Les méthodes de mon lycée

« Viand, vous allez m’imiter le chien hurlant au clair de lune.
– Pardon ?
– Vous avez bien entendu. Vous allez m’imiter le chien hurlant au clair de lune !
– Mais je ne vois pas le rapport avec…
– Vous allez m’imiter le chien hurlant au clair de lune oui ou non ?
– Mais…
– Mais allez !!
– Ouh ouh ouh ! »

Fou rire général dans la classe : Viand s’était ridiculisé. C’était une des nombreuses méthodes qu’employaient les professeurs du lycée Hoche pour encourager leurs élèves à avoir de bons résultats scolaires. Dans ce cas précis, Childéric Viand avait fait une horrible version anglaise ou il avait osé traduire « it’s raining cats and dogs » par « il pleut des chats et des chiens ». Cela lui avait donc valu de se faire publiquement ridiculiser par Madame Pernelle qui établissait à chaque correction le Top Ten des âneries. Nous aimions autant que nous craignions cette tradition car nous redoutions d’y apparaître.

« Alors Patytzine, on a traduit « rire jaune » par « to laugh yellow ». Alors vous laugher yellow maintenant Patytzine ? Hihihi ! »
« Qu’est-ce que vous m’avez fait là Larfoux ? « I have a frog in my throat » ça devient “J’ai une grenouille dans la gorge”? Vous connaissez pas “avoir un chat dans la gorge” non ? Alors ça fait croaaak croaaak dans votre gorge Larfoux ? C’est pas un peu la honte ça ? Vous feriez mieux de travailler votre Anglais plutôt que de traîner au café au baby-foot. Je vous y ai vue avec Buffard l’autre jour en passant devant. Alors il se passe quelque chose entre vous deux ? »
« Ah bah Truite vous nous avez fait très fort là : « When pigs have wings » ça devient « quand les cochons auront des poulets » !! Non mais vous pensiez à quoi ? Aux chicken wings ? Fallait traduire ça par « Quand les poules auront des dents ». Par exemple : « Truite aura des bonnes notes en Anglais quand les poules auront des dents ! ».

Quelle salope cette prof. Mais faut reconnaître qu’elle nous faisait bien marrer. Mais bon le problème restait toujours le même ; un problème que l’on retrouve de façon générale dans tout le système éducatif français : le bâton plutôt que la carotte. Alors que moi j’ai toujours été carotte : j’ai toujours préféré avoir un truc dans la bouche plutôt que sur les fesses.

Y penser au passé

C’était un peu confus dans ma tête. Je pensais au passé. Je pensais à l’imparfait, aux phrases que j’allais écrire une fois dans le métro.

Je pensais à ma mère et au plaisir que j’aurais à l’emmener voir un spectacle aux Blancs Manteaux. A cette joie que j’éprouverais à lui présenter celles et ceux avec qui j’ai travaillés il y a deux ans déjà. A la fierté d’entendre une comédienne lui dire « J’adore votre fils ». Qu’elle découvre une facette.
La pluie pascale devenait moins froide à mesure que ces pensées coulaient en moi. Le mal de crâne persistait mais c’était du à la veille : à la We Love Art à la Cité de la Musique. Etienne de Crécy avait frôlé la perfection dans sa scénographie ; mais uniquement dans sa scénographie. La vrai surprise était venue du groupe Planningtorock, également appelé PTR mais pas PTDR. Téléchargement légal sur iTunes le lendemain en me souvenant du visage de ce garçon maintes fois croisé. La BTP, l’Eden et maintenant la We Love Art : Glenn a définitivement le visage d’un ange. Quand aurai-je les couilles d’aller lui parler ?

Je me disais tout ça dans la rue du Télégraphe en constatant qu’une musique joyeuse ne suffit pas à me rendre optimiste. Imaginer ma mère heureuse oui. Au présent plus qu’au passé cela me suffit.

Dans la mer profonde, profonde

« Il y a un silence où il n’y a jamais eu de bruit. Il est un silence, là où aucun bruit ne peut être, Dans la froide tombe, sous la mer profonde, profonde. »

De La leçon de piano c’est mon passage préféré. Lorsqu’Ada s’imagine accrochée à son piano, le corps suspendu au plus profond des océans.
Cette image m’a tellement obsédé que j’en avais recopié les vers dans mon agenda à côté des paroles de Bachelorette.

Rien ne me donne plus le vertige que l’océan. Mes pieds palmés, mon masque et mon tuba à la Costa Brava. Papa dans le bateau préparant l’apéro. Maman est là-bas, elle bronze et lit Hola ! De dos, l’enfant beau.

L’enfant n’est pas à Tarquinia mais l’angoisse silencieuse est quand même là. Il n’ose pas regarder au fond de la mer avec son masque. Il y voit ses pieds paniquer et le vide sous ses palmes. Il a peur de tomber. Le vertige des océans est plus puissant que celui des falaises au vent.

La chute lente des corps au fond de l’océan. L’eau remplit doucement mes poumons comme une cave qui s’inonde.

Rien ne m’effraie dans le silence. Le calme.
Se taire, se taire enfin, dans la mer profonde, profonde.

Le poète aux pieds puants

Le couloir qui relie la 11 à la 1 est comme une caverne. Les murs en sont des peintures et les hommes des allégories platoniciennes.

Barbu au crayon gris, pieds puants mais traits tonitruants, un homme vit sous terre mais écrit aux cieux. Sur les affiches de Surcouf et des Saints-Valentin aux lagons bleus, ses mots noircissent les paysages. Mots durs, mots rêveurs, ce travail acharné fait peur. La robe de mariée devient veuve lorsque les phrases obscurcissent la dentelle. Les mots comme des apparats, les mots comme des surpiqûres, et quand il y en a trop ça fait fioriture. Mais parfois ça fait mouche dans le cœur du puant. Lorsqu’il transforme le Soldat Rose, avachi, effondré, sous le poids de son Paradis. Ou ce « J’aime beaucoup ce que vous faîtes » qui prend une autre tête lorsque sa plume s’y arrête.
Les toiles déchirées mais sous les papiers la rage.

Ils auront beau arracher, recoller et annuler, il continuera à écrire et à écrire. Comme un acharné, se moquant des gens autour le crayon à la main. Les mots sur les lèvres il trouvera le rythme. Alors qu’importe les regards curieux qui n’auront qu’en tête le mot « fumeux », puisqu’au fond il s’accomplit. Il s’achève tous les jours, se concrétise et se réalise. Un épanouissement aux pieds puants certes, mais le chardon éclot aussi. Pas moins ardent que la rose, juste un peu moins noble. Mais au final qu’importe le parfum tant que la graine est là. Et elle le restera.

Ecrire, dit-il

J’ai rêvé que le bouchon de mon Bic tombait dans l’océan. Je me tenais à la rambarde et écrivais sur mon carnet. Le bouchait tombait. Et alors je m’apercevais de ce que je faisais : je risquais mon carnet sur les bords de l’océan. Aussitôt je revins au centre du ponton et constatais ma chance.
Serait-ce à quoi je tiendrais le plus ? Ecrire ?

Mes samedis matins

Mes samedis se composent de soleils gris parisiens, de vaisselle lavée et vélos ménilmontins. Le meilleur samedi est celui qui ne lève pas tard, et qui avec promesse de découverte vous pousse hors du plumard.
Mes samedis matins commencent à midi, car avant midi je ne suis pas en vie. Mes samedis matins entendent les cris des voisins, Vanessa Paradis et les chansons douces de mon café. Mes samedis matins sont souvent en danger, souvent confrontés à la tentation de devenir journées. De ne pas faire les courses, de ne pas franchir le seuil, de rester seul sans se laver devant poissons rouges et logiciels.
Mes samedis post-méridiens n’ont souvent besoin de rien. D’un peu de soleil, d’un endroit où aller, sans but et sans visée je peux en faire ma journée. Ma solitude à la lumière ne me pose pas misère. Elle me sied, elle me plait et est souvent proche du bonheur.
Mes samedis s’approchent du bonheur car je n’en vois pas les heures, contrairement aux dimanches qui sont une autre paire de manches.

Les amitiés silencieuces

Les amitiés qui durent sont silencieuses.
Je suis obsédé par cette scène de Pulp Fiction où Mia Wallace enlace le silence dans un drive-in. Avec Vincent Vega évoque ces silences gênants, pesants ; ceux qu’elle affectionne. A l’époque je détestais ça, le silence. A l’époque je le comblais de paroles, je le comblais de vide, pas de bonheur. Et sont venus ces amis qui ont osé me taire. Qui n’avait pas besoin de moi virevoltant, drolatique et finalement peu naturel. Sont venus ceux qui me connaissent. Ils sont venus, ils ont vu, et se sont tus. Pour mieux me vaincre.
Anne-Claire, Marion, Marjorie, ces amies pour qui le silence n’est pas ennemi. Marque de confiance, le silence comme affection. Comblé de leurs évasions, je me tais et j’apprécie. Et ainsi je continue à définir l’amitié, comme ce sentiment où le silence est rassurant.
Sans oublier ce corps que je devrais cacher, si en silence un ami me demandait de l’aider.
Car un ami ça sert à ça : à garder le silence quelquefois.

Ce qu’inspire l’Inconnu

Je parle parfois à des garçons, ils me paraissent si beaux, me paraissent si gentils ; je sais j’en demande trop. Je parle à des garçons à qui j’aimerais dire « je suis beaucoup, je suis beaucoup plus beau. » Que ces photos qui traînent sur son bureau.
Les photos, je les ai sélectionnées. Je les ai choisies pour lui, pour celui dont je rêve la nuit. Et là j’entre dans sa vie avec salut tu vas bien. On s’attend mieux du Prince des Lendemains. J’aimerais qu’il voie celui que je suis déjà, sans entrée en matière, sans charabia. Et sans la peur mais juste la confiance de bien vouloir en moi planter sa chance. Car je suis celui et selon moi le bon, pour lui, son petit con.

Conte d’en bas

La seconde classe existait dans le métro au même titre que le droit de fumer dans les bars.

Et puis un jour, y’a un Monsieur pas content qui s’est levé en pleine réunion et qui a dit : C’est scandaleux ! Il faut que tout le monde voyage en première classe ! ». Tout le monde autour de lui a vanté son courage et a crié « Bravo ! Bravo ! ».
Le bonheur est alors apparu sur terre. Les Pauvres côtoyaient les Riches ; c’était beau. Y’a même une dame de la RATP qui en a pleuré dans son bureau.

Mais un jour les Propriétaires Parisiens – qui étaient riches – ont dit aux locataires – qui étaient Pauvres : « On veut devenir plus riches ! Et ne louer nos appartements qu’à des gens riches comme nous ! ». Les Pauvres ont alors du s’enfuir de Paris en baissant la tête et en se faisant pointer du doigt par les Riches qui leur criaient : « Bouh ! Ce sont des Pauvres ! ».
Les pauvres se sont alors réfugiés en périphérie de la grande ville et se sont mis à construire de très très grandes maisons tout en allant cueillir des fraises quand le ciel bleu le permettait. Mais la plupart du temps ils ne faisaient que tous vivre ensemble dans ces très très grandes maisons qui touchaient le ciel pas souvent bleu.

Alors un jour, y’a un Monsieur qui a frappé très très fort du poing sur la table tout en devant très très rouge et qui a dit très très fort : « C’est scandaleux ! Les Pauvres n’ont plus de métro ! Il faut leur en construire un ! ». Et alors tout le monde a trouvé ça trop génial, a dansé dans tous les sens et a porté le Monsieur aux nues en criant « Bravo ! Bravo Monsieur ! ».
Les Très Riches – qui avaient des appartements – et les Riches – qui vivaient dedans – ont alors offert de très grands métros sur deux étages aux Pauvres. Ces très grands métros qui rappelaient les très très grandes maisons des Pauvres avaient des noms de lignes qui correspondaient aux lettres que les Pauvres connaissaient dans l’alphabet ; comme ça, les ils ne se perdraient pas pour rentrer dans leurs très très grandes maisons. Les Riches étaient très très émus par la générosité des Riches mais surtout des très Riches parce qu’ils ne donnaient pas souvent. Heureusement pour eux qu’il n’y avait que cinq lettres dans l’alphabet des Pauvres.

Mais avec le temps les Pauvres ont commencé à faire de curieux feux de joie pour remercier les Riches. Ils en ont fait avec des poubelles, des abricar et même avec des voitures. Et tout ça parce qu’ils ont fini par comprendre qu’un jour ils devraient payer et s’occuper de ces gros métros qui n’étaient pas si beaux que ça. Et que comme ça, les Riches venaient de s’offrir une seconde classe ; pour continuer à voyager entre Riches dans le métro parisien.