Il y a un an, je voulais un PowerPoint pourri à mon mariage.
Il y a un an, j’avais joyeusement décidé de prendre mes pinceaux et de ressortir ma gouache du collège pour peindre sur un vieux bout de carton un slogan qui me ferait passer à la télé. Je n’y avais pas beaucoup réfléchi, il m’était apparu comme une évidence dans mon salon la veille de la manifestation. Quelques jours après avoir écrit ce texte, je voulais simplement prendre ma revanche sur tous ces mariages pour lesquels j’avais été témoin et pour lesquels je m’étais efforcé à pondre les meilleures animations. Mais rapidement, en défilant avec ma famille et mes amis le 16 décembre 2012, je compris que ce slogan marquait les esprits. Des centaines de photographies, des centaines de tweets, des milliers de partages de photos me représentant sur Facebook : ma pancarte devenait un phénomène viral. 10 minutes à perdre prenait les devants, des journalistes me citaient dans leurs articles, Yann Barthès m’adorait, Slate m’interviewait : cela totalement me dépassait. Et sans compter dans l’intimité des amis avec lesquels je m’étais fâchés qui reprirent contact avec moi, des personnes qui n’avaient pas auparavant accepté mes demandes d’amitié Facebook soudainement les approuver, des hommes et des femmes dans le métro me reconnaître, des demandes en mariage d’imparfaits inconnus, et bien entendu mon Ex reprendre de mes nouvelles pour mon plus grand bonheur : oui, cette pancarte me chamboulait en cette fin d’année 2012.
Par la suite, j’ai reçu de nombreux messages bienveillants sur Facebook à son sujet. Le compliment qui revenait le plus souvent était « Merci de donner de la visibilité à ce combat. » Et même si je pensais à l’époque que mon action avait été purement involontaire, il est vrai avec le recul que cette pancarte a apporté de la visibilité à notre combat. J’avais secrètement voulu que ce slogan parle aux hétérosexuels qui ne se sentaient pas a priori concernés par le sujet ; cela au travers d’une anecdote humoristique qui particulièrement les interpelleraient. Et c’est pour cela que je pense que ce slogan a autant marqué les esprits : parce qu’il était ultra-codifié non pas pour les homosexuels, mais pour les hétérosexuels. C’était eux qu’il fallait convaincre de l’évidence de nos revendications. Il fallait convaincre les mecs qui boivent du whisky à 4h du mat’ à un mariage en montrant leurs aisselles trempées à leur partenaire de rock rallye sur « Sunday Bloddy Sunday ». Il fallait convaincre les auditeurs d’Ernst & Young qui checkent Facebook sur leur BlackBerry à 9h le lundi matin sur la ligne 1 direction La Défense. Les fans de Madonna et de Lady Gaga étaient acquis à notre cause ; ils ne m’intéressaient pas. Mon amie Lucie a également une théorie sur l’origine du succès de ma pancarte : elle estime que la référence sur le PowerPoint est un minimum geek pour expliquer la dispersion du slogan sur les réseaux sociaux. Pourquoi pas ; je ne sais pas. En tout cas, je n’ai jamais réellement cherché à comprendre pourquoi ce slogan avait connu un tel succès : les buzz ne se produisent qu’une fois et ne s’expliquent que très rarement.
Ce qui m’intéresse avec le recul sur cette histoire est qu’elle a inconsciemment donné le la à notre combat. Comme si dès le début, nous, militants du Mariage Pour Tous, nous avions voulu montrer à la France entière que nous étions des personnes comme tout le monde – pas des êtres « comme ne faisant pas partie de l’humanité » – et que nous allions mener ce combat dans l’humour et l’amour. Et, comme les mois qui suivirent le démontrèrent largement, nous avons bien fait de nous battre pacifiquement face à la haine des militants de la Manif Pour Tous. Les manifestations des 13 janvier et du 24 mars 2013 ne furent que des déferlements de haine et de violence. Et sans trop revenir sur ces événements qui ont fait honte à notre pays, j’ai une très forte pensée pour tous ces couples hétérosexuels pro-Mariage Pour Tous qui se sont disputés lors de dîners avec des amis pro-Manif Pour Tous de longue date, mais également et surtout pour Wilfried, Sylvain et leurs copains, pour les patrons du bar le Vice & Versa à Lille (là où j’ai eu mon premier rencard en 2003 !), ou bien encore pour ces dizaines d’adolescents qui se sont suicidés cette année sans que leur entourage ne comprennent pourquoi, alors que moi je sais intimement et subjectivement qu’ils l’ont fait car ils étaient homos et que leur famille militaient contre le Mariage Pour Tous ; c’est une conviction que jamais personne ne m’enlèvera. 2013 fut une année extrêmement compliquée pour tous les LGBT de France, une année où quelqu’un affirmait tous les jours dans les médias que nous ne valions pas autant qu’une personne hétérosexuelle, que nous étions des citoyens de seconde zone. Et même si Vincent et Bruno ont pu finir par se marier, nous ne devrons jamais oublier tous ceux qui sont tombés pour qu’ils puissent à la mairie s’embrasser. C’est que nous avons vécu une année que nous n’oublierons jamais. C’est que nous avons vécu une année qui nous espérons aura le même impact en France que 1967 aux Etats-Unis lorsque les mariages mixtes entre individus de couleurs différentes cessèrent d’être considérés comme anticonstitutionnels. Et si vous pensez que cette précédente phrase est exagérée, c’est que vous n’avez pas encore mesuré la portée de l’année écoulée. Car si l’on demandait aux Français de citer l’événement qui les a le plus marqués en 2013, la majorité répondrait « Les débats sur le Mariage Pour Tous » (avec le « Allô non mais allô quoi ! » de Nabilla bien entendu…).
Aujourd’hui, à l’aube de 2014, que nous reste-il encore à faire ? Beaucoup, cela va de soi. Vous pourrez insérer ici tous les combats que vous jugerez juste pour l’égalité des droits, car il y en a encore beaucoup : PMA, droits des transsexuels… On ne vous oublie pas. Et on n’oublie pas non plus les autres pays. On n’oublie pas les lois qui réprimandent les personnes homosexuelles en Russie ou en Inde. On n’oublie pas les jeunes gays pendus en Iran et les femmes arrêtées au Sénégal pour des « actes contre-nature ». On n’oublie pas les lesbiennes violées en Afrique du Sud pour être « guéries ». Nous n’oublions pas que le combat est loin d’être terminé. Nous n’oublions pas que le combat pour l’égalité ne fait que commencer.
Car, moi aussi, je veux un monde d’égalité des droits.