Mes samedis matins

Mes samedis se composent de soleils gris parisiens, de vaisselle lavée et vélos ménilmontins. Le meilleur samedi est celui qui ne lève pas tard, et qui avec promesse de découverte vous pousse hors du plumard.
Mes samedis matins commencent à midi, car avant midi je ne suis pas en vie. Mes samedis matins entendent les cris des voisins, Vanessa Paradis et les chansons douces de mon café. Mes samedis matins sont souvent en danger, souvent confrontés à la tentation de devenir journées. De ne pas faire les courses, de ne pas franchir le seuil, de rester seul sans se laver devant poissons rouges et logiciels.
Mes samedis post-méridiens n’ont souvent besoin de rien. D’un peu de soleil, d’un endroit où aller, sans but et sans visée je peux en faire ma journée. Ma solitude à la lumière ne me pose pas misère. Elle me sied, elle me plait et est souvent proche du bonheur.
Mes samedis s’approchent du bonheur car je n’en vois pas les heures, contrairement aux dimanches qui sont une autre paire de manches.

Les amitiés silencieuces

Les amitiés qui durent sont silencieuses.
Je suis obsédé par cette scène de Pulp Fiction où Mia Wallace enlace le silence dans un drive-in. Avec Vincent Vega évoque ces silences gênants, pesants ; ceux qu’elle affectionne. A l’époque je détestais ça, le silence. A l’époque je le comblais de paroles, je le comblais de vide, pas de bonheur. Et sont venus ces amis qui ont osé me taire. Qui n’avait pas besoin de moi virevoltant, drolatique et finalement peu naturel. Sont venus ceux qui me connaissent. Ils sont venus, ils ont vu, et se sont tus. Pour mieux me vaincre.
Anne-Claire, Marion, Marjorie, ces amies pour qui le silence n’est pas ennemi. Marque de confiance, le silence comme affection. Comblé de leurs évasions, je me tais et j’apprécie. Et ainsi je continue à définir l’amitié, comme ce sentiment où le silence est rassurant.
Sans oublier ce corps que je devrais cacher, si en silence un ami me demandait de l’aider.
Car un ami ça sert à ça : à garder le silence quelquefois.

Ce qu’inspire l’Inconnu

Je parle parfois à des garçons, ils me paraissent si beaux, me paraissent si gentils ; je sais j’en demande trop. Je parle à des garçons à qui j’aimerais dire « je suis beaucoup, je suis beaucoup plus beau. » Que ces photos qui traînent sur son bureau.
Les photos, je les ai sélectionnées. Je les ai choisies pour lui, pour celui dont je rêve la nuit. Et là j’entre dans sa vie avec salut tu vas bien. On s’attend mieux du Prince des Lendemains. J’aimerais qu’il voie celui que je suis déjà, sans entrée en matière, sans charabia. Et sans la peur mais juste la confiance de bien vouloir en moi planter sa chance. Car je suis celui et selon moi le bon, pour lui, son petit con.

Conte d’en bas

La seconde classe existait dans le métro au même titre que le droit de fumer dans les bars.

Et puis un jour, y’a un Monsieur pas content qui s’est levé en pleine réunion et qui a dit : C’est scandaleux ! Il faut que tout le monde voyage en première classe ! ». Tout le monde autour de lui a vanté son courage et a crié « Bravo ! Bravo ! ».
Le bonheur est alors apparu sur terre. Les Pauvres côtoyaient les Riches ; c’était beau. Y’a même une dame de la RATP qui en a pleuré dans son bureau.

Mais un jour les Propriétaires Parisiens – qui étaient riches – ont dit aux locataires – qui étaient Pauvres : « On veut devenir plus riches ! Et ne louer nos appartements qu’à des gens riches comme nous ! ». Les Pauvres ont alors du s’enfuir de Paris en baissant la tête et en se faisant pointer du doigt par les Riches qui leur criaient : « Bouh ! Ce sont des Pauvres ! ».
Les pauvres se sont alors réfugiés en périphérie de la grande ville et se sont mis à construire de très très grandes maisons tout en allant cueillir des fraises quand le ciel bleu le permettait. Mais la plupart du temps ils ne faisaient que tous vivre ensemble dans ces très très grandes maisons qui touchaient le ciel pas souvent bleu.

Alors un jour, y’a un Monsieur qui a frappé très très fort du poing sur la table tout en devant très très rouge et qui a dit très très fort : « C’est scandaleux ! Les Pauvres n’ont plus de métro ! Il faut leur en construire un ! ». Et alors tout le monde a trouvé ça trop génial, a dansé dans tous les sens et a porté le Monsieur aux nues en criant « Bravo ! Bravo Monsieur ! ».
Les Très Riches – qui avaient des appartements – et les Riches – qui vivaient dedans – ont alors offert de très grands métros sur deux étages aux Pauvres. Ces très grands métros qui rappelaient les très très grandes maisons des Pauvres avaient des noms de lignes qui correspondaient aux lettres que les Pauvres connaissaient dans l’alphabet ; comme ça, les ils ne se perdraient pas pour rentrer dans leurs très très grandes maisons. Les Riches étaient très très émus par la générosité des Riches mais surtout des très Riches parce qu’ils ne donnaient pas souvent. Heureusement pour eux qu’il n’y avait que cinq lettres dans l’alphabet des Pauvres.

Mais avec le temps les Pauvres ont commencé à faire de curieux feux de joie pour remercier les Riches. Ils en ont fait avec des poubelles, des abricar et même avec des voitures. Et tout ça parce qu’ils ont fini par comprendre qu’un jour ils devraient payer et s’occuper de ces gros métros qui n’étaient pas si beaux que ça. Et que comme ça, les Riches venaient de s’offrir une seconde classe ; pour continuer à voyager entre Riches dans le métro parisien.

On a freezé le pire

« Alors Mamie, ça vous a plu la Freeze Party ?
– Elle bouge pas.
– Bah faut arrêter de freezer Mamie. C’est fini maintenant !
– Elle bouge toujours pas Jean-Pierre ! »
Et c’est ainsi que Mamie finit ses jours en ce 8 mars 2008 : freezée comme un caniche.

« Pourquoi un caniche ?
– Je sais pas, je trouvais ça drôle. »

You only see what your eyes want to see. You’re frozen.
La FreezeParty a commence plus tôt que prévu à Paris-Troca. On a préféré y troquer un temps d’avance pour qu’au plus tôt la foule se disperse. Car du monde il y en avait, tant de gens c’était suspect ; même pour les touristes japonais.
Je cherchais Ikare du regard et l’effroi me glaça. Je cherchais Matorif du kiff et la glace me fit “pfifff”. A Pompéi je serais mort à la recherche d’amis. On ne veut pas mourir seul.
A part Katoucha qui voulait mourir sur Seine.

La main comme un Indien sur mon front déplumé, j’entends les battements du Troca silencieux. Je regarde au loin et la pétrification se confond. Les milliers d’individus immobiles ne font plus qu’un, et le vieux que fixent mes yeux en est le cœur. Le cœur du silence. Un vieux qui dénote au milieu de tous ces Facebookiens, ces moi avec qui je partage la même CSP. Ces blousons en cuir, casques de scooter et barbes mal rasées. Ces clones gelés que longtemps je pourrais contempler. Au milieu du Louvre j’aurais préféré, figés parmi les statues samothraciennes. Nous serions redevenus ce que nous étions.

Expérience collective pour le voyeur ; expérience individuelle pour la statue. Fixation intime sur soi, sur ce qui n’a aucun sens, aucune revendication ; sur ce que le temps fait et sur ce que nous défaisons. Nous l’avons reconstruit le temps d’un monde gelé.

On ne savait pas quoi

« On savait qu’il y avait quelque chose mais on ne savait pas quoi. On savait que tu nous cachais un truc. Le week-end on ne te voyait pas, on ne savais pas où t’étais. Et le lundi au moment de raconter nos samedis soirs tu te taisais. Jusqu’au jour où quelqu’un t’a vu dans une boîte gay.
A cette époque tu savais déjà qui tu étais mais tu le cachais aux autres.
Je m’en doutais un peu que tu l’étais. T’étais le seul mec de mon entourage à ne pas être sorti avec une fille de l’école. Je trouvais ça bizarre. On te voyait danser comme un fou avec toutes les nanas de l’école mais il ne se passait jamais rien.
Ca a du être invivable. »

Contes de Facebook

« Les gens, tu les emmerdes avec un grand A », « Dans “ingénu” y’a “ingénieur” », « Je me suis fait épiler au scanner », « Oh bah le plat il a tombé ! ».
Le Loft 2 ce n’était pas que des maximes à faire rougir Oscar Guitry dans sa tombe, c’était également un véritable choc des classes :
« Bonjour. Moi c’est Kamel !
– Salut, David.
– Tu fais quoi dans la vie ?
– Mannequin et toi ?
– Heu… Je suis une formation pour devenir chauffeur de bus.
– Ah… »
Le Loft 2 : le poids des mots, le choc des socios.

Dans le loft, David et Kamelhan deviendraient inséparables. Avec l’aide d’Angela, Sandra et Lesly, ils fonderaient le célèbre Clan B qui bêtifie avec un grand A. Mais qu’en est-il advenu de leur amitié six ans plus tard ?
Retournés à leur quotidien, croyez-vous sincèrement que le mannequin continue à fréquenter le chauffard de car ? Au mieux David a-t-il accepté Kamel dans ses potes Facebook et s’est laissé poker par son ex-kolok.

Avec près de 400 amis sur Facebook, il est logique que bon nombre de mes contacts aient disparu de mon horizon depuis belle mirette. Marie, Amélie ou Raphaël ont ainsi rejoint mon réseau virtuel après quinze ans d’absence. Tout comme Maude.

Maude M. ou ma première amoureuse. La petite fille qui faisait plus de trois croches à ses m. Dans le mot « je t’aime », trop de M. Et jamais, jamais un seul post sur celle que j’aimais tant. Sur ses lacets fluos écrire que ma mémoire s’est arrêtée. Sur ses sourires lumineux décrire nos après-midi heureux. Des conneries de cet acabit mais des conneries qui me donnaient envie. Vous voyez à quoi vous avez échappés ; je me suis déjà senti plus inspiré. J’ai donc préféré m’abstenir jusqu’à trouver le bon angle pour l’aborder.

J’ai attendu vingt-deux ans avant d’aborder Maude.

“Poke her!” Coup de poker après vingt-deux ans. Allait-elle me répondre ? Entre temps, chute du mur et des deux tours, allais-je chuter à mon tour ?
Sur sa photo, une tête blonde sur ses genoux. Sur ma photo, un air con sur mon sourire. D’un côté la maman, de l’autre le fêtard : les contes de « face » ont pris un coup de vieille dans l’aile.

« Tu es Maude M. quand même ! »
Cela justifiait tous mes efforts pour la retrouver. Elle était juste elle-même et elle méritait qu’on la recherche pendant vingt-deux ans.
Comment expliquer en quelques mots ce que moi-même j’ignore ? Mais je l’ai senti de derrière mon écran, j’ai senti qu’elle m’attendait, que j’étais celui qui, que j’étais celui que. Qu’enfin elle pourrait et que finalement nous pourrions. Que ces années divorcées, que ces années esseulées, que ses nuits à pleurer, que ses journées à trimer, que tout cela avait un but : moi.
Et bien non : si Cendrillon a divorcé, le Prince est devenu pédé.

Bien sûr que je ne le lui ai pas annoncé comme ça ; on ne brise pas vingt-deux années d’illusions sans risquer de passer le restant de ses jours dans l’épiderme d’un crapaud. J’ai pris des pincettes de crapette et lui ai fait des courbettes jusqu’à ce qu’elle admette. Tout cela sans qu’une seule fois le terme ou assimilé surgisse dans la discussion. C’est qu’il sait rester élégant Prince Pédé. Alors que Cul Cendron, elle, a déjà beaucoup plus de mal avec le concept de tact.

« J’ai pris vingt-sept kilos pendant ma grossesse et ma fille s’appelle Kimberley. »
NFS, Chimie, Iono, Gaz du sang ! Vite on va le perdre !
Vingt-sept kilos ?? Mais c’est le poids qu’elle faisait quand je l’ai quittée ! Et surtout : Kimberley ! Ca a toujours été mon grand jeu d’imiter les beaufs en criant « Kimberley, va chercher une bière à ta mère ! »
Je devais donc changer d’humour en cet an de grasse 2007 où j’épousais Cul Cendron, fille du roi Gérard XII de Jive-sur-Yvette. La quête du râle avait bien piètre allure.
David et Kamel, Maude et moi-même, des destins qui plus jamais ne se pokeront. Après avoir tant partagé, l’un des deux a jugé qu’il valait mieux aujourd’hui garder. Que les choses ne peuvent pas être comme avant quand on a vécu ce qu’on a vécu en vingt-deux ans. Que l’on ne sait jamais, mais que l’on peut s’accrocher aux bons souvenirs comme à une certitude. Que la déception balaierait tout. Et décider d’avancer sans elle n’est pas le refus de la voir pour toujours à mes côtés. Puisqu’elle y a toujours été.
Maude.