A.

C’est ce qui m’aura poussé à écrire.

Le psychologue avait insinué que j’aimais les garçons. C’était une raison suffisante pour interrompre les séances. Trois c’était plus qu’assez, surtout à quatorze ans.
« Il faut qu’il aille voir quelqu’un. Après ce qu’il vient de vivre, il faut qu’il en parle. »
Je n’en parlerai pas ; je l’écrirai.
Car si le psychologue m’avait donné un bon conseil c’était celui d’écrire. De m’exprimer.

Le 7 mai je vieillis et le 8 je maudis. Pas mon anniversaire mais celui de la ride à mon sourire. Et à 00h05 chaque année quelque chose, une joie, une dispute, un baiser ou une lutte. Ce soir ce sera ça, ces quelques mots qui disent que je suis là, toujours là. Même si on ne voit pas, A.

La galanterie inversée

Elle a senti que je voulais m’asseoir. Comme une évidence. La galanterie inversée m’est insupportable mais là je n’avais pas le choix : je devais m’asseoir.

Qu’a-t-il bien pu pousser cette Japonaise sophistiquée à me céder sa place dans le métro ? D’habitude c’est moi le galant, d’habitude c’est moi le cédant. Et elle a même poussé le vice jusqu’à me poker. Les écouteurs et le stylo à la main, j’étais bien trop occupé à décrire une infusion d’eucalyptus pour l’entendre me héler : « Il y a une place de libre ! ». C’est le stylo dans ma main, c’est le papier en sous-main qui l’ont poussée à me réserver la place. Elle a du s’inquiéter du sort de cet homme qui écrivait penché dans le métro. Sans une barre à laquelle s’agripper, le stylo devenait une arme à chaque virage.

La Japonaise aime son Prochain et ce n’est pas l’amour de l’Art qui l’a poussée à me faire asseoir : c’est l’amour de son œil et de ceux de ses voisins.

100% de mon temps

Je me fous une pression, je me fous une pression de dingue à vous pondre des textes tous les jours.

J’y pense en marchant. En me promenant je recueille des impressions, je glane l’air frais et mets des mots dessus. Quel mot définirait le mieux cette légèreté que je ressens ou au contraire ce poids mort que je sous-tends ? Tout ça pendant des heures à l’obsession. Ressentir dans la solitude de mes promenades ne me suffit pas : je dois partager, être productif.

« T’as booké un graphiste ? », « On respecte pas le planning là », « Sur ce projet on fait trop peu de marge ». La journée je ne peux penser à mes récits, à mes bons mots et à ces petits bouts de papier. Mon temps de cerveau disponible est occupé par mon boulot ; ce qui est plutôt rassurant pour mes patrons.

En revanche j’y pense le soir en rentrant. Aussitôt rentré dans le métro, je cherche une place assise pour ne blesser personne avec mon stylo. Le cerveau en compote, je cherche encore à produire après dix heures de travail. Je ne m’arrête jamais. Car lorsque je m’arrête je meurs ; je déprime.

Lundi de Pâques, journée triste. Aucun métro, aucun doux mot. Aucune pression, aucun objectif. Le repos comme la petite mort. Ecrire me repose car me fait voyager, penser autrement, ordonner mes idées. Mettre des noms sur les belles choses n’est pas les étiqueter, ça permet de plus longtemps les aimer.

Alors oui je me mets la pression pour mes brouillons et oui j’en parle un peu plus que de raison. Mais si j’ai une passion c’est bien celle d’écrire, et elle mérite bien de s’y donner à fond.

Le refus du résumé

J’ai l’impression d’être un garçon bizarre. Je me donne peut-être trop d’importance en me disant ça. Je cherche peut-être à me démarquer là où il n’y a pas de raison d’être, mais je ne peux m’empêcher de le penser. Et cela se reflète dans ma façon d’aborder un garçon.

Un garçon que j’aurais facilement ne pourrait m’intéresser. Il faudrait que je galère pendant des mois pour l’embrasser pour qu’il revête un caractère spécial à mes yeux, et surtout à ce machin, là, dans ma cage thoracique. Ce besoin de se dire que j’en ai chié pour le sentir dans mes bras ne provient pas d’un simple esprit de contradiction. Il ne faut pas se méprendre, à long terme une relation simple m’intéresse. Je ne m’intéresse pas qu’aux choses compliquées ; aux choses complexes un peu plus déjà. Aux choses qui prennent de la valeur dans tous les cas.
J’aimerais juste me dire que ces longs mois lui auront permis de m’apprécier et d’aller au-delà de ce vernis d’étrangeté que malgré moi j’aime me donner. C’est dans la durée que je suis plus fort, que j’aime et qu’on m’aime encore.

Voilà pourquoi je suis un piètre dragueur selon moi. Car je me vois dans l’impossibilité de résumer en quatre minutes ce que je suis, ce que je serai et ce que je pourrai être. Personne n’en est capable et pourtant je m’obstine à vouloir le faire. Alors tout devient brouillon pour mon interlocuteur, je semble confus et finalement assez étrange comme garçon. Ce comportement est orgueilleux au demeurant. Le refus du résumé motivé par un sentiment de complexité et d’intérêt pour soi ne peut qu’être lui-même réducteur. Tout ça parce que je me refuse à montrer qu’une seule facette. Et finalement, à vouloir tout montrer, je déstabilise et je me plante.

J’ai encore beaucoup de choses à apprendre.

Les walkyries du métro

On aime tous une brute. Le pied dans la face. Le visage écrasé par l’humiliation.

A ma gauche est assis un kaki-ranger. Crâne rasé. Regard métallique. Mais ça reste un homme, une forme d’intelligence comme on dit des extra-terrestres. A quoi vois-je cela ? A son iPod accroché à sa taille.

Il a l’air calme maintenant. Beaucoup plus que lorsqu’il est entré dans la rame. J’ai cru qu’il lisait par-dessus mon épaule mais que nini : il est absorbé dans ses pensées. La musique est douce à ses oreilles. C’est peut-être de la musique progressiste de la nouvelle scène berlinoise mais cela semble l’apaiser. Ou peut-être du Wagner, sûrement les walkyries dans le métro ce matin.

La trahison des vieux garçons

Oui, je trahis des amis.
La nuit je mens et je mens à mes amis. Je leur dis que je vois d’autres amis qu’ils ne connaissent pas. Tout ça pour aller baiser. Tout ça pour compenser quelque chose, quelque chose qui m’est inconnu car je ne veux pas le recevoir des bonnes personnes.

Je ne veux pas finir vieux garçon.
« Tu vas finir vieux garçon » m’a souvent répété ma mère. Et que je le veuille ou non, en étant homosexuel je ne peux finir que vieux garçon. Sans enfant, sans petits enfants à promener le dimanche après-midi aux Buttes Chaumont je ne peux que finir vieux garçon.
L’adoption pour ne pas finir vieux garçon.

Je vais finir vieux garçon car je veux tout ou rien. Il y a plus de chances que j’ai rien.
Tout ça parce que je trahissais ceux que j’aimais.

Les gens d’en face

Les gens d’en face sont dans une vitrine, ou enfermés dans un miroir. J’hésite encore.

Un enfant qui tournoie, deux mecs assis sur leurs valises, un black élégant au fuck-in-town de médecin de campagne, une femme qui passe sa main dans ses cheveux, des milliers de cas à décrire et à reproduire ; jusqu’à en faire des millions.

« Veuillez attendre le prochain train. Veuillez attendre le prochain train. »
Le RER A se vide de ses voyageurs désabusés et mon quai de Charles de Gaulle se noircit. L’appel du 18 mars de Colombey-les-Doux-Débiles. Je ne vois plus rien du quai d’en face et j’imagine que d’autres se réjouissent de ce festin visuel. Des milliers de corps à scruter et à dévisager. Un plaisir voyeuriste à son apogée si on n’est pas agoraphobe.
Ou alors n’y aurait-il que moi tripper sur les inconnus du métro ? Toi ? Vous ? Je ne pense pas être l’unique merci beaucoup.

A l’échafaud

On se regardait droit dans les yeux sans parler. Pas longtemps, car il était timide et déviait vite le regard.
On se regardait droit dans les yeux puis on regardait par la fenêtre. On regarder défiler Viroflay, Chaville et Sèvres. Des maisons, des arbres et des ponts, ce qui fait une ville quand les rues sont vides. Vitres embuées ou vitres taggées, le trajet était le même : monotone et menaçant. Car au-delà des petites maisons souriantes sourdaient les tombes béantes. Les froides tombes qui exigent au corps d’y tomber.
Avec Nicolas nous contemplions et rarement nous parlions. Prendre le train pour aller en prépa était ça : le chemin vers l’échafaud que la victime prend au matin.

Et je n’ai rien fait

Ecouter Zazie n’encourage pas forcément à l’écriture.

J’écoute J’étais là en loops depuis un quart d’heure, et depuis quatorze minutes mon imagination ne fait qu’un demi-tour. Mon stylo glissse diiiffficicilement sur le crnaet tant ce qu’il entend est net, limpide et aiguisé. Les mots tombent et tranchent l’air. Que peut bien y faire mon Bic ?

« Et je n’ai rien fait. »

Je vais me remettre à écouter du Jenifer.

Comment tunner son scooter

On allait souvent boire des verres place du Marché. On commandait un Monaco ou une pression si vraiment on était des rebelles. On parlait scooters et gonzesses. Que des sujets que je maîtrisais à merveille.

« Tu l’as tunné ton scoot’ ?
– Ouais j’ai mis un nouveau pot et un nouveau cligno.
– Moi je viens de débrider mon vario.
– Ah ouais ? Mais t’as pas peur de te retrouver un jour avec des galets dans le carter ?
– Bof on verra.
– Et comment t’as fait alors ?
– Bah d’abord tu sais que le truc qui bride la transmission du scoot’ se trouve dans le variateur ?
– Bah ouais quand même ! C’est le truc qui empêche le vario de monter complètement !
– Ouais c’est ça. C’est ce qui explique que le scoot’ prenne des tours à partir de 30Km/h.
– Ok.
– Bah pour retirer cette bride, tu dois démonter le carter de transmission. Puis tu mets un bloc piston dans l’emplacement de la bougie et tu dévisses le vario.
– Ok je vois.
– Et alors là t’as plusieurs pièces sous la main. Tu verras la rondelle de bridage est située sur le canon du vario. C’est celle qui a le plus gros diamètre et la plus grosse épaisseur.
– Ouais ok.
– Bah alors tu la retires tout simplement et tu remontes le reste dans le bon ordre.
– Ah mais c’est facile en fait !
– Bah ouais.
– Mais les flics ils peuvent rien caler comme ça ?
– Bah si faut faire gaffe. C’est pour ça que y’a une astuce : faut que tu limes la rondelle de bridage, comme ça elle aura plus du tout d’effet.
– Ah ouais comme ça quand le flic regarde le truc il a l’impression que le vario est bridé alors que pas du tout car la rondelle est pas efficace.
– Exactement.
– Et sinon toi t’avais pas des problèmes avec ton anti-parasite ?
– Ouais je me l’étais fait chourrer.
– Ah merde. »

Ouais merde en effet car je n’y comprenais quedalle.
Mais bon ça me faisait plaisir d’être entouré de beaux garçons trop sympas et marrants qui parlaient scooters. Ils se foutaient gentiment de ma gueule à chaque fois en voyant que je ne comprenais rien à leur discussion. Mais bon parfois on pouvais parler ciné ou télé et là je pouvais me rattraper.