Pourquoi faut-il acheter des fleurs ?

Paris, le 16 mai 2012

 

 

« Mrs. Dalloway dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs. », écrivais-je ce samedi sous une photo postée sur Facebook. On y voyait l’avenue Gambetta dans ce qu’elle a de plus laid – bitume et camionnettes – et en son centre un bouquet de fleurs rouges modestement emballées dans du papier kraft.

« C’est pour offrir ?

– Non, c’est pour moi. »

Des fleurs. Pour moi. Quelle curieuse idée.

Les hommes ne s’achètent pas des fleurs, ils les offrent, à des femmes de surcroit. Il ne viendrait pas à l’esprit d’une personne normalement constituée d’offrir des fleurs à un homme. Et pourtant, et pourtant, et pourtant mes amis qui m’offrent des fleurs sont normalement constitués.

« I want to buy you flowers » chantait Émilie Simon, celle qui a démocratisé ce mouvement. Je repensais souvent à cette chanson lorsque Benjamin souhaitait que je lui offre des roses, bleues de surcroit. (Comment ai-je pu m’amouracher d’un garçon qui raffolait de roses bleues ?) Je ne l’ai jamais fait, les roses c’est pour les meufs, entre mecs c’est un truc de pédés. Et pourtant, et pourtant je suis passé à côté de quelque chose en ne voyant dans les fleurs qu’un présent féminin, inutile et périssable.

 

« Qu’est-ce que t’as fait hier soir ?

– J’ai bossé sur un film pour un mariage.

– Encore ? »

C’est la même rengaine au travail depuis des années, mes collègues s’étonnent au printemps et en été d’ainsi m’affairer. Je suis dédié aux films, aux montages, aux spectacles lors des mariages. Ce n’est pas un rôle qu’au début on m’a confié, c’est moi qui me le suis approprié. Ayant reçu pour mes 18 ans le plus beau cadeau qui soit, un cadre avec des photos de tous mes amis de l’époque – soit quelque chose que l’argent ne peut acheter, un souvenir – j’ai toujours considéré que, pour ce qui est censé être le plus beau jour de votre vie, vous méritez que l’on vous offre le plus beau des cadeaux, le plus vibrant des souvenirs : un film de votre vie. Bon, j’avoue, je me limite généralement aux dernières années de mes amis. Mais pour les 60 ans de mon père c’est un film de 18 minutes retraçant toute sa vie – et donc au final celle de ma famille – que j’ai réalisé. Quatre mois de boulot intensif l’année dernière, de sélection de vidéos et de photos familiales retravaillées pour ce qui restera avec les années une des plus belles choses que j’aurais réalisée. Le regard de mon père, les yeux de ma mère, ceux de mon frère, rien ne nous enlèvera l’émotion de ce soir-là.

Acheter des fleurs revient finalement un peu au même : ce sont des souvenirs, une impression d’apaisement et de beauté que l’on se procure à chaque bouquet. C’est pour cette raison que l’on doit s’offrir des fleurs, pour remplir et embellir le vide qui règle parfois autour de soir, pour se divertir – au sens pascalien du terme – et se responsabiliser en n’oubliant pas d’en changer l’eau. Tout cela et bien plus encore. Et cela semble évident lorsqu’on se rappelle qu’elles aussi sont en vie, et nous gratifient de leur présence d’une indéniable poésie.

 

« Des oeillets du poète.

– Je vous demande pardon ?

– Vos fleurs, ce sont des oeillets du poète. »

« Quel matin frais ! », pensa Clarissa Dalloway.