Il aura fallu le culte du coup de foudre pour tout faire foirer. A force de nous faire croire que l’amour est possible au premier soir, à la première coucherie des baisers barbares, le coup de foutre nous aura laissés rêver que les sentiments inébranlables sont réalisables au premier désir branlé.
Il en faut du temps. Il en faut du temps pour s’en remettre. Ca passera avec le temps ou quelqu’un d’autre, mais ça va vite de se maquer avec la faute. Et pourtant le temps qu’il faut il le faut pour construire au tout début, pour se connaître, pour se savoir, pour ne pas se faire avoir. C’est le temps qu’il faut pour s’aimer au-delà d’un soir.
Alors patientons. Car si le bonheur est au bout, le temps n’aura pas été long.
Le charme en héritage
Je pensais toujours à mon grand-père les veilles de rentrée. Allongé sur mon lit, je lui parlais dans l’obscurité. Et lui, jamais ne me répondait.
Mon grand-père est décédé en 63 je crois. Je ne l’ai jamais bien su car je ne l’ai jamais connu. Il était avocat mais également journaliste. A ses funérailles, les gens faisaient la queue dans la Calle Pelayo de Barcelone afin d’exprimer leurs condoléances à sa veuve, sa sœur et sa fille ; ma mère.
Ma mère m’a toujours parlé de son père en des termes partagés. Oui c’était un homme du monde, oui tout le monde l’aimait, mais c’était un obsédé sexuel qui trompait sa femme avec tout le monde. « Tu lui ressembles beaucoup », m’a souvent dit ma grand-mère.
Il est vrai que nos profils sont semblables sur le mur du salon, même front dégarni aux entrées, même nez d’aigle qui attire l’attention. « Ton grand-père avait beaucoup d’élégance. Et l’élégance tu nais avec ou jamais tu ne l’as. »
Alors je regarde le grand portrait de mon grand-père dans les escaliers de notre maison d’Hendaye et je commence à comprendre. C’est vrai que cet homme n’est pas le plus beau avec sa bouche un peu coincée, mais qu’est-ce qu’il en jette dans les escaliers. Son regard vous défie avec douceur, il vous invite, est bienveillant, et vous rassure car lui-même est rassuré. Ce regard je l’ai, ce regard je peux l’avoir. Il faut que je l’ai quand je rencontrerai ce garçon ce soir.
« Mais tu es beau ! »
C’est toujours très intrigant quand on me le dit, peut-être plus venant de filles. J’ai toujours du mal à le croire, le manque de confiance le coupable, il faudrait penser à Grand-Père ; et à son regard.
Alors les veilles de rentrée je parle à Grand-Père. On revient sur l’année, compare nos fossettes, pleure un peu, vomit les boutons de chemises et on prie ensemble pour la famille. C’est la seule façon que j’ai trouvée pour le connaître, au-delà de la mort, pour lui dire que je vais bien, très bien même, encore et encore.
Le pourquoi de mon comment
Son évocation suffit à me déstabiliser. Il a suffit qu’il évoque son existence au détour d’une phrase pour me faire passer de roc à eau fuyante, de la certitude au doute, de l’apaisement au combat. Oui, c’est un peu tout ça lorsqu’un garçon qui me plait évoque son ex par-ci par-là.
C’est un combat perdu d’avance sur le ring de la séduction, moi qui me trouvais pas si mal commence à me trouver du ventre, qui m’imaginais tendre me trouve niais, qui me pensais drôle me trouve ridicule. Je suis forcé d’admettre ma défaite devant cet ex idéal que je n’ai jamais connu.
Je pourrais me dire qu’il y a des raisons à leur rupture, que ce n’était pas le bon ; que c’est peut-être moi. Mais non, le manque de confiance gagne sur ce terrain-là. L’ex aura quelque chose que je n’aurai jamais, et c’est cette défaite-là que je devrais admettre au lieu de celle des sentiments. J’ai ma place, j’ai ma chance, dans un coeur qui fut par un autre habité.
« Tu es déjà resté longtemps avec quelqu’un ? »
S’il y a bien une question qui m’agace c’est bien celle-ci.
La réponse est non, et cela quelle que soit la définition de « longtemps » pour chacun. Car tout le monde a la même définition « d’un mois », et un mois est mon pitoyable exploit.
Alors oui j’aurais pu me mettre en couple « pour essayer », pour faire comme tout le monde, ne pas être en reste, changer son statut sur Facebook ; pour uniquement « être en couple ». Mais non, je m’y suis toujours refusé. Alors aujourd’hui je le paye.
On me regarde de travers lorsque j’avoue mon absence de vie de couple en 27 ans.
Oui, je l’avoue comme on avouerait un crime, et peut-être est-ce cela qui me rend anormal aux yeux des gens. Car aux miens tout s’explique si cela doit être analysé : j’ai été longtemps amoureux sans amour en retour, et mon coeur – contrairement à mon lit – n’a de place que pour un. Point.
C’est dur à dire lors d’un premier rendez-vous.
Alors gentil garçon ne me pose pas cette question, et n’évoque pas l’existence de ton ex si tu ne veux pas de moi kleenex. Car l’essentiel dans cette histoire c’est qu’il n’y a de place que pour un, et je crois que ça se fait rare en nos tristes matins.
Viens, ne parlons pas et prends-moi juste la main.
Rendez-vous nocturnes
La mère d’Anne-Claire avait l’habitude de se faire réveiller à quatre heures du mat’ ; mon père aussi.
« Allo Papa ? Tu peux venir nous chercher s’teuh plait ? »
Alors mon père enfilait fissa son fût’, la mère d’Anne-Claire son col roulé, et tous deux filaient fenêtres ouvertes sur leur fidèle destrier au secours de leur progéniture adorée. Des parents modèles pour résumer.
Mais chacun avait son style à quatre heures du mat’. Mon père c’était plutôt polos colorés dans sa Jaguar chouchoutée, tandis que la mère d’Anne-Claire c’était sombres tenues dans sa mini en retenue. Dans les deux il y avait de la musique, respectivement Dian Krall et Fip.
« Vous êtes sur Fip, il est quatre heures du matin. »
« Je le sais bien, bécasse », devait soupirer la mère d’Anne-Claire devant sa radio.
« J’ai une soirée sur une péniche à Saint-Cloud », « Héloïse organise une soirée dans le château de sa mère », « C’est à l’Aquagif de Gif-sur-Yvette », « C’est aux Planches à côté des Champs », nos parents avaient intérêt à avoir bien repéré l’itinéraire pendant leur soirée. Il valait mieux éviter de se perdre en pleine nuit au milieu de nulle part.
Et pendant ce temps-là on dansait, on buvait, on vomissait et on riait. Parmi nos meilleurs souvenirs grâce à Papa-Maman.
« Je préfère aller te chercher plutôt que de te savoir rentrer avec quelqu’un de saoul. »
Nos parents parfaits on les avait trouvés sans même avoir eu besoin de les chercher. Il y a des évidences qui peuvent mettre dix ans à vous éclairer.
Sainte-Rita, ayez Pitt de nous
Je peux me taper Brad Pitt si je veux. J’aurais plus de mal à le garder en revanche.
« C’est bien d’avoir confiance en soi.
– C’est plus complexe que ça.
– A qui tu parles ?
– A moi-même.
– Ah. »
En écrivant ça, j’ai confondu les Moïses de mon voisin d’en face avec une flaque de vomi. Il faut vraiment que je corrige les verres de mes lunettes. A moins que ceux-ci ne me fassent voir la vérité mise à nue.
Et alors tout s’éclaircit. Car le Brad Pitt dont je parle est en réalité Bertrand Planchon, non pas le plus beau de l’univers mais le plus beau à mes yeux. « Et si je ne crois pas en ce que je vois, que vais-je pouvoir dire à Saint-Thomas ?
– Adresse-toi plutôt à Sainte-Rita. »
Sainte patronne des causes désespérées, Sainte PDG des pédés, la Rita j’n’ai pas eu besoin de toi pendant deux ans. Depuis août 2006 ma famille le sait et j’ai été heureux pour ça. Le bonheur est vraiment relatif mais pour moi il fut. Jusqu’à ce jour proche de juillet où la maison TacTac chuta. Et aujourd’hui je reviens vers toi : La Rita, la Rita, je te veux si tu veux de moi.
« Tu crois vraiment que c’est ça ? Que tu avais droit à deux ans de bonheur après ton coming-out ? C’est toi seul qui as décidé quand le dire, quand mettre fin à tout ça, quand commencer le reste et quand l’achever. Et c’est également toi qui pourras relancer tout ça… Maintenant tu me dois 35€ car t’as stationné trop longtemps sur une sortie de parking. Faut bouger Monsieur. »
Et là Lovely Rita me cloua le bec sur ma croix. Elle était vraiment forte celle-là. Elle traînait mes problèmes à la fourrière. Sombrero Seño-Rita.
Mes amis pensent à moi pour les grandes occasions
La pompière de Saint-Fargeau
Je rentrais à trois heures du matin d’une soirée où j’avais pécho dégun. Je m’étais d’ailleurs dit : « A une soirée hétéro je fais tâche dans le lot. Parmi leurs jeux de séduction, j’ai bien l’air con dans leur salon. » Alors je me suis mis à charmer des filles, mais des mignonnes attention, c’est pas parce que je suis gracile que je ne sais pas détecter de moches cons. Etre pédé ça ne vous rend pas Sheila jolie, un peu plus sympa je veux bien merci.
Donc je rentrais de taxi d’Argentine – ça fait un peu cher la course je sais, quand le chauffeur m’a déposé à Saint-Fargeau sur la 3bis pour le métro. Cette ligne qui ne sert à rien, ce métro privé sans strapontin, sans affluence et Parisien, c’est mon métro à moi le mien. Et en plus il dessert la caserne des pompiers la plus moderne de la cité : des baies vitrés et des camions qui font rêver astiqués en plein soleil par des torses bombés. Par les joggeurs préférés de mon quartier, ceux qui me donnent le sourire lorsque je vais travailler. Ca c’est la caserne de mon pâté. Pâté de maisons ou de mon patelin, j’aime les pompiers de Fargeau-Saint.
Mais à trois heures c’est autre sport pour les sauveurs. C’est sport de rampe, c’est sport de crampe, c’est sport pour celle qui les écarte. Et un, et deux, à ton tour mon beau, la prostipute ouvre cuisses au Mont-Fargeau. Car en passant devant la caserne en pleine nuit, c’est deux pompiers qui raccompagnent la jolie. Jolie rousse un peu flétrie, vulgarisée jusqu’à l’ennui. Sa jupe est assez short pour ouvrir les portes du gros camion qui téléporte. Son manteau est transparent comme à Boubou, comme celles qu’on ramasse dans des cars à bout. C’est évident c’est une grognasse, putassière des masses militaires qui fait la passe. Passe de bras en mains et en claques : « J’embrasse pas, c’est toi qui raque. »
Pour moi c’est clair les pompiers à côté de chez moi s’envoient en l’air avec la fille de joie.
Et dans mon sang alcoolisé j’n’ai qu’une idée : la remplacer. Je l’envie, je veux être elle, je veux être cette putain officielle. Et non celle qui se tapie chez elle, dans les noirceurs des logiciels :
« slt tu ch ?
– un plan rapide, un septième ciel »
Je veux être elle car j’veux la beauté, j’veux tous ces beaux hommes esseulés, entre mes bras les rassurer. Mais j’oublie qu’elle, la sainte-maquerelle, n’a jamais voulu ouvrir son ciel. C’est juste la foudre qui la percée, la transpercée et retournée dans sa violence spontanée. Sa chienne de vie elle a bavé et c’est loin d’être terminé.
Alors je veux, je veux être elle, mais juste un temps pour voir son ciel ; la pompière de Fargeau-la Belle.
La petite voix
C’est AMLOC* qui m’a poussé à écrire ce billet. Il m’a envoyé un mail pour me demander quand est-ce que j’allais revenir. C’est le genre de mail qu’il faut m’envoyer.
Je n’ai pas arrêté d’écrire, j’ai toujours mon carnet sur les genoux dans le métro. Je suis juste sur un autre projet, plus grand, mais pas plus prometteur. Je ne promets rien en écrivant ce recueil de nouvelles, je ne promets pas qu’il plaira ou qu’il sera publié ; mes ambitions ont bien changé en dix ans.
Lorsque j’avais dix-huit ans et que j’avais déposé mon manuscrit à l’accueil de Gallimard je m’étais moqué de la nana derrière moi, « Les Feux de la Passion » : ridicule le nom de son roman. Moi j’avais un avantage sur elle : j’étais jeune. Oui mais je ne savais pas écrire. Je savais sentir, absorber le réel autour de moi, m’imprégner du vécu des inconnus, mais je ne savais pas le retranscrire. J’écrivais « navire » au lieu de « bateau » et mon écriture n’était pas sincère. Alors un jour j’ai écrit « Putain ! » au lieu de « Diantre ! » et c’en a été que meilleur : j’ai commencé à écrire comme je pensais. J’ai commencé à écrire ce que la petite voix dictait en moi.
Et la petite voix me dicte aujourd’hui de revenir doucement vers vous.
Merci AMLOChou.
* A Mysterious Lecteur Of Coquecigrue*
La possibilité d’un Il
« Je ne t’avais jamais vu comme ça. Tu buvais ses paroles et surtout, tu le regardais vraiment. Tu le regardais VRAIMENT. »
Lorsque Matoo m’en a parlé et qu’il a plaisanté en disant qu’il l’intégrerait dans un post, j’ai répondu avec une fausse humilité qu’il n’y aurait pas grand-chose à écrire dessus pour que lui-même me réponde qu’en effet ce serait limité. Nous anticipons les dialogues avec Mathieu ; nous nous connaissons bien nous deux.
Parce que lui comme moi savons que ces regards que j’ai eu envers ce garçon ont leur importance. Et bien que ce soit mort de chez mort lorsque j’apprends qu’il a un mec et qu’il vit avec depuis deux ans, il est rassurant de constater que j’arrive encore à m’intéresser à un garçon. A un seul.
« Rédhibitoire. » C’est un mot que j’ai appris à Isabel l’autre soir. Jeune Allemande aux traits furtadiens qui buvait elle aussi mes paroles entre ses fines lèvres. « Rédhibitoire c’est une chose sur laquelle tu ne peux pas passer outre. Comme la gourmette ou les chaussettes pendant l’amour. » La Chandler attitude qui te rend coupable un poireau sur le sourire du Prince Charmant. L’intransigeance ne fera jamais bon mariage avec l’amour.
Il avait l’air sain lorsque j’y repense. Lorsque j’y repense il avait l’air de ces garçons qui n’ont pas le même parfum que moi. Pas ce parfum de la centaine d’amants qui ont laissé sur ma peau ce nectar repoussant. Car sur le coup je n’ai pensé à rien ; j’ai juste écouté. Je n’ai pas cherché à impressionner, je n’ai pas cherché à réguler mon naturel, j’ai juste été en ce 21 juin. J’étais là en dehors du temps, de la nuit la plus courte et de la musique frénétique. Juste été avec quelqu’un, même si c’était pour de faux.
Et c’est qui m’a manqué pendant des années, être deux, même si on ne l’est que dans ma tête. Alors même si ça ne sera pas avec ce garçon, on va quand même essayer, on va essayer d’être heureux à deux.
Car tout seul je sais déjà faire.
Droit aux Buttes
J’aime croire que mon premier souvenir date des Buttes Chaumont.
Printemps 81, on assassine Reagan et Jean-Paul II mais ma mère décide de me sauver. Sa gynéco lui avait dit que je serai 21, que je serai mal en point, que je serai mongolien. Sa gynéco a eu tort et je suis venu fort. Je suis venu victoire et Victoire aurait été mon nom si je n’avais pas été garçon.
Sa gynéco est ma marraine.
Il y a des choses qui ne s’expliquent pas.
Printemps 81, mon grand-père filme ma mère. Et sur les bandes délavées les couleurs ont bien palis. Mais le sourire est radieux sous les cheveux roux, les branches des arbres sont évanescentes mais la joie palpable ; je suis dans son ventre, son ventre énorme qui lui cache les pieds. Aucune ombre au film.
Eté 08, je ne me sens pas bien, une angine à la con me fait tourner en rond. Je ressasse des pensées et reste à ruminer. La vache je suis drogué. Des heures à chatter, des heures intoxiquées à perdre mon temps, à le perdre vraiment. J’essaie de me dire que ce vide me restera : comme une force, comme un trait, comme une possibilité contre l’ennui. Et pourtant aujourd’hui je reste là sans rien faire. Ce texte pour témoigner, c’est peut-être assez.
Eté 08, je me rends Buttes Chaumont. Une évidence des jours trop cons. Une évidence de se rendre là si on considère mon avant-moi. Si ses promenades enlacées sont lovées comme j’étais bébé. Dans son ventre, ventre. Bercé, bercé.
Et soudain la pluie.
Et soudain avenue Michal, je m’aperçois qu’il est bien là, que je l’écoute comme je le sens et Elodie me chante doucement « Viens jusqu’à moi ». Mon iPod est bien ironique et le sourire attendu arrive. Là. Lentement. Sur mes lèvres, pendant longtemps.
Puisque le temps est subjectif, perdre son temps c’est p’têt’ un kif.