. « Mais les garçons ne se posent pas ce genre de questions. » Foutaises et je le savais.

Car moi je voulais mourir car je ne comprenais pas. Je pleurais tous les soirs et toutes les nuits dans mon oreiller, pendant cinq ans. Puis encore pendant cinq ans.
L’amour dure cinq ans. Et les cris qu’un instant.
Qu’il est bref le soulagement.
« Tu te souviens de Cabaret ? Tu te souviens de Liza Minelli sous le pont ? Quand elle attend le train pour crier ? Et bien il faut faire pareil de temps en temps. Extérioriser tout ce qu’on garde en soi et qui ne veut pas sortir de son corps. »
Ca c’est de mon Papa. Mon Papa c’est l’plus fort.
Certains amours durent plus de cinq ans.

L’Inconnu de l’Est-Express

Je ne vois pas pourquoi je me fais chier à mettre un costard tous les matins si c’est pour arriver en nage au bureau !
La ligne 3 n’est pourtant pas la plus bondée du réseau. Et ne parlons pas de la 3 bis qui fait office de métro privé par son absence de strapontin (qui se battrait pour s’asseoir le temps de quatre stations ?) et sa température avoisinant la climatisation de la Jaguar de mon père.
Non, la cause de mes sudations matinales c’est lui : l’Inconnu de la ligne 3.
He makes me horny.

Je sais bien qu’il m’a remarqué à force de me croiser tous les matins sur la 3 bis. Et puis avec mon petit carnet gribouillé, je ne dois pas passer pour le plus discret des voyageurs. Quoique les jours où la vieille peau en trottinette et treillis descend à Gambetta, je me fais largement voler la vedette par Miss Gambettes.
Mais lui, l’Inconnu de la ligne 3, reste discret.

Certains jours en costume, d’autres en jeans et sweat à capuche, l’Inconnu de l’Est-Express aime à varier les genres. De toute façon, il porte tout à merveille. Le seul élément qui dénote véritablement dans sa tenue est son énorme casque audio. Surtout lorsqu’il le porte avec son costume. Le décalage entre le businessman et celui qu’il est dans la vraie vie est tel que je me mets à fondre, littéralement.

A 8h30, Amélie Poulain fond littéralement devant Nino Quincampoix.
A 8h30, TacTac fond littéralement devant l’Inconnu de l’Est-Express.

Je n’ai pas pu partager avec lui le même wagon aujourd’hui, tout comme hier. Ce n’était pas physiquement possible. C’est un choix, personne ne s’est interposé entre nous au moment de monter dans le métro. Je ne m’y étais juste pas préparé.

Il est dans le wagon à côté à l’heure où j’écris ces mots. Je pourrais l’entr’apercevoir à travers le hublot mais je ne suis pas psychopathe à ce point. Et puis, de toute façon, il ne me cherche pas du regard. Pas aujourd’hui.

Car il m’a déjà cherché du regard. Ce matin-là, il m’a cherché sur le quai ; j’en ai l’intime conviction.
Probablement pas parce qu’il est gay et que je lui plais. Non, ça je ne le pense pas ; je préfère rester terre-à-terre dans mes rêveries. Il m’a sûrement cherché du regard comme par jeu, comme si ma présence le rassurait, comme si je le confortais dans ses habitudes matinales. Car j’ai lu le soulagement dans ses yeux lorsqu’il m’a trouvé. Comme s’il manquait quelque chose à sa journée sans ma présence sur ce quai.

Car même si je ne me réveillerai jamais dans ses bras, je pourrai au moins dire ça : je suis indispensable aux matins de l’Inconnu de l’Est-Express.

Une soirée sans fausse note

Je vous parle d’un temps que les moins de dix ans ne peuvent ne peuvent pas connaître. Versailles en ce temps-là accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres. Et si le bourgeois garni qui nous servait de nid nous payait de ces mines, c’est là qu’on s’est connu moi qui criait bibine et eux qui courraient nus.

Le week-end, le week-end, ça voulait dire « On est sans eux ».
Le week-end, le week-end, sans les parents on était mieux.

Mes parents partis à la mer, on avait opté pour le taylorisme. Je ferais les courses avec Violaine pendant que Mickaël et Guillaume se chargeraient du gros des meubles, Julie et Anne-Claire des bibelots, Jérôme de la musique et Stéphane de la gueulante.

J’avais 19 ans et je n’avais de numérique que mes 6 en Maths. Les appareils photo numériques n’existaient pas encore ; ou alors seulement chez certaines élites comme Geri Halliwell et Heather Locklear. Julie et Anne-Claire devaient donc faire sans. Et dessiner tous les bibelots de la maison de poupée qu’était la maison de mes parents. La moindre orientation de statuette, la moindre inclinaison d’éventails valenciens. Tout était propice au moindre dessin pour ne pas se faire griller par les parents quand ils rentreraient.

Dans l’escalier voisin, Guillaume s’était plaint de ne pas trouver la gloire : le beau vase onéreux, qui coûtait la peau des yeux, il voulait bien le voir. Et quand je lui dis « Mon beau, celui qu’t’as monté là-haut, valait toutes les étoiles » ; il se mit tout vénère :

« Attends, le vase que je viens de monter c’est celui qui coûte plus de 60 000 balles c’est ça ?
– Puisque je te le dis !
– Mais pourquoi tu m’l’as pas dit avant ??
– Parce que si j’te l’avais dit avant t’aurais eu trop peur de le monter et tu l’aurais peut-être cassé. »

Le week-end, le week-end, ça voulait dire « Y’a pas Maman ».
Le week-end, le week-end, et nous vivions tous de vin blanc.

J’adore regarder ranger les gens.
Je trouve ça fascinant.
Les portraits de famille, les tapis persans, le buste de Maman, les Pléiades, les Dupont, les cendriers en argent, les coussins Bouchara, les bougies Dyptique, la commode Louis XV, la statue de négresse, le tisonnier, l’horloge dorée, les Davidoff, les peintures espagnoles, les Madame Figaro. J’adore.

Et de temps en temps, je casse le rythme :
« On va monter tous les verres en cristal de la cuisine au deuxième étage. »
Les gens arrêtent de ranger et se demandent qui m’a poussé à avoir cette putain d’idée.
« Non mais c’est parce qu’à mes 18 ans la musique était tellement forte que les verres en cristal faisaient un bruit sourd en vibrant. Tu t’en souviens Mickaël ? C’était comme dans le MTV Unplugged de Björk où elle s’amusait à mouiller ses doigts puis à les faire glisser sur le rebord des verres pour en faire de la musique. Exactement pareil. »

Et je remets un verre.
J’adore.
Puis un autre, et un autre. Et ainsi de suite, par deux, jusqu’au deuxième étage, méthodiquement, posés sur le tapis de la pièce de la télé, en espérant que personne ne viendra les briser pendant la soirée.

J’adore regarder bosser les gens.

Tiens, tout a changé ce soir ! Je n’y comprends rien ! C’est la fête ! La fête !

« Vous savez où est Biboul ?
– Beuaaaaaaaaaaaaargh !!!
– C’est bon j’l’ai retrouvé !
– Et Cécile tu sais où elle est ?
– Elle vomit rose dans les chiottes à cause du tarama.
– Encore ??
– Bah Cécile, pleure pas…
– T’as raison Julie, faut pas que je pleure. Faut que je me contrôle. De toute façon, toi t’as plus de problème que moi. Mais pourquoi tu te mets à pleurer Julie ? J’ai dit quelque chose qu’il fallait pas ??
– Quelqu’un a vu Anne-Cé ?
– Je crois qu’elle est au deuxième avec Yannick.
– Putain ils vont me péter mes coupes en cristal ! »

Fais comme l’idiot. Ca vit d’alcool et d’cahuètes un idiot !

« Hey ! Regardez ! J’ai un paquet de chips ouvert sur la tête !
– Putain il est crade ce mec !
– Oh zut il est tombé…
– Mais qui l’a invité ?
– Jérôme ou Stéphane, chais pu.
– En parlant de ton pote Stéphane : qu’est-ce qu’il est beau !!
– Elles ont quoi les gonzesses ce soir ? Elles ont du ketchup dans le cornet de frites ou quoi ??
– …
– Mais qu’est-ce qu’il est con !!
– Miaou !
– Il manque des poils à mon chat ! Qui a arraché une touffe à Réglisse ??
– L’alcool c’est trop nul… Faut faut dire non c’est pas des conneries putain les gars… Tenez c’est c’que j’fait d’ailleurs…
– Non putain ! Pas la vodka dans les plantes !
– Hey les gars, y’a Guillaume qu’est en train de se taper un troll.
– Va te faire foutre Stéphane !
– Y’a plus de gâteau au chocolat ?
– Si si, mais Marc l’a réchauffé trop longtemps dans le micro-onde.
– Regardez, on dirait de la merde !
– Splotch ! Splotch !
– Putain les gars ! Pas le chocolat par terre merde !
– T’as pas encore vu ton canap’ dans l’escalier…
– Dans l’escalier ??
– Youhou ! Ouais ! Youpi !
– Guillaume ! Pierre ! Pas les baskets pleines de chocolat sur le canap’ merde !
– On n’a plus le droit de l’escalader ?
– Mais qui l’a mis comme ça à la verticale ??
– Je crois qu’c’est André. Là il pisse sur le balcon avec Adam.
– Pendant que Clément chie dans la rue.
– Parce que là il s’essuie le cul en une seule fois avec tout le rouleau de PQ. »

Mais jamais rien ne l’empêche l’idiot, d’aller plus haut.

Un beau soir ou peut-être une nuit, près d’une porte Julien s’était endormi. Quand soudain, semblant crever le ciel et venant de nulle part surgit un voisin blafard.

« Tu devrais aller voir. Y’a les voisins qui gueulent. »

Rapidement, les bras agités, rapidement, je le vis s’énerver. Près de moi, dans un excès de zèle, comme guidé par la haine, le voisin vint me parler :
« Non mais vous vous rendez compte du bruit que vous faîtes ? Vous faîtes trembler mon lit !
– Tu veux qu’on lui propose un exorciste à ton voisin ?
– Stéphane, c’est pas le moment…
– Mes enfants n’arrivent pas à dormir !
– Tu veux que je lui dise qu’on se cotise pour leur payer l’hôtel ?
– Stéphane…
– Non mais vous vous rendez compte que mon lit tremble avec mon épouse ??
– Bah c’est peut-être dû à vous ça !
– Ta gueule Stéphane !! »

Il avait des yeux couleurs rubis et un short couleur safari. A son front, perlant de mille feux, l’homme époumoné avait un poireau bleu.

« Dis Stéphane, oh dis emmène-moi. Retournons, à la fête là-bas. Comme avant, comme pour mes 18 ans, pour boire en riant des Tsingtao, des Tsingtao ! »

On a tout mangé les pizzas, on a tout fumé les Julieta. Et comme z’étiez toujours pas là, on a tout vidé le rhum-coca.
J’ai tout replacé les tableaux, j’ai tout repassé les rideaux ; tout rangé les M’dame Figaro que vous placiez dans votre bureau.
Fallait pas partir voilà, il est beau le résultat. Je fais rien que des bêtises, des bêtises quand z’êtes pas là.

Heureusement que Pierre connaissait quelqu’un qui pouvait remplacer une fenêtre en un dimanche de mai. Je me promenais désormais dans la rue avec la nouvelle fenêtre du salon sous le bras. L’ancienne version ayant laissé des grains de verre dans ma peau.
Jérôme m’avait attiré vers lui :
« T’as vu comme elle vibre la vitre avec la musique ? C’est dingue !
– Ah ouais c’est vrai ! Attends je vais toucher pour voir…
– NON !! »

Trop tard.
En explosant, la vitre avait réveillé tout le quartier. Le même bruit que dans les films. Et les mêmes traces de sang sur les mains. Ca saigne beaucoup les mains.
J’étais tellement imbibé par l’alcool que je n’avais pas mal. Mon visage avait miraculeusement été épargné ; c’était l’essentiel.
Les grains de verre resteraient incrustés plus d’un mois dans la paume de mes mains.

J’ai tout remis les beaux tapis, j’ai tout bien refait votre lit, tout bien replacé l’argenterie et épousseté la Bugatti.

Mais une mère reste une mère et remarque le moindre détail. Car en rentrant de son week-end à la mer, la première chose que son inconscient fit tout en me parlant fut de déplacer une statuette de deux centimètres vers la gauche. Le détail qui tue ou ma mère comme Monica Geller.

Je fais rien que des bêtises, des bêtises quand z’êtes pas là.

Enceint jusqu’aux bleus

J’étais là tu vois, elle à côte de moi, on avait 26 ans, on dansait comme des enfants au concert. Au concert.
J’étais là, je voyais sur son corps le ventre, la robe, le bleu. J’en croyais pas mes yeux. Mes yeux.
Et elle qui me disait « J’suis une dure. Tu vois l’ventre là plus bas. J’le sens pas. J’le sens pas. »
J’étais là, j’ai rien dis. Et puis j’suis parti d’chez Zazie. Si je l’ai engueulée ? Ca jamais. Ca jamais.
Cette fille était enceinte, là, dans la fosse. Elle en était fière. Elle était fière d’être conne.

De gueuler « Zaziiiiiiie ! » au beau milieu des passages émouvants.
Et surtout de porter son enfant dans la tumulte et la nuisance.
De lui brûler les oreilles avant qu’elles ne soient formées.
De risquer de le blesser ou même de le tuer dans un mouvement de foule.

Et moi je l’imaginais dans mon ventre.
Je me suis imaginé enceint.

Je portais un enfant dans mon ventre et je me disais : Jamais je ne lui ferais subir ces cris-là, cette enceinte géante au dessus de nos têtes qui risquerait de s’effondrer.
Alors oui c’est facile de penser pendant deux minutes qu’on serait un meilleur parent qu’un autre, qu’il faut vivre aussi et qu’on ne peut pas être constamment aux aguets car de toute façon « ils leur arrivera toujours quelque chose dés qu’on aura le dos tourné ». C’est vrai, mais 9 mois ce n’est pas toute une vie.

Pourquoi « Jessica, 15 ans, alcoolique » aurait-elle le droit d’avoir un enfant et pas moi ?
Qui peut dire qu’elle fera une meilleure mère que moi ou que ce jeune couple hétérosexuel sans le sou ?
« Il faut qu’il grandisse dans les meilleures conditions possibles. »
Tu les connais toi les conditions d’une vie réussie ? Tu les connais toi les clefs du bonheur ?

Quelqu’un a-t-il interdit à « Jessica, 15 ans, alcoolique » de devenir mère ?
Non. Alors pourquoi me l’interdirait-on ?
J’étais là et je n’ai rien fait.

Le choix des mots

Vous avez peut-être déjà vu ça dans les films, lorsque le protagoniste chante pour se rassurer. Confronté à sa plus grande peur, le héros se met à fredonner une berceuse ou une chanson qui le conforte. Et nous dans notre canapé de rigoler doucement : « Ouais genre, c’est hyper crédible. Pour traverser un ravin, moi je me mets à chanter Cadet Rousselle ! Gniarf gniarf !! ». Le paroxysme étant atteint dans Halloween où Jamie Lee Curtis se met à chanter « A la claire fontaine ». Ri-di-cule ! Et pourtant…

It’s so so quiet… It’s oh so still…
Fallait la trouver celle-là. Fallait que je chante cette chanson de Björk alors que ma vie était en train de basculer. Que tout n’était que violence et désespoir autour de moi. Que les gens saignaient autour de nous et que la lumière brillait au bout du couloir. Oui, fallait oser.
Pourtant ces mots avaient leur place ici. Ils me rassuraient. J’avais un peu l’air d’un fou. C’est peut-être pour cette raison qu’on m’a donné des calmants. Pourtant je me sentais calme, maître de la situation. Alors que je ne maîtrisais rien.
Hormis ces quelques mots : It’s oh so quiet.

Alors vous pouvez rigoler de Jamie Lee Curtis mais elle a tout compris : à chacun ses armes pour lutter contre la mort.
Et moi j’ai choisi les mots.

Le sens de la marche

Je sais que les dames âgées préfèrent le sens de la marche. Dans le métro, elles se mettront toujours à côté de nous même si les sièges d’en face sont libres. Ca nous agace. Mais elles se sentent rassurées à nos côtés et ça, ça conforte.

Dans le sens de la marche les dames âgées ne voient pas leur vie défiler. Ca, c’est dans les films. Dans le sens de la marche, elles voient juste défiler des images. Il y a également autre chose dans ces images qui les échappent, mais ce quelque chose m’échappe plus encore. Je l’attraperai un jour, peut-être.

Dans le sens de la marche les dames âgées s’asseyent trop près du bord. J’ai envie de le leur dire. Je crains pour leurs os au moindre virage. Je vois leur châle frémir à deux doigts du sol. Comme la brindille qui supporte le poids du nid.

Et soudain la dame âgée se lève et descend avant moi. Elle soulève avec difficulté la poignée mais y arrive. Sans l’aide de personne, comme elle a sûrement du le faire pendant toute cette journée. Sans imaginer un instant que je la décrivais dans mon calepin ; et maintenant sous vos yeux, cette dame âgée que vous ne connaissiez pas.

Je suis un mauvais coup

Je téléphonais même à l’audiotel de M6 avec le portable du bureau de mon père. Je voulais absolument les entendre fumer leur cigarette dans le jardin. J’étais tellement à fond dedans en 2001. Je passais mes huit heures d’exams quotidiens de concours d’entrée aux grandes écoles de commerce puis, lorsque j’en avais fini de disserter sur Ricardo et Friedman, je filais chez moi retrouver Kenza et Kimy.
Peut-être est-ce du à mon ambition journalière de magnifier le banal que le Loft me parlait autant ? Ou peut-être est-ce parce qu’il me permettait de découvrir certaines sensations absentes de ma routine versaillaise ?
Comme le manque de sexe.

J’ai parfois l’impression que mes posts sont un peu comme les épisodes des Simpson : on pense que ça va partir dans telle direction alors que ça finit par s’aventurer dans un territoire totalement différent. Un peu comme lorsque l’épisode commence par Bart dans la fête foraine et se finit par Homer qui boit une Duff géante avec le Premier Ministre japonais. Bah chez moi c’est un peu pareil : dans ce post, j’ai plus envie de vous parler de sexe que de Loft Story.

« Rholala… J’suis en manque… J’ai vraiment envie de…
– Tût ! Tût ! Mais t’es vraiment une salope toi ! »

C’était Julie la salope et c’était Philippe l’intello qui avait choisi ces mots. Et c’était moi qui étais un peu décontenancé par ce que je venais d’entendre.

En manque de sexe ? Qu’est-ce que ça pouvait dire ? Ce n’était pas avec mes intrusions masturbatoires du dimanche soir devant le téléfilm de MSuce que j’allais connaître ça. Comment voulez-vous que je trouve excitant une nana qui pousse des cris ridicules parce qu’elle se fait soi-disant prendre par un mec aussi viril que moi ? Avec l’image un peu nébuleuse dans un loft parisien, le saxo derrière, le bassin du garçon au niveau du ventre de la fille qui avait gardé sa culotte couleur chair bien sûr ! Absolument pas crédible !
Non non non, je ne pouvais pas connaître le plaisir animal de celui qui est en manque de sexe. C’est un scandâââââle ! On ne peut pas bander dans ces conditions !

Julie du Loft ne pouvait-elle donc pas réprouver son besoin de sexe ? Ces gens qui ne cherchaient qu’à baiser ne pouvaient-ils pas penser à autre chose ? Comme faire des macramés par exemple ?
Et bien non. Car il semblait que le sexe était comme le kite surf : une fois qu’on y avait goûté, on ne pouvait plus s’en passer – ça c’est Loïc Le Meur qui le dit, car moi à part le Space Mountain je ne suis pas trop sports extrêmes.

Mais les choses ont bien changé depuis 2001 puisque je préfère aujourd’hui me faire propulser au septième ciel par un gentil astronaute que par une rutilante fusée de la Fête à Neuneu.
Enfin, je parlerais plus d’hier que d’aujourd’hui…

Je crois que je peux le dire : je suis un mauvais coup.
Oui je sais, c’est la fin d’un mythe. Un peu comme si Ikare révélait qu’il est hétérosexuel, que Garoo avouait qu’il n’a pas dépassé le niveau 2 de Tetris ou que Matoo se faisait chopper en train de copier une chronique de film dans le Journal de Mickey. Ouais, je sais, c’est moche.
Mais ce n’est que passager.

Car j’ai adoré le sexe et je le faisais bien comprendre. J’ai vu l’orgasme sur leurs visages. A lui, à lui, à lui, mais aussi à lui. Au brun, au blond, au poilu, au musclé, au chauve, au gros, au New-Yorkais, au Thaïlandais, au Syrien, au Black ; oui, tous je les ai fait. Et ils aimaient ça. Ma façon de les embrasser délicatement puis de finir de la plus excitante façon. Mais las je suis là.
Et ils le sentent. Le petit minet la dernière fois, et lui aussi dans mon lit, et le jeune cadre marseillais. Oui, j’ai été nul.
Parce qu’autrefois ma tête demandait à ma queue de se calmer, mais ma queue n’en faisait qu’à sa tête. Alors qu’aujourd’hui ma tête n’a plus besoin de le demander à ma queue qui s’exécute d’elle-même. Ma libido n’a ni queue ni tête.

Car je passe à autre chose au lieu d’être la chose qui passe. De mains en mains on ne me porte plus ; je me porte tout seul. Comme un grand. Comme un adulte ? Peut-être, bientôt.

En attendant, je suis très fier d’être un mauvais coup. Car je suis le mauvais coup des Mauvais, en attendant d’être le bon coup du Bon.

L’odeur de ton odeur

Maman a toujours raison : « Le sexe n’est sale que lorsqu’on ne se lave pas ».

Ce n’est pas que je me sente sale après l’amour, c’est juste que j’attache beaucoup d’importance au nettoyage de mon visage, peut-être plus qu’à d’autres parties de mon corps. Pourtant ne s’y dépose que de la salive – le plus souvent. J’ai alors l’impression que tout le monde dans la rue devine ce que je viens de faire et je deviens alors parano :

“ Police ! Plus un geste ! On sait que vous venez de baiser ! Ca sent le sexe jusque chez Madame Gilbert qui habite au 5ème !! ”

J’ai toujours détesté l’odeur de salive sèche.
Je me souviens particulièrement de ma mère qui se léchait le majeur et l’annulaire d’un coup vif de langue afin de m’effacer une trace de feutre sur le nez. Un coup de bave sur la patte et hop ! C’est bon mère lionne, je ne suis pas Simba ! Baaaaaaaaaah !!

Qui n’a jamais été dégoûté par ce geste maternel remontant probablement à la louve romaine ? En échange d’un bon p’tit coup d’patte baveuse, je suis convaincu que Romulus et Remus aurait préféré un bon vieux savon de Marseille des familles.

Bien que je n’aime pas l’odeur de la salive sèche, il existe une odeur corporelle que j’apprécie particulièrement. Mais pas chez les garçons. Nan nan.
Chez les filles.

Car oui les filles ont un avantage sur nous les garçons. Outre le fait qu’elles peuvent ne pas trouver dégueulasse une brosse transformée en un amas de cheveux morts, les filles ont le cuir chevelu nettement plus parfumé que celui des garçons.
Je vous met au parfum : c’est du aux phéromones ; qui me transportent et qui m’excitent.

Les phéromones me transportent jusqu’à Tatiana et à nos barquettes de fish & chips à Portsmouth. Les cheveux qui sentent bon, c’est d’abord Tatiana.
Ce sont ses cheveux soyeux de Bolivienne qui dégageaient mille subtils parfums. C’est mon nez qui venait plonger dans les essences florales de son crâne. Parfums de crâne, parfum de tête, parfum de cœur et parfum de fond. Au fond, tout était parfait. Au fond, tout était prétexte au discernement et à la dissociation de mes sens.
Je m’égare, je m’égare comme je m’égarais dans ses cheveux.

Les phéromones m’excitent et tu comprendras mieux VideoGirl pourquoi j’aime tant plonger mes narines dans tes cheveux.
Fishisme de Richard Fish et Ling n’est pas bien loin. Que Lucy Liu me fouette avec son cuir chevelu et j’éprouve plus de plaisir qu’avec la cravache Hermès de mon amie Marie-Cécile. Barracuda !!

« MC », elle qui bosse dans les parfums, aime ça et sent divinement bon car elle sent la vivante. Contrairement à moi, pauvre Blanc, qui ne sait pas sauter et qui sent le mort ou la salive séché lorsqu’Egoïste Platinum s’évapore.

Je sens que c’est la fin de ce post.