C’est une histoire que je n’ai racontée qu’à une seule personne. Cette personne a eu pour réaction de me dire « Je n’aurais jamais cru cela de toi. » Je ne parle plus à cette personne. C’est cette histoire que je vais vous conter aujourd’hui.
La vie est un conte. La vie est un conte dans lequel parfois la sorcière est une patronne insupportable, l’ogre un voisin terrifiant et le Petit Chaperon Rouge un jeune homme trop saoul rentrant de soirée. Cette nuit-là, point de taxi en traversant le Marais, le Chaperon que j’étais rentrait en titubant rue du Temple. Devant le Monoprix – à cette heure-ci fermé donc point de galette – un loup puant et enguenillé me héla « Monsieur, est-ce que vous auriez une cigarette s’il vous plaît ? » Une cigarette ? Mais bien entendu que j’en avais ! « Tenez, mais ce sont des Menthol. » Une légère déception se lut sur son visage, mais le loup accepta tout de même ma Marlboro garetteci. Marlboro Light, y’a pas plus légère pour s’envoler direct au paradis. C’est à ce moment-là, le voyant tout seul dans la rue l’indifférence pour seule amie, que le Chaperon lui demanda : « Puis-je m’asseoir un moment avec vous ?
– Avec plaisir. » rétorqua de toutes ses dents Monsieur le Loup.
Ce que Monsieur le Loup raconta par la suite au Chaperon est aujourd’hui un peu enfoui sous des années de souvenirs. Cette nuit-là, le Chaperon Rouge était grisé d’alcool, ce n’est pas un détail à négliger. Mais ce dont le Chaperon se souvient c’est que les histoires du loup étaient tristes à en pleurer. La mère louve ne l’avait pas allaité, elle lui avait à la place explosé une bouteille d’alcool sur le crâne alors qu’il n’était qu’un garçonnet. Cette histoire de coup d’alcool dégrisa le Chaperon pour le coup. Le loup avait de la décence, il ne lui montra pas la cicatrice ; le Chaperon la vit sans chercher. De ce traumatisme provenaient les crises d’épilepsie du loup, des crises qui lui avaient empêché de garder longtemps le même travail, enchaînant les boulots précaires qui le mèneraient jusqu’au froid, aux bois et à leur bout de trottoir Monoprix. Le loup raconta également au Chaperon comment une nuit un renard lui déroba ses chaussures. Depuis, il dormait tout le temps avec, même si cela empêchait ses pieds de respirer. Comment loups et renards dormant dans les mêmes bois pouvaient-ils se voler entre eux ? Le loup ne comprenait pas qu’ils ne soient pas solidaires, qu’ils ne se serrent pas les pattes. Le royaume était déjà indifférent à leur égard, fallait-il qu’ils en rajoutent entre eux ? Et que penser de ceux qui accumulaient les ordures autour d’eux ? Ceux-là aussi le loup les détestait : « C’était déjà des gens sales avant de dormir dans la rue. » Le Petit Chaperon Rouge écoutait, le Petit Chaperon Rouge acquiesçait, et sous sa pèlerine hoodie le chaperon tentait dans les silences de faire ce qu’il savait faire de mieux : faire sourire un loup. Métaphores, traits d’esprit, l’éducation privilégiée du Chaperon ne servit pas à épater le loup, mais à le distraire, à muscler ses zygomatiques, et à voyager ensemble assis par terre jusqu’à des heures fantomatiques.
Le Petit Chaperon Rouge est repassé depuis de nombreuses fois devant le Monoprix, mais il n’y a jamais revu son ami d’un soir le loup maudit. Alors, lorsqu’il pleut, derrière les carreaux ou dans son intérieur, le Chaperon pense souvent à lui. Il espère qu’il a aujourd’hui trouvé un endroit pour se réchauffer, un endroit où il fait plus chaud qu’il ne fera jamais. Il espère, où qu’il soit, que Monsieur le Loup est heureux.
C’est une histoire que je vous raconte aujourd’hui, car en vous la racontant je le garde plus longtemps en vie ; car en nous la racontant, vit plus longtemps Fouazi.