Crier aux trains

J’étais un adulte dans un corps d’enfant. Je ne portais pas le pijama en velours bleu Monoprix comme un bambin mais comme un adulte attardé. Mes jambes étaient poilues à douze ans et mon père s’en moquait gentiment : « Tu es poilu comme un singe. ».
Je les ai rasées.

Je les ai rasées parce que je devais jouer le rôle principal d’une pièce de théâtre en Latin. Je devais porter la toge romaine et montrer mes jambes. Je ne voulais pas du premier rôle. J’ai eu le premier rôle. Grâce à mon nez d’aristocrate romain. J’ai eu le premier rôle de la pièce de théâtre en Latin. Je n’aimais pas mon nez d’aristocrate romain. Je n’aimais pas mon nez d’aigle aryen. Moi je n’aimais rien chez moi.

Moi j’avais un corps d’enfant avec des poils et un nez proéminent. Comme toi, comme toi, mais pas comme eux. Eux ils plaisaient aux filles et ne se posaient pas de ce genre de questions. Moi je pleurais en me les posant. « Je suis mal foutu » avais-je pleuré à ma mère le jour de la goutte d’eau, celle qui fait aborder la vase. « Mais les garçons ne se posent pas ce genre de questions. » Foutaises et je le savais.

Car moi je voulais mourir car je ne comprenais pas. Je pleurais tous les soirs et toutes les nuits dans mon oreiller, pendant cinq ans. Puis encore pendant cinq ans.
L’amour dure cinq ans. Et les cris qu’un instant.
Qu’il est bref le soulagement.
« Tu te souviens de Cabaret ? Tu te souviens de Liza Minelli sous le pont ? Quand elle attend le train pour crier ? Et bien il faut faire pareil de temps en temps. Extérioriser tout ce qu’on garde en soi et qui ne veut pas sortir de son corps. »
Ca c’est de mon Papa. Mon Papa c’est l’plus fort.
Certains amours durent plus de cinq ans.

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