Je suis une de ces personnes qui profite d’un moment d’absence pour s’enfuir de son rencard sans même dire au revoir.
Je discutais avec ce garçon sur un tchat. Il n’avait pas l’air exceptionnellement beau, mais il avait l’air intéressant, cultivé : il était libraire. Libraire, ça changeait ; nous pourrions parler de littérature. J’avais un ex qui m’avait proposé deux places pour le vernissage de l’exposition « Smecta » à la Gaieté Lyrique ; je n’y étais jamais allé : cela me semblait une bonne idée de lui proposer de m’y accompagner. Il faut savoir que j’abhorre les rencards convenus. Verres interminables, silences gênants et « C’est pas vrai, t’adores ça ? Moi aussi ! » me donnent la nausée. Je préfère les rendez-vous qui obéissent à leurs propres règles non définies à l’avance. Tout peut être déjà si scénarisé sur les tchats gays que, par pitié, laissez-moi au moins improviser dans la réalité. J’avais donc décidé que ce serait un vernissage pour ce garçon dont je ne me souviens même plus du nom.
C’était donc lui, ce petit garçon négligemment barbu avec un bonnet jusqu’au-dessous des sourcils. Dès qu’il s’est traîné vers moi en se regardant les pieds, puis qu’il a bondi à mon cou pour m’embrasser comme un petit enfant gêné de faire la bise à sa jolie cousine, j’ai su que c’était mort. Qui plus est lorsqu’il s’est mis à sourire en dévoilant d’affreux chicos – s’enlaidir lorsqu’on sourit est une des pires choses qui soient. Mais bon, malgré son physique à des « années-led » des photos précédemment reçues, et en fan de la première heure de « La Belle et la Bête » version Disney qui dit que la vraie beauté vient de l’intérieur (mais qui dit également « qu’il faut tuer la Bête » !), j’ai pris mon courage au moins à deux mains et deux pieds et lui ai dit : « Allez viens ! ».
C’était mal barré sur le chemin. Il continuait à manger ses godasses en marchant, mais surtout avançait beaucoup trop rapidement : il se trouvait à trois bons pas devant moi ! Pas évident de discuter avec ce timide maladif, avec ce cas compulsif. If… Mais que fait-il ? Non, ce n’est pas le moment de traverser, non. Putain, il traverse ce con ! J’arrive alors ! Mais traverser boulevard Sébastopol lorsque ce n’est pas votre tour, c’est ne pas arriver à franchir le boulevard en entier, et se retrouver sur la bande de terre plein qui délimite les taxis et les bus des autres véhicules. Traverser tout seul au mauvais moment c’est devoir se retrouver de nouveau l’un derrière l’autre au milieu des bagnoles : « Maintenant, c’est sûr que ça va être encore moins pratique pour se parler, hein ? », fulminais-je. Je relançai tout de même la discussion : « Donc tu es libraire… Tu travailles où ?
– À Gibert Joseph au rayon scolaire. »
Nous n’allions même pas pouvoir discuter de littérature. La soirée s’annonçait vraiment mal.
Arrivés à la Gaieté Lyrique, il se présenta au guichet les mains dans les poches et les yeux rivés au sol. Heureusement que ce fut moi qui parlai pour donner mon nom sur la liste. « Vous pouvez y aller. » Et là, il n’y alla pas, non : il fonça littéralement en direction de la salle tant et si bien que je le perdis immédiatement de vue ! J’allais visiter l’exposition tout seul dans mon coin car ce garçon était beaucoup trop timide pour pouvoir l’explorer à mes côtés. Et lorsqu’il m’arriva de le croiser au détour d’une œuvre et de lui demander poliment s’il appréciait l’exposition, il me répondait de manière concise : « Oui. » J’étais en train de vivre le pire rencard de ma vie. Heureusement que l’exposition n’était pas sans intérêt et que je pus surtout y croiser diverses connaissances : Florent, Julien, Nicolas, Fabien, Laurent ou encore Charles, tous vinrent se délecter de ma situation à mesure que je la leur comptais. « Non ? C’est le petit rabougri là ? Attends, je vais aller lui parler !
– Non, malheureux n’y va pas !! »
Nous buvions des verres de mauvais vin en tant que bons parasites des vernissages parisiens, lorsqu’au bout d’un moment, Charles et Laurent me proposèrent de continuer la soirée dans un bar. N’ayant plus de nouvelles de mon Prince Alarmant depuis au moins une bonne demi-heure, j’acceptais avec zizir. Quand soudain sur le chemin, je reçus un texto de ma grenouille inembrassable : « Où é tu?
– J’ai cru que tu étais parti, je suis donc parti dans un bar avec des amis. Je te souhaite une bonne continuation. »
Je ne pouvais pas être plus clair.
Sa surprenante réponse ne se fit pas attendre : « Gt à la bibliothèque, revient banane!!!! »
« Revient banane!!!! »… Il est vrai que nous avions été si proches pendant cette soirée que ce petit nom à mon égard était totalement approprié. Il m’offrit toutefois l’occasion de le gratiner d’un surnom. Ce garçon s’appellerait donc pour moi Banane pour l’éternité. Banane avec qui j’avais été un tantinet méchant, mais Banane qui l’avait un tantinet mérité.
Je suis une de ces personnes qui profite d’un moment d’absence pour s’enfuir de son rencard sans même dire au revoir. Mais avouez que vous seriez devenus une de ces personnes si vous aviez vécu la même histoire.