Muscle ton corps

« Non mais c’est qwoaaaaa c’blaireau sur l’podium ?
– T’as vu comment il danse ? On dirait un handicapé.
– Mais pourquoi il danse avec les deux bras en bandoulière ?
– Apprend à déplier les bras mon gars !
– Laet’ tais-toi ! On va s’faire remarquer !
– Ouais et après c’boulet va croire qu’on l’drague !
– Quelle ho-rreur !
– J’parie qu’il est encore puceau.
– Tu m’étonnes…
– Dîtes les filles, c’est pas le même mec qui dormait tout à l’heure à côté de la grosse ? »

Oui, c’était bien moi qui m’étais endormi à côté d’une grosse sur les fauteuils du Duplex. Et elles avaient également raison sur le fait que j’étais encore puceau à 18 ans, et que j’étais dans l’incapacité de déplier mes bras.

C’était l’été où je bossais à La Défense. Je m’occupais de trier le courrier des expatriés d’un grand groupe pétrolier français (on se demande bien lequel…). Autant dire que je me faisais profondément chier et que je n’hésitais pas à ouvrir délicatement les cellophanes des Studio Magazines qui passaient entre mes mains afin de les feuilleter.

Ce midi-là j’avais décidé de tester la salle de sport de la Tour où je bossais. Vu les darons qui y traînaient, je ne complexais nullement sur mes muscles inexistants. Allez hop on était parti !
Une, deux, une, deux ! Altères. Hop, hop, hop ! Truc machin chose qui me fait soulever des poids. Voilà. Et puis ce bidule-là aussi, ça a l’air bon pour mes bras. J’avais l’impression d’être dans une pâtisserie du sport où je demandais à un serveur imaginaire de me servir plein d’exercices différents sur un plateau. Et comme dans une pâtisserie orientale, je ne connaissais aucun nom de ces mets incongrus.
En tout, j’avais du passer presque une heure à développer mon futur corps de rêve. A ce rythme-là et en y allant tous les midis, je serais beau comme un camion sur les plages en août.

Et en effet mon corps se transforma en quelques clics d’haltères, puisque dés l’après-midi je sentis mes biceps se raidir. Subissais-je une mutation génétique accélérée comme le jeune Spiderman ? Devrais-je prochainement remplacer toutes mes chemises comme l’incroyable Hulk et prendre une carte de fidélité chez Zara Homme ? Non, je développais tout simplement une tendinite au bras droit.

Quel con, non mais quel con ! A vouloir trop soulever, je ne pouvais même plus soulever le loquet de la porte qui me retenait à mon bureau. Le soir-même, mes potes se foutèrent bien de ma gueule malgré le coude valide qui me servait à lever les verres.
L’après-midi suivant, je me rendis au centre commercial Parly II avec mes parents. Et tout en essayant une paire de baskets, je dus appeler d’urgence un vendeur : « Excusez-moi jeune homme, mais heu… J’ai comment dire… Un léger problème. »

J’étais également devenu incapable de déplier mon bras gauche. Je me retrouvais avec une double tendinite qui m’empêchait de nouer mes lacets. Les deux bras repliés, je me retrouvais invalide et dans l’obligation de demander de l’aide à un vendeur pour chausser mes baskets.
Je vous présente Cendrillon l’handicapée.

« Non mais sérieux quoaaa, il a l’air trop con ce mec avec les bras repliés sur le podium !
– Je sais pas. T’as vu comme il rigole avec ses copains ? Il a l’air heureux comme ça finalement. »

Lettre au jeune lecteur

Il n’est pas aisé de donner le nom de ce site lorsque je rencontre un garçon. Et pourtant souvent je le fais.

A la question « Que fais-tu de ton temps libre ? », je ne réponds pas que je sors, que je vais au ciné, que j’aime les animaux et le rire des enfants, non, car ça fait tarte. Je réponds que j’écris. Même si ça fait pompeux.

« Ah bon ? T’écris quoi ? »
Alors j’essaie vaguement de décrire ce que j’écris tout en me disant « Comment tu te la pètes ! T’as jamais publié ! » et je termine en disant que j’ai un blog. Et c’est là que ça se complique.

« C’est quoi l’adresse ? »
Et là, en fonction de mon humeur, je la donne ou je ne la donne pas.
A. avait dévoré mes posts en une nuit après que je lui ai envoyé le lien. Ca m’avait beaucoup touché, pourquoi le nier ? Mais ce qui m’avait surtout touché était qu’il continue à s’intéresser à moi malgré ce qu’il avait lu.

Car je me dis toujours : le mec qui va découvrir mes posts ne va-t-il pas flipper d’un type qui discute avec son poisson rouge, ses paquets de Kleenex et qui tourne dans des clips dans le métro ? Franchement, tout ça est peut-être drôle mais est-ce véritablement attirant ? Tout cela ne manque-t-il pas de mystère ?

Mon amie Maggy disait toujours : « Les gens mystérieux n’existent pas ; y’a juste des gens qui n’ont rien à dire. »
Pourquoi Ally McBeal serait-elle la seule à être touchante et attirante tout en affichant ses gamelles et ses névroses ? Manque-t-elle pour autant de mystère ? Non, car Larry Paul n’a jamais fini par la comprendre, elle qui semblait aussi transparente que l’eau pure des volcans de Volvic.
Ce n’est pas parce que je déballe certains aspects de ma personnalité que je deviens aussi facile à lire qu’un bouquin de Marc Lévy. Cela semble une évidence et pourtant, certains garçons s’arrêteront à ces mots.

J’espère que cette fois ce ne sera pas ton cas.

Dans les dents

« Mamie accrochait ma dent de lait à un petit fil de la vierge…
– Oui…
– Puis elle accrochait l’autre bout à une poignée de porte…
– …
– ET CLANG ! ELLE CLAQUAIT LA PORTE !!!
– Ouuuuiiiiiiiin !! Je veux pas que tu me fasses ça à ma dent Maman !! S’il te plait, non, pas çaaa !! »

Fallait pas me raconter des conneries comme ça Maman, tu le regrettes encore aujourd’hui :
« Mais pourquoi ne voulais-tu pas que je t’arrache les dents de lait quand tu étais petit ? Pourquoi préférais-tu aller chez la voisine ?
– Parce que.
– Parce que quoi ? Ca aurait été aussi douloureux avec moi qu’avec Joëlle !
– Nan. Ca faisait pas mal avec Joëlle. »

« Joëlle ! C’est moi ! J’ai une dent qui va bientôt tomber ! »
Joëlle c’était la voisine du 5ème, la maman de Yoyo mon super copain. Yoyo il a un an de moins que moi. C’est un petit. Mais c’est quand même mon copain. Alors que Robin mon voisin d’en face qui est super aussi – même s’il a une Barbie et que les Barbies c’est pour les filles, bah Robin il a un an de plus. Et même si c’est un grand, bah c’est quand même mon copain.
Joëlle elle est super, elle nous apprend plein de trucs. Une fois, Yoyo il a fait la chose qu’il faut pas faire avec le doigt du milieu, le grand doigt. Et bah elle nous a grondés et nous a expliqué ce que ça voulait dire. C’est vraiment pas un truc à faire car ça veut dire quelque de très très moche. Tu veux savoir ? Tu le gardes pour toi hein ? Bah ça veut dire que tu veux que la personne à qui tu fais ça se coince le zizi dans une porte. J’te jure qu’c’est vrai ! C’est Joëlle qui nous l’a dit ! Ouais moi non plus je savais pas. Bah maintenant je vais plus le faire à personne. C’est vraiment un très gros mot.

Avec Maman la seule fois où ça pas fait mal c’est quand la dent est tombée en croquant le humburger du McDonald. C’était super génial tu te rends compte ? La dent est tombée quand j’ai croqué dans le humburger du McDonald ! C’est la fois où ça été le plus chouette de perdre une dent de lait.

« 1, 2 et… » (Je ferme très fort les yeux.)
Schtock !
Ouais, avec Joëlle ça faisait pas mal du tout.
Mais c’est pas elle qui connaissait le Petite Souris. Ca, c’était Maman.

On doit toujours rêver

Arthur m’a dit : « Si tu le tournes bien, ça peut faire un bon post. » J’ai donc la pression.

Mais pas autant que samedi soir lorsque je me suis aperçu qu’il était là.
« Il est là ! Il est là ! Il faut absolument que t’ailles lui parler », m’ont-ils tous dit.
Je suis allé me chercher un kyky-coke pour me donner du courage. Puis un autre. Et un autre. Au bout de mon demi-décalitre de pur Malt coupé à du faux Coca et de ma trente-sixième cigarette, j’étais enfin prêt à aborder.
Mais pour lui dire quoi au juste ??

« J’adore c’que tu fais ! » : entendu mille fois.
« J’ai tous tes albums ! » : ça fait tâche, surtout lorsque le gars n’en a sorti qu’un.
« Je suis un de tes plus grands fans ! » : effrayant.
« Tu danses ? » : ringard.
« Rejoins-moi dans les toilettes. » : Peut-être un peu trop direct…

Ikare a pris les derrières pour moi : « Allez, on va le voir !
– Mais heu pas maintenant, il fait trop chaud… ».

« J’ai adoré ta reprise de Moule sentimentale. »
Il faut préciser que la musique de la soirée cachait un peu la nature de leurs propos. Mais a priori, Ikare et lui avaient beaucoup de points en commun à en constater leurs éclats de rire. Et ça, ça m’a un peu agacé.
Mais Ikare est mon Ikarchoo à moi et il est kromimi-choopynoo-guylyguyly, et c’est pourquoi il m’a subtilement refilé la patata caliente : « Et là tu vois, c’est un pote qui est fan de ce qu’te tu fais ! J’vous laisse enseeemble ! »

Noooooooooooooon !! Pas comme ça Ikaaaaaaaaaaaaaare !!
Pas en lui disant que je suis fan et que j’adore c’qu’il fait !!

Mais le garçon était charmant et avait autant de discussion qu’à la télévision. Lorsque je n’enchaînais pas de peur de faire ma Susan Mayer, lui me relançait sur mon prénom, nos racines communes, ce restaurant où je l’avais aperçu sans oser l’aborder, et même sur mon métier qui avait l’air de l’impressionner ! La discussion se passait bien, très bien même.
Et pourtant je l’ai interrompue.

Now that I’ve met you
Would you object to
Never seeing each other again

Magnolia n’est pas un de mes films préférés pour rien. Evidemment qu’il y a Julianne Moore dans la pharmacie, mais il y a surtout Claudia qui se refuse à l’amour.
Jim le policier lui propose son amour dans un restaurant de LA. C’est beau, trop beau pour elle qui ne peut accepter une telle chose de peur de la salir, de la souiller. C’est pourquoi elle préfère mettre un terme à leur discussion, pour que le souvenir reste intact, encore plus beau que l’amour qu’ils auraient pu vivre ensemble. Entr’apercevoir le bonheur lui suffit, le ternir ne serait-ce qu’un instant lui serait insupportable.

C’est pour cette raison que j’ai mis un terme à la discussion avec le chanteur, lui dont les textes me font autant frissonner que son grain de voix. Pour ne pas prononcer de mots que j’aurais ensuite regretté. Pour que le souvenir reste là, intact, dans ma mémoire.

Lorsque je l’ai vu reprendre ses affaires au vestiaire, je me suis juste autorisé à lui dire au revoir. Le temps d’apprendre qu’il sortira au printemps prochain de nouvelles chansons, lorsque les magnolias refleuriront, et qu’alors peut-être nous nous connaîtrons, lui et moi, le chanteur qui me donne des frissons.

Mon petit canard

Je peux dater avec précision l’instant où j’ai arrêté d’être un enfant.
Non, ce n’est pas lorsque j’ai surpris mes parents en train de faire tac tac, ni lors de mon premier chagrin d’amour à 11 ans. C’est lorsque j’ai arrêté de faire joujou avec mon gros canard en plastique.

Mes parents étaient alors des pestiférés et se faire surprendre à leurs côtés dans la rue était considéré comme la pire des ignominies.
Trop la honte.

Biboul m’avait raconté qu’il avait rencard ce mercredi après-midi avec Alice Minou – on la surnommait comme ça car on disait qu’elle avait déjà couché avec un garçon. Ca m’avait rendu admiratif de Biboul.
J’avais alors raconté ça à ma mère qui tout en faisant le nœud de mon écharpe et en fermant mon manteau m’avait répondu que j’aurai tout le temps pour ce genre de choses.

Pendant que nous marchions main dans la main avec ma maman, lors de notre rituelle promenade du mercredi après-midi dans la rue de la Paroisse, je n’avais de cesse de penser à Biboul et à Alice Minou. Je les imaginais en train de s’embrasser avec la langue et ça me rendait très envieux. Non pas que je veuille particulièrement embrasser Alice Minou – j’étais très amoureux de Violaine à l’époque, mais je voulais absolument savoir ce que ça faisait, d’embrasser d’une fille.
J’avais envie de faire comme les autres.

Je me disais ça tout en chevauchant un canard mécanique jaune devant une boucherie. Ma mère avait inséré 10 FF dans la fente et hop c’était parti pour deux minutes de fête ! Sauf que là, ce n’était pas du tout la fête. Je me sentais très très con sur ce canard géant.

« Maman ! J’en ai marre je descends ! »
J’avais l’impression que tout le monde autour de nous avait remarqué mon petit manège, surtout la tête de porc dans la vitrine de la boucherie :

« Hé ! Petite larve ! Je suis toi-même et je te parle
Tu es déjà grand alors lève-toi sors de ta cale »

Au porc, au porc…

« Ton cœur de petit garçon est mort. »

Je suis étudiant

C’est pour ça que je ne voulais pas venir au séminaire d’intégration, pour toute cette beuverie et cette bêtise ambiante.

« Le pichet ! Le pichet ! »
Et voilà qu’un auto-surnommé « Baleine », pesant pas moins de 115 kilos, se tenait debout sur une table un pichet de rouge dans la glotte.
« Il est des nôôôôôtres ! Il a bu son verre comme les aaaauuuuuutres ! »
Juste avant, un autre bizuth s’était essayé à l’exercice avec beaucoup moins de succès. L’assemblée s’était alors exclamée : « Il a pas d’orgaaaane ! Il a pas d’orgaaaane ! Zéro ! Zéro ! Zérooo ! Zérooooo !! »

Et dire que j’allais passer trois ans dans cette école. J’étais catastrophé.

« Bataille de bouffe ! »
Oh putain non ! Bien sûr j’avais été assez con pour me ramener au sémi d’inté avec un nouveau t-shirt désormais maculé de Paella.

« STOOOOOOOP ! »
Ah, il y avait enfin quelqu’un d’un peu responsable dans cette école qui allait sensibiliser les 400 personnes présentes dans le réfectoire à la cause de la faim dans le monde et demander d’arrêter de jouer avec la nourriture.

« Je suis étudiant ! »
Hein ??
Et là,400 personnes reprirent en chœur : « Je suis étudiaaaant !!!
– Et je suis ESC !
– Et je suis ESC !!!
– Et je sais jouer !
– Et je sais jouer !!!
– De la grosse miche !
– De la grosseux micheux !!! »
Et là tout le monde reprit de plus belle « Miche miche miche ! Miche miche miche ! Miche miche miche ! Miche miche miche ! Miche miche miche ! Miche miche miche ! Miche miche miche miche miche miche miche ! » en mimant une grosse paire de loches.
J’avais le choix entre être à nouveau catastrophé ou bien accepter cette profonde connerie et exploser de rire. J’explosai de rire.

Comment ne pas se joindre à tout le monde pour chanter les miches, les bites, les clitoris, la sodomie et les gros culs qui pètent ? (Respectivement « Miche miche miche », « Bite bite bite », « Tss tss tss », « Aïe aïe aïe » et « Prout prout prout »
Et oui, j’ai repris en chœur « Prout prout prout » en simulant des flatulences debout sur une chaise en compagnie de 400 personnes. Le spectacle était ridicule. Mais qu’il était jouissif d’appartenir au degré zéro de l’intelligence. Et sans prétention : putain que ça faisait bien d’être aussi con ! De juste prendre conscience de l’insouciance que procure la vie étudiante.

L’année suivante, c’était moi qui montais sur une table pour entamer « Je suis étudiant ! » devant des bizuths médusés.

Lapin dixit

« Ca suffit maintenant. Tu viens d’aller deux fois aux toilettes pendant le cours. Je pense que c’est amplement suffisant.
– Mais j’ai mal au ventre… »

La maîtresse n’avait rien compris. Ce n’était pas de ce mal au ventre là dont je souffrais, pas celui qui disparaît en faisant caca. Non, c’était là le plus gros mal de ventre que j’ai jamais eu. Mais comment le dire à la maîtresse quand c’est La Maîtresse et qu’on a que six ans ?

J’étais là devant l’école des Raguidelles à attendre ma grand-tante pour aller déjeuner des coquillettes à la maison. J’avais tellement mal au ventre que le chemin jusqu’à la résidence ne me parut jamais aussi long. En arrivant, il fallut appeler le Docteur Darragon. Je pleurais tellement la douleur était forte. Ma mère souffrait avec moi ; c’est ça la compassion.
« Appendicite », diagnostiqua le Docteur Darragon. « Il faut l’emmener d’urgence sinon il va faire une pérétonnite. »

Dans quel centre hospitalier souhaitez-vous que votre enfant soit transféré en cas d’urgence ?
Ca ne vaut pas la peine de remplir ces formulaires à chaque rentrée des classes si c’est pour voir son gamin souffrir sans considération au fond de la classe.

« Maman ! Argh ! J’ai maaaaaal au veeeeentre !
– Hein ? Toi aussi ?? »

Au bout de deux semaines, l’inflammation de l’appendice se déclara également chez mon frère. Un mimétisme fraternel qui fascina mes parents autant qu’il les affola.

A son réveil de l’anesthésie, mon frère manifesta les mêmes signes que moi : pertes des repères et besoin de la mère. Mais également de très fortes douleurs au ventre, ce que moi je n’avais ressenti à mon réveil. De même, je n’avais éprouvé cet irrésistible besoin de vérité propre à mon frère :

« Argh Maman ! Ce que ça fait maaal ! Argh !
– C’est normal mon chéri, calme-toi…
– Non mais tu comprends paaas ! J’avais pas prévu que ça ferait si mal !!
– Prévu ?
– Oui, pardonne-moi…
– Pardon ?
– Il faut que je te dise la vérité Maman… J’ai jamais eu lapin dixit, j’ai voulu faire comme mon frère car j’avais un contrôle de Maths le lendemain et… Argh ça fait maaaaal Maman ! »

Mes parents n’en revenaient toujours pas de ce qu’avait prétendu mon frère. Et moi je fermais ma petite bouche, me sentant coupable malgré moi de ce qui était advenu.

« J’ai faim Maman… C’est pas bon ce qu’ils me donnent à manger ici…
– Si j’étais toi, je me la jouerais discret.
– Mais Maman ! J’ai faim ! Ouiiiin !! »

En sortant de la clinique ce jour-là, ma mère repensa à ce que lui avait dit son fils sur son lit et, en voyant un appétissant sandwich dans une vitrine, l’acheta. Elle l’enveloppa soigneusement dans du papier aluminium tout en imaginant le plaisir que son fils aîné aurait à déballer cette collation. Elle savait qu’elle ferait un heureux.

« Tiens, je t’ai apporté ça aujourd’hui.
– Oh Maman super un sandwich !!
– Oui.
– C’est tellement mauvais ce qu’ils me donnent ici à manger…
– Oui oui.
– Mais il est bizarre ton sandwich non ? »

Pour être bizarre il l’était. Ce que ma mère avait offert à mon grand frère était en réalité un bloc-notes en plastique très réaliste en forme de sandwich en pain de mie au jambon-fromage . Mon frère était dégoûté et hyper vexé que ma mère le traite ainsi.

« Bien fait ! Ca t’apprendra à mentir ! Ah ah !! »

Famille de sadiques.

Les cadeaux à Papa-Maman

« Oh… Merci mon chéri…
– Quand j’ai vu cette petite cuillère de collection dans le magasin de souvenirs de la mine, je me suis dit que c’était fait pour toi !
– C’est ma-gni-fique mon chéri ! Regarde comme ta Maman est contente ! Bah tu ne souris pas mon amour ?
– Oui oui je souris. C’est vraiment heu… très beau. Mais dis-moi mon chéri, tu ne donnes pas son cadeau à Papa ??
– Oh oui !! Tiens Papa ! Ca c’est pour toi !
– Oh… Des chaussettes…
– Avec le dragon rouge du Pays de Galles dessus !
– Comme ton Papa va être beau avec ça ! N’est-ce pas que tu vas être beau mon amour ? Bah quoi ? Tu ne souris pas ? »

Trip the road Jack

« Il m’a filée de la Jack.
– De la Jack ?
– Ouais, je connais pas. Ca vient d’Hollande il m’a dit. »

Le voisin de Laetitia allait souvent aux Pays-Bas et ramenait de quoi alimenter ses petits plaisirs quotidiens.

Ca faisait plus d’une heure qu’on révisait le partiel de Gestion des Coûts du lendemain. Ou « visait » plutôt, car elle comme moi découvrions cette matière barbare remplie de chiffres et de trucs tout chiants qui donne des boutons.
C’était le moment de faire une pause.

Je la regardais rouler. J’admirais sa dextérité. Car les rares fois où j’ai roulé au lycée, je n’ai obtenu que de très vilaines guez-mer. Elle, Laetitia, faisait ça sur un cd de Jamiroquai tout en continuant à me parler de Mingniouk, Anne-Laure, Martial et Lorenzo.

« Tu tires en premier ?
– Bah non, c’est toi qui t’es fait chier à le rouler. »

Bien que je ne fume qu’extrêmement rarement (de l’herbe ou du shit hein, des cigarettes c’est pas fumer), j’ai toujours eu les bons comportement et vocabulaire du drogué. Aucun bad trip et quelques expressions lancées du genre « Qui veut le cul de mamie ? » m’ont toujours permis de me rapprocher des meilleurs éléments des Terminales L.

« Putain c’est fort ton truc quand même !
– Grave ! Hihihi ! Il m’a dit que ça s’appelle de la Jack.
– De la Jack ? C’est bizarre comme nom.
– Grave. Hihihi. Bon, on se remet à bosser ? »

Curieusement la Gestion des Coûts passait vachement mieux avec de l’herbe dans les neurones. Les chiffres n’étaient plus aussi rebutants et je comprenais en deux secondes la logique des tableaux de répartition des coûts d’entreprise.
J’avais très faim en revanche.

Il restait du pain de mie à Laetitia. Parfait, je mordais dedans lorsque soudain, j’eus une révélation :

« Laet’ ! Regarde Laet’ ma tranche de pain de mie !
– Bah quoi ?
– Bah regarde sa forme !
– Et quoi ?
– Bah regarde bien. Tu vois bien quelque chose dedans !
– Heu… Attends.
– Alors tu le vois ??
– Ouais c’est trop drôle on dirait M !
– Hein ??
– M ! Le chanteur !
– Mais non c’est un chien qu’on voit dedans. Tu l’vois pas ?
– Bah non c’est M, la forme des cheveux et tout là…
– Mais regarde bien, on dirait un chien !
– Bah non, j’vois M ou alors un peu Jimmy Hendrix…
– Attends, j’vais te dessiner l’chien. »

Et c’est ainsi que j’ai dessiné un chien à la tête disproportionnée jusqu’à ce qu’elle le reconnaisse dans une tranche de pain de mie mordue.
C’était quand même vachement plus facile le jeu des formes de nuages lorsqu’on était gamins.

Nous finîmes de réviser la Gestion des Coûts vers 3h30 du matin. J’en « peup’sais ».

« Laet’, il nous reste quoi comme matière à réviser pour demain ?
– Heu, attends. Je prends le planning. Voilà : Finance.
– Finance ??? Mais y’en a au moins pour 6 heures de révisions !!
– Ouais. Hihihi.
– Bon bah tant pis, je rendrai copie blanche. Je vais me coucher.
– Bonne nuit !
– Te couche pas trop tard hein ?
– Promis.
– Et c’était quoi déjà le nom du truc de ton voisin ?
– De la Jack ? Ca vient d’Hollande.
– Ah ok. Un peu fort quand même.
– Ouais, un petit peu quand même. »

De la Jack, j’essaierai de m’en rappeler.

La rentrée charcutière

Forcément que ça me fait quelque chose lorsque je vois tous ces bouquins dans les librairies. Non pas ceux bien rangés par ordre alphabétique, non, mais ceux religieusement posés sur les étals. Les nouveautés. La rentrée littéraire. La boucherie intellectuelle.

Lorsque je tape azerty à l’envers sur mon clavier je tombe sur Reza, Yasmina de son prénom. La pile la plus basse de l’étal. La couenne a beaucoup de succès cette année. C’est normal, il fait froid.
Aussi minces qu’un Voici, voilà les bébés sulfurisés. Il faut moins de temps pour les écrire que pour les congeler. Tout est question de froideur chez Mazarine Pingeot.
De la chair à saucisse en veux-tu en voilà. Je te fourre le dindon de farce pendant qu’Amélie s’occupe de toi. Fidèle au rendez-vous la Nothomb ne fait jamais la queue : c’est elle qu’on vient voir.

Forcément ce n’est que jalousie de ma part envers ces dames, car ces viandes froides réchauffent aussi mes mains dans le métro. C’est juste que je voudrais également poser ma livre de pâté d’écriture chez les libraires. Simplement défendre mon bifteck.
Mais en attendant, je fais la queue comme tout le monde.