Les S

C’est simple, les nanas en S c’est même pas des thons: c’est des cageots. Un truc inanimée quoi. Si tu comptes bien, tu trouveras une nana pour dix mecs. Mais le pire c’est que la nana peut espérer se taper un mec pas trop mal tellement ils peuvent être désespérés. Mais au mieux le mec sera gentil. Ouais, ce sera sa plus grande qualité : gentil.
Parce que ce gars doit être très gentil ou très con pour avoir accepté de faire S. Il a juste obéit à ses parents qui ont décidé pour lui qu’il ferait S dés ses 3 ans. « Avec S, tu peux tout faire. » Et tu peux te taire surtout.

La blague préférée des S c’est celle des deux blondes qui se tiennent par la main et qui forment une synapse. Sinon, le reste du temps, ils adorent jouer avec leur calculatrice. Ils s’amusent à créer des programmes avec des courbes et tout le reste. Le roi de la calculette c’est celui qui ramènera un jeu trop moderne comme celui où tu dois deviner le chiffre que la machine a en mémoire. Bien entendu la blague de PI² fait toujours autant rire dans les labos. Quant au physique – et pas la Physique, bah c’est pas encore ça.

En S, ils vivent perpétuellement leur adolescence. Il est loin le jour où les filles les regarderont comme autre chose que leur binôme de TP. Car la calculatrice elle n’est pas seulement dans les mains mais aussi sur la gueule.
C’est simple, les mecs en S c’est pas des cageots : c’est des mutants.

Prout

Réveil à deux, réveil heureux. Mon cul. Et c’est le premier qui a parlé qui a raison dans ma maison. Prout.
Carrie Bradshaw était souvent ridicule dans la série du vendredi. Le summum étant atteint lorsqu’elle lâcha un vent sous la couette en compagnie de Big. Big up ! Un battement d’aile de colon provoqua un ouragan à New York City.

C’est bon, c’est pas grave Carrietta la Carrie, tu vas t’en remettre. Tout le monde pète : Villeret dans La Soupe aux Ploucs, mais aussi Pumba et même Sharon Stone je pense. Colin Farrell j’en suis pas sûr, mais Sharon Stone je parie que sa blague préférée c’est « Tire sur mon doigt ». Alors ne panique pas et explique-moi pourquoi ça te tracasse tant.

Un petit prout au lit annoncerait-il la chute de la maison Carrie ? L’installation des habitudes et la mort du couple ? Mais lâcher une caisse c’est la vie et, même si c’est dérangeant dans un ascenseur, personne ne veut d’un mec qui ravale ses pets. N’es-tu pas comme Cameron Diaz à la recherche d’un homme qui pète, qui rote et qui jouit ? Tu as ta carte de la PETA et tu refuses l’animal ? N’aimes-tu pas le bestial
Moi j’aime le bestial…

« Je déclenche une tempête, à chaque fois que je…
– Non Pumbaa, pas devant les enfants. »
Et pas devant son amoureux (car au passage, on sait tous que Pumbaa se fait prendre par Timon).

Oui, ça m’est aussi arrivé.
Réveil à deux, réveil heureux. Tous les deux nus dans le même lit, et non pas habillés comme dans les films américains. Un rayon de soleil traversant les volets et venant caresser les paupières. Une main posée sur sa hanche. Une étreinte confiante et abandonnée lorsque soudain trop tard c’est sorti : j’ai pété.
Oh putain de bordel de merde ! J’ai lâché une putain de caisse dans mon lit avec un putain de beau gosse à mes côtés putain ! Putain de putain pourquoi ça m’arrive maintenant putain ??
Je dois faire une drôle de tête parce qu’il se met tout gentiment à me demander ce qui se passe. Je lui réponds que rien, que tout va bien. Il ne semble avoir rien entendu à moins que sa délicatesse l’empêche de me le faire remarquer.

Il faut que ça vous arrive pour en mesurer la gêne. Avant on en rigole et ensuite on se terre six culs sous terre. En priant juste pour qu’au moins ça ne pue pas.

Au Balto

Je comptais fumer une cigarette mais finalement, rien qu’en m’asseyant dans ce bar, je devais inhaler deux paquets en dix minutes.
« Pourrais-je avoir un cendrier s’il vous plait ?
– C’est par terre. »
Je comprenais mieux pourquoi il y avait un Chinois qui balayait lorsque je suis entré.

Il y avait deux écrans dans la salle : l’un sur France 3 et l’autre sur Rapido. Je semblais être le seul à m’intéresser de temps à autre aux péripéties des persos de Plus belle la vie. Le Rapido c’est deux chances toutes les deux minutes. Le destin de Luna ou la Française des Bœufs c’est juste deux visions différentes de la vie. Qui m’en aurait voulu de regarder à droite et qui aurait voulu à l’alcoolo devant moi de regarder à gauche ?

Je ne voyais que sa nuque. Son crâne taché comme un œuf de caille. Il me fixait de temps en temps en alternant bières et cafés. Il devait me trouver bizarre à griffonner dans mon bloc-notes le baladeur aux oreilles.
Ils font des casques blancs maintenant. Tiens, c’est marrant.

Le Balto, comme le chien brodé sur le pull rose de la patronne.
Vendredi soir, Gare du Nord, un train manqué, je n’étais pas le seul à jouer à l’anthropologue dans ce café.

Les bac L

Les Bac L avec leur Eastpak porté sur une seule épaule c’est trop des artistes. Pas comme les S qui sont des boutonneux avec leur calculatrice et comme les Ecos qui sont rien que des glandeurs.

Ouais les L c’est trop des artistes avec leur foulard dans les cheveux ou leur mouchoir Yasser Arafat autour du cou. Ils sont pas beaux mais ils ont « trop du charme » ; mais ça tu peux pas comprendre. Ils ont trouvé génial Chat noir, chat blanc de Kusturica ; sa musique est tellement festive. Mais ils préfèrent quand même jouer Wonderwall sur la pelouse du lycée parce que les accords sont vachement plus faciles. Mais surtout parce qu’Oasis c’est tellement mieux que Blur, même les Inrocks le disent. Et t’as qu’à écouter Champagne Supernova si tu me crois pas.
Parfois les L tirent sur un oinj’ parce que la clope c’est beaucoup plus nocif, t’as toujours pas compris ça ou quoi ? Souvent ils ont des pantalons en tissu africain parce que l’Afrique c’est le pays de l’avenir de cette planète. D’ailleurs si toi aussi t’étais un peu concerné par le destin de la Terre tu porterais ce t-shirt Free Tibet.
Parfois ils ramènent des bangs achetés aux puces de Saint-Ouen. Et parfois ils lisent même des vrais écrivains qui ont compris la vraie souffrance de ce monde et pas ces conneries qu’on te fait lire en cours (même si La Condition Humaine de Malraux c’est génial). Ouais, ils lisent Jim Morrison. Parce que Jim Morrison c’est un poète avant d’être un chanteur. Tu devrais aller voir sa tombe au Père Lachaise, c’est hyper impressionnant.

T’es pas d’accord avec moi ?

Les pères sans enfant

Je dors seul. Je dors souvent du même côté. Je ne vous dirais pas lequel afin de ne pas vous éliminer. Dormir du même côté de moi supposerait une nuit tumultueuse. Des gali-gamètes tueuses certes, mais également des chevauchements naturels qui chercheraient à prendre le dessus. D’un lit je veux voir le bon côté des choses. Ce n’est pas parce que j’aime être au-dessus que je ne peux pas prendre les devants. Et inversement.

Mais la plupart du temps, je n’ai même pas à me poser la question : parce que je dors seul. C’est sûrement pour ça que je fais un peu traîner la chose avant de rejoindre la couche ennemie. Aussi douce soit la couette, aussi dure est ma détermination à rester éveillé. Un lit solitaire reste un lit abandonné lorsqu’on l’a connu habité.
Et puis il y a cette ritournelle du travail acharné, celle qui vous dit que vous n’avez rien fait de la journée, à part travailler. Alors vous cherchez absolument à faire quelque chose, n’importe quoi pourvu que cela retarde votre approche du matelas. Je ne veux pas de mon Epeda !
Et tout ça finit en traînage de la chose.
Encore une fois.

Une fois dans votre lit ce n’est pas la déprime mais juste un constat : pourquoi travaillez-vous comme ça ? Ou pour qui plutôt ?
Votre orientation sexuelle vous prédispose à ne pas avoir de descendant, vous n’avez aucune bouche à nourrir à la maison à part la bouche bée d’un Comète globulé, pour qui donc travaillez-vous ? Pour vous ?
Moi je ne travaille pas pour moi et je ne vois pas très bien pour qui je me saigne aux quatre sangs froids. J’ai de plus en plus cette sensation que je ne m’épanouis vraiment qu’ici, face à ces mots et à l’espace réduit d’un fichier Word. Bordel ça sert à quoi que je rentre à 23h chez moi si ce n’est pas pour voir mes enfants endormis ou le sourire de mon chéri ? (C’est juste pour la rime car je déteste le mot « chéri ».)

Moi aussi je suis comme un de ces pères qui n’ont jamais eu d’enfant.

Les mères sans enfant

Le samedi soir c’était Disney Channel et hamburgers. Chez Winnie c’était tout petit mais il nous y invitait tous les samedis. Les pots de miel très peu pour moi, je leur préférais les hamburgers préparés à l’avance par Maman. Avec de vrais steaks hachés. Et du gruyère. Et autant de ketchup que je voulais.

Comme Papa et Maman rentraient tard, c’était à Tia de nous garder. Tia, la tante de ma mère qui vécut chez nous jusqu’à ses 96 ans. Elle s’était installée en 1980 chez sa nièce et son gendre de cœur suite à un infarctus. Et nous l’adorions bien qu’elle nous énervait à couper la viande avec son couteau à l’envers ou à laisser traîner des aiguilles partout dans la maison.

A l’heure d’aller me coucher, Tia veillait sur moi. Elle venait s’asseoir sur le bord de mon lit superposé et attendait que le sable doré recouvre mes paupières. Parfois, je feignais le sommeil pour écourter son attente. Je m’inventais alors des histoires aussitôt oubliées. Elle, elle attendait parfois des heures, patiemment, assise sur le bord de la couverture. Pensant au passé ou apaisée par mes cheveux dorés. Ses toussotements interrompant le calme de la chambre. Immobile comme une statue. Attentive au moindre frétillement de mes paupières, Tia était une de ces mères qui n’ont jamais eu d’enfant.

Déshabiller des habitudes

Ai-je couché avec assez d’hommes pour ne jamais avoir envie de le tromper ?

Lorsque je repense à mes quinze ans, je me revois dans mon lit. Esseulé, allongé sur un matelas au milieu du Pacifique. Je dérivais seul, sans l’ombre d’un compagnon.
En grandissant, mes compagnons ont également grandi. 34, 47 ans. Des âges insolents pour un garçon de 23 ans. Et mes conquêtes, toujours plus nombreuses. Un garçon, une fille, un baiser, un casé, un divorcé, un Américain, des inconnus, beaucoup trop d’inconnus. Des centaines dans leur lit. Toujours dans leur lit ; les exceptions sont rares puisqu’elles sont exceptions.
Et jamais personne là-dedans, jamais personne qui ne me retienne dans ses draps. Personne qui me donne envie de rester là.

Alors aujourd’hui je suis libre mais je suis deux. Aujourd’hui je suis libre et j’ai vécu. Des baisers violés par centaine, des regards biaisés par dizaine. Toujours dans les yeux, même si c’est un jeu. Quelle valeur apporter à ce qui m’attend dans Son lit ?
Je préférais un homme qui en aurait connu des dizaines, des milliers, pour que soudain il s’arrête. Sur moi. Chez moi.
Il a vécu, j’ai vécu ; il s’est lassé, j’n’ai pas l’air rassasié.
Aujourd’hui j’ai peur, peur de le tromper alors que je pourrais l’aimer et – nouveauté – lui aussi pourrait m’aimer.

L’amour me fait flipper.

La danse de Cana

« Le cathé c’est sympa !
– Moi j’y vais !
– Et moi aussi ! »

Qu’est-ce qu’on a pu se foutre de cette pub affichée devant l’aumônerie avec Nicolas. Et pourtant on y allait nous aussi au cathé.

« Votre fils est un sacré p’tit… loulou » avait dit le Père Baudouin à ma mère. Je n’avais pourtant pas l’impression de l’être mais il est vrai que les choses avaient changé suite à notre représentation théâtrale pendant la retraite de notre sacrement de confirmation.

Mon groupe d’aumônerie était composé d’Annabelle, de Julie, d’Amandine ou encore de Matthieu le Black trop trop sympa dont la mère faisait de super gâteaux ananas-noix de coco pour les goûters du diocèse.
Le jeune couple trentenaire qui nous recevait chez eux pour nous donner cours avait six enfants qui avaient chacun neuf mois d’écart. Lui, Jean-Hugues, nous parlait de l’évangile les charentaises aux pieds. Qu’est-ce qu’on a pu se foutre de sa gueule. Surtout lorsqu’il a fait la prière agenouillé sur un coussin en déclamant que Dieu était amour. Rhalala, qu’est-ce qu’on peut avoir un humour spécial à 14 ans.

Lors de notre énième réunion « bol de riz » à la paroisse de Saint-Symphorien – où le riz qu’on nous offrait était mélangé aux cheveux morts des mères versaillaises qui y donnaient la catéchèse, le Père Baudouin nous avait demandé de préparer un petit sketch ou une petite scène inspirés de la Bible.

J’étais aux anges ; on allait enfin pouvoir s’amuser.

Le soir de la représentation, les autres groupes qui étaient passés avant nous avaient plutôt été chiants. On s’était tapé du bénédicité et de la Genèse à ne plus savoir quoi en foutre. Mon pote Biboul s’était notamment retrouvé à jouer les Adam en ombres chinoises derrière une toile tendue par deux mères de bonne famille extatiques.
On s’était malgré tout poilé la poilonade devant une parodie de l’émission de Nagui : « N’oubliez pas votre évangile, vangile ! ». Surtout lorsqu’à la question « Qui est mort pour nous ? », mon pote François avait répondu « François Mitterrand ! ». J’en peup’sais !
Les mères de bonne famille versaillaises avaient un peu moins apprécié la blague que le reste du jeune auditoire. Dans ces conditions, qu’allaient-elles penser du sketch de mon groupe d’aumônerie ?

Caché sous mon drap, je flippais comme un taré. Mais je savais qu’on allait se marrer. On était cinq sur scène ainsi voilés de trac et de tissu. On n’avait plus le choix de toute façon, fallait se jeter à l’eau de la Méditerranée.

C’est les noces de Cana
On y danse et on y boit
Et les jarres sont pleines de vin
Glou glou glou glou !

Les gamins du cathé étaient morts de rire dans la salle. C’était tellement gonflé de reprendre les noces de Cana sur l’air de La danse des canards. Les bonnes mères de famille versaillaises étaient offusquées.

Et là on est parti dans un trip sur le couscous, les boulettes et la grand-mère en prenant un accent pied-noir et tout en restant caché sous nos draps. Jusqu’à ce que mon pote black Matthieu débarque sur scène en jean et basket en marchant comme un pur djeun’s :

Mais voilà Jésus qui vient
Dans son habit tout divin
Nous apporter du bon vin
Sacré farceur !

Et là, notre Jésus noir s’exclama : « Du pain, du vin et du Boursin ! Musique ! ».

Les bonnes mères de famille versaillaises étaient au bord de la syncope.

I like to move it move it
I like to move it move it
I like to… move it!

Nous pouvions jeter nos draps et montrer à tous qui nous étions vraiment.
Annabelle était habillée en pétasse avec d’énormes faux seins, un rouge à lèvre outrancier et un grain de beauté à la Cindy Crawford. Amandine était déguisée en baba-cool, cheveux longs et grandes fleurs, la cigarette de l’amour à la main. Quant à moi j’étais en hard-rappeur, étrange espèce has-never-been qui mêlait t-shirt noir difforme à la vierge crucifiée, barbe maquillée, casquette et ghetto-blaster sur l’épaule.
Les bonnes mères de famille versaillaises n’en croyaient pas leur col Claudine. Surtout lorsque nous passâmes tous chacun à notre tour devant elles pour bouger notre boul’. Little Miss Sunshine attitude.
C’est lorsqu’elles s’aperçurent que l’assemblée commençait à se lever et à vouloir danser sur Real2Real, qu’elles s’empressèrent de demander au Père Beaudouin de stopper immédiatement cette musique. Dommage, le Père Baudouin avait l’air d’apprécier le spectacle.

Ecoutez, on n’a jamais su ce qui advint après la métamorphose de l’eau en pinard par Jésus Koresh. Peut-être que les noces de Cana se sont alors transformées en le plus grand open-bar que cette terre ait connu. Un peu comme dans Matrix Reloaded.
Qui pourra me prouver le contraire ? Pas les bonnes mères de famille versaillaises en tout cas.