L’aube dès demain

A l’aube de ma vie il y a les flans à la vanille. Non pas des Flanby – ça coûtait trop cher, mais des Champion de Suresnes. De ce supermarché où le Père Noël en néon attelait ses rênes tout au long de l’année sur la façade.

« Allez hop il est l’heure de se lever ! Réveille-toi ! Mange ton flan ! »
Tout en restant allongé dans mon lit, je devais gober mon flan matinal pour gagner du temps. Le mangeant directement dans son pot en plastique sans pouvoir profiter de son unique intérêt : le démouler dans une assiette grâce à sa languette et admirer le caramel couler sur ses flancs. Je gobais pour me réveiller. Les yeux mi-clos, à 6 ans, je prenais des kilos au réveil ; les kilos que j’aurais tant de mal à perdre quelques années plus tard.

Puis il y eut ce réveil que je ne souhaite à personne. Les nausées, l’absence de repères. L’impression de renaître, avec toute la douleur que cela implique. La terreur de ne pas savoir où on est, si elle est là, la mère. Les nausées. Et puis finalement une main qui rassure sur le lit d’hôpital, des mots doux, et une peluche que l’on associe à un infirmier venu bavarder avec un enfant de 6 ans.

A Versailles c’est la radio qui me réveillait. J’étais un djeun’s et c’était trop cool de se réveiller avec NRJ ou Foufoune Radio. « Top la zik sur Fun Radio ! C’est bon plan bon délire ! ».

La nuit, je cherchais les heures curieuses et palindromiques de mon radio-réveil à cristaux liquides : 23:23, 1:11, 22:55 ou encore 0:10. Et un matin j’entendis les premières notes de Bachelorette. Comme si la Terre entière me réveillait dans son plus bel apparat. C’était Oui FM qui m’offrait ce beau cadeau. Ca changeait des « Qui va là je te prie ? » et des « J’aime pas les quatorze ans ! ».
Mais la même radio m’offrit également un réveil atroce : « Michael Hutchence s’est pendu ! ». Sans transition entre les rêves et le monde réel ça fait un peu mal et vous plombe la journée.

Devil inside the clock sometimes.

A Lille je me réveillais quand bon me semblait. Si je ne voulais pas, et bien je ne voulais pas. Qu’importait si je ratais un cours puisqu’on signerait pour moi. J’avais bien déjà signé « Rose La Panterre » ou « Labeï Maya » pour Maggy absente. Ne pouvait-on pas alors signer « Lecha Félix » en mon nom ?

Mais les réveils à Lille c’était parfois au crépuscule à causes des nuits passées à chatter avec Franck. C’était des heures avec ce Toulousain insomniaque que j’avais connu un soir de pleine lune en parlant de Radiohead. C’était attendre le soleil avec lui comme on attend la lumière sur son lit de mort.

Lille, c’était la fin des réveils et le début de la nuit.

C’est Paris qui vit mes premiers réveils à deux.
Dans mon lit « une place et demi » hérité d’une adolescence luxueuse, on se sentait un peu à l’étroit à Place des Fesses. C’est sûrement ce qui a poussé mes amants à usage unique à trouver un garçon mieux doté.

Les réveils à deux c’est parfois l’horreur. C’est parfois la découverte d’un autre. Et cet autre c’est parfois soi. J’aimerais tant pouvoir être celui qui rayonne de beauté au réveil. Un peu comme Laure du Loft qui expliquait qu’elle se levait avant son amant pour aller se maquiller dans la salle de bain et revenir toute pimpante dans le lit. Oui, j’aimerais bien être comme ça. Ou pas.

Car j’aimerais surtout qu’Il le fasse sur moi lors des réveils à deux. Que l’Autre fasse sur moi ce que je préfère faire sur Lui : poser mon regard.
Les croissants chauds qui laissent des miettes dans un lit ne sont rien à côté de ce regard. Un regard qui en dit long, beaucoup plus que tous ces compliments qui m’assomment et qui m’endorment.

Je veux juste qu’Il me réveille.
A l’aube, dès demain.

Elodie Frégé m’a contacté sur CitéGay

J’ai rêvé qu’Elodie Frégé me contactait sur CitéGay.

Elle m’a fait « Salut [Mon Vrai Prénom] ! ». Je lui ai fait « Salut Elodie, tu vas bien ? ». Puis ensuite j’ai osé lui demander ce qu’elle faisait dans la semaine. Nous avons convenu que nous nous retrouverions au concert de Patxi.

Ensuite, je me suis retrouvé dans la rue, par terre, sans force. Un de ces sentiments profonds qui vous font porter la tristesse du monde sur le dos. Incapable d’avancer, de rejoindre Elodie.
Puis Violaine et une autre amie (Cécile ?) sont arrivées et m’ont tendu la main. Le soleil rayonnait derrière leur regard protecteur. Comme dans les films.

Je leur ai tendu la main et me suis relevé, confiant, tout en sentant une cinquième main dans mon dos. Elodie ? Non : Emilie. Mon amie Emilie que je connais depuis 18 ans.

Pas comme Elodie Frégé que j’ai connue il y a 5 minutes sur CitéGay.

La lutte contre la paresse

Lorsque je me promène en ville au beau milieu de la semaine, je suis toujours étonné de voir le nombre de gens qui ne foutent rien de leur journée.

Prenez, là. Je me trouve assis au milieu du Starbucks – le seul café où la solitude est supportable, et bien constatez le nombre de personnes qui traînassent et qui n’ont l’air d’avoir comme seule préoccupation que le nom du gagnant de Secret Story. Bon, il est vrai que vous derrière votre ordi vous n’y voyez pas grand-chose, mais moi je le vois ce grand barbu. Ce grand barbu – très sexy d’ailleurs – ne fout rien de ses journées, c’est moi qui vous le dis.
Si, il fait quelque chose : il ronfle. Il ronfle en plein milieu du Starbucks Café.

Ah ! Il n’a pas tort le Petit Nicolas ! Car au final la France qui se lève tôt sert des Caffè Latte à celle qui se lève tard !

Non mais j’ai bon dos de critiquer alors que j’ai vécu comme ça pendant plus d’un an. La vraie paresse, celle décriée par la Bible et Julien Courbet, je l’ai connue.
La paresse qui vous fait dire « Oh c’est bon, je dors encore un peu. Je me lèverai plus tôt demain… ». Celle qui vous permet de faire les soldes et d’aller chez le coiffeur quand bon vous semble. Celle qui vous permet de faire la queue pendant quatre heures pour obtenir vos places pour Madonna sans vous soucier d’un éventuel retard au boulot. Cette paresse qui vous permet d’avancer dans l’écriture de votre roman…

Cette paresse qui vous fait également doucher à 17h et qui ne rend pas plus propre votre appart’ pour autant. Cette paresse qui ne vous cultive qu’avec Jack Bauer, Shane, Nath Fisher, Julia McNamara et Izzie Stevens. Cette paresse qui vous transforme comme les petits vieux que vous critiquiez, vous qui faîtes désormais les courses le samedi après-midi alors que vous avez tout le temps pendant la semaine.
Cette paresse qui rend improductif, pire : inutile.
Cette paresse qui rend stérile.
Cette paresse qui n’atteint pas que les paresseux.

Car la Paresse touche également les travailleurs.

La première fois que j’ai eu la honte de ma vie

Longtemps, je me suis couché de mauvaise heure. Parfois, à peine le Disney Channel fini, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors ». Longtemps, je me réveillais en gobant des madeleines et des flans. Longtemps, j’ai cru que la vie n’était que présent.

Tia s’endort dans sa chambre devant Derrick. Je dessine sur les murs. J’ai l’droit, c’est Maman qui m’l’a dit. J’ai peur de Papa. Je sens encore sa gifle sur ma joue. Cindy est idiote. Elle est venue à mon anniversaire alors qu’elle était pas invitée. Elle a dit à sa maman que je lui avais dit une fois dans la cour de récré que je l’inviterai à mon anniversaire mais c’est pas vrai. Quand elle a sonné à la porte et que je l’ai vue avec sa maman j’ai pas compris. Sa maman a raconté à Maman ce que je viens de dire et puis Cindy a eu l’droit de v’nir à mon anniversaire. Je l’ai bien faite pleurer au jeu du Tombeau de Napoléon en trempant plusieurs fois ses doigts dans la confiture en criant que c’était les yeux de Napoléon. J’aime pas Cindy, son prénom il est super moche.

Et puis d’abord elle a pas autant de Lucioles que moi. Moi j’ai plein de Lucioles que j’accroche au mur avec des punaises. J’ai l’droit, c’est Maman qui m’l’a dit. La première fois que j’ai vu une Luciole c’était Marie qui en avait apportée une à l’école. C’était un escargot dans un sac orange et même qu’il brillait dans l’noir. Pour me montrer ça, elle l’a mis dans ses mains et j’ai regardé dedans par un petit trou dans ses doigts. C’était super génial. Bien mieux que Plume le canard de Géraldine ma maîtresse qui fait caca partout dans la classe. Bah oui Plume ! Pas Géraldine ! T’es bête ou quoi ?

J’ai tellement parlé des Lucioles à Papa et Maman que j’ai eu l’escargot puis les autres et même que le Père Noël m’a ramené la tortue où tu peux mettre plein de Lucioles dedans. Super génial !

Je joue tout le temps avec mes Lucioles dans ma chambre. Enfin c’est celle de mon frère aussi parce qu’on la partage et moi j’ai le lit du bas parce que mon frère il est plus grand que moi mais un jour je pourrai dormir dans le lit du haut c’est Maman qui m’la dit. Là je joue aux Lucioles en écoutant un disque avec mon mange-disque rouge que Papi m’a acheté pour mon anniversaire. J’ai eu 6 ans. J’ai eu l’45 tours d’Astro le petit robot aussi. C’est chanté par Franck Olivier. J’ai découvert que quand tu donnes un gros coup sur le mange-disque alors que y’a un disque dedans, le disque il saute et ça fait un truc rigolo dans la chanson : ça saute. Je trouve ça super rigolo. Mais pour les Rois Mages mon frère il a eu l’45 tours de Sabrina et j’l’ai cassé en faisant ça. Alors qu’il était tout neuf. J’me suis bien fait gronder. Sabrina elle aime pas se faire sauter. J’ai plus l’droit d’le faire maintenant, c’est Maman qui m’l’a dit.

Je m’en fiche de toute façon mon frère il m’a cassé plein d’trucs aussi ! Je sais plus quoi mais il m’a cassé des trucs c’est sûr. La la la la la… Ouais je suis Vanessa. Elle est super géniale cette chanson aussi ! La la la la la…

Vanessa quand tu descends

De ton beau nuage blanc

Claude Lombard elle chante trop bien. Je suis Vanessa ! Ouais ! Je danse comme elle dans ma chambre. J’ai une baguette magique comme elle !

Vanessa, tu peux bien faire un détour

Dans notre maison on t’attend touj…

Maman ouvre la porte. Silence. J’ai rien fait de mal. Maman me dit rien. Mais moi j’me sens mal. J’sais pas pourquoi. C’est la première fois qu’j’ai ça. J’sais pas c’que c’est. Mais j’crois que c’est pas bien d’faire comme Vanessa. Et c’est pas Maman qui m’l’a dit cette fois.

La dame qui beurrait des tartines aux moineaux

Il neige parfois en avril comme ce fut le cas à Versailles.
J’avais posé mes mains sur la fenêtre pour mieux voir tomber les flocons. Je dessinais des étoiles avec la buée pour le plus grand déplaisir de ma mère. C’était le printemps où ma grand-tante beurrait des tartines aux moineaux.

« Ils ont besoin de margarine », me disait-elle. « Je ne leur en donne pas beaucoup, juste de quoi prendre des forces. » Et les moineaux piquaient du bec dans la Fruit d’Or. Un drôle d’hiver que ce printemps-là.

On avait eu chaud au réveillon, il n’y avait plus de saison. Mon père avait acheté trois fusées et deux feux de Bengale à allumer dans le jardin. C’était quelque temps avant minuit et ma grand-tante avait froid. « Je regarderai du salon », avait-elle expliqué. La couronne de l’Avant brûlait sur la table basse.
Les fusées volaient et le ciel de la Saint-Sylvestre s’emplissait de couleurs. Ma grand-tante n’en ratait pas une miette le nez collé à la fenêtre. Les feux de Bengale éblouissaient le jardin. Ma grand-tante… Ma grand-tante ? Où était-elle passée ??

« ¡ Al fuego ! ¡ Al fuego ! »
Oh merde, le salon prenait feu !
La couronne de l’Avant s’était embrassée, enflammant napperon, table basse et tapis !
« ¡ Al fuego ! ¡ Al fuego ! »
Ma grand-tante courrait dans tous les sens à 95 ans, aspergeant à coups de Badoit l’incendie de salon.
« ¡ Al fuego ! ¡ Al fuego ! »
Le temps d’arriver jusqu’à elle et l’incendie était maîtrisé. A 95 ans cette dame avait protégé notre foyer des flammes. Et tel un pompier dans son uniforme, elle resplendissait dans sa veste rouge. Le souffle court mais la fierté tranquille. Et ce petit je-ne-sais-quoi de flegmatique qui la rendait si attachante. Elle souriait alors qu’on aurait pu tous y passer. Elle osait sourire comme lorsqu’elle défiait son père à quinze ans.

Les bras sur les hanches et le sourire aux lèvres, on se ressemble encore à 95 ans.

Moi aussi je tourne dans des clips !

J’ai déjà évoqué dans un de mes précédents posts cette occupation quotidienne que j’ai : celle de m’imaginer dans des vidéoclips.

Le casque vissé dans les oreilles, le menton haut et la démarche certaine, j’avance sûr de moi dans les rues de Paris. Les couloirs des Halles comme les allées des Tuileries n’échappent à mes lubies clipesques.
C’est comme ça qu’est-ce que j’y peux ?

Je me sens beau, je me sens fort, invincible et poussé par les ailes musicales. Je déambule et fais avancer avec moi la Terre à chaque pas. Je suis le nombril du monde, la caméra tourne autour de moi et filme les petits pas que j’effectue malgré moi devant le petit bonhomme rouge devant moi. Moi, moi, moi, je claque des doigts et fredonne ce qui se doit en me moquant des regards qui ne regardent pas.
C’est comme ça qu’est-ce que j’y peux ?

Le couloir vide, je l’emplie. Le couloir vide, je suis là et avance en son milieu le néon rectiligne sur ma tête. L’assurance, la lumière et le regard loin devant. Le pas rapide, le bout bientôt, et hop la tête qui tourne et le corps qui suit. L’aération dans les cheveux, le souffle sur les tempes en descendant les marches. Là, là, là, regarder devant soi et ne pas regarder en bas.
Plus qu’un, ne pas regarder. (Ne pas me vautrer.)
Plus qu’un, le regard loin devant.
Et l’assurance.

Ca y’est, chuis grand : chuis un Bee Gees.

Another movie critic

Si je commence à savoir que je veux un mec rien que pour supporter les dimanches, je peux également savoir pourquoi j’aime aller au cinéma.

Je sors à l’instant de Persepolis et paf, encore une claque dans la gueule. J’ai beau avoir la carte UGC, je ne vais pas souvent au ciné. Mais lorsque j’y vais, je cherche le K.O. à tout prix. La dernière fois c’était pour Les chansons d’amour. Si le « tout prix » c’est 18 euro par mois, je veux bien m’acheter 12 Mary par an.

Persepolis : des détails, une vie. Des scènes qui font rire, d’autres qui font pleurer. C’est tout con comme principe mais ça marche à merveille. J’ai entendu quelqu’un dire en sortant : « C’est très bien écrit ». Mais votre vie est également très bien écrite !
Dolly Prane me disait l’autre jour : « Je ne sais pas comment tu fais pour trouver autant de trucs à raconter ». Bah parce que ma vie est le meilleur pitch que jamais je n’aurai ; il ne me reste plus qu’à en écrire le scénario. Comment pourrais-je être assez idiot pour laisser glisser ces sensations et ces souvenirs sur ma peau ? Je veux les retenir. Je veux retenir ce qui déjà est parti.

Un film retient, un livre retient, un dessin retient, et toi tu oses laisser passer ce qui est tien.
C’est pour ça que je vais au cinéma, pour me rappeler que sans créer je ne suis rien.

C’est la vie, pas le paradis

Je n’aurais pas vécu ces moments si l’interdiction de fumer sur le lieu de travail avait été appliquée en 2004.

C’était le jour de la sortie de Rodéo. De l’album je ne connaissais que la sublime pochette et juste un refrain. Mes collègues de Jimmy m’ayant proposé d’assister à l’enregistrement d’En Aparté, j’avais alors supplié ma boss de pouvoir aller en régie pendant deux heures ; ce qu’elle avait immédiatement autorisé.

Pascale Clark était enfermée dans son placard à balai et moi dans la régie lorsqu’elle est entrée dans l’appartement. Elle a mangé un croissant en se souciant des miettes qui pourraient rester collées sur ses dents. Elle a parlé de Lola, de Rodéo l’Indien, de Didier Le Pêcheur, de Philippe Paradis. L’enregistrement a duré deux heures. Il n’en est resté qu’une heure pour les téléspectateurs. Une heure de paradis pour moi tout seul.

Après s’être prise en photo avec le Polaroïd, elle a refermé la porte derrière elle. Pascale Clark l’a rejointe ainsi que mes collègues de Jimmy, et moi-même.

J’aimerais écrire que je lui ai racontée tout mon amour, toute la force que ses chansons m’avaient inspiré à une époque difficile, tout le bonheur qu’elle me procurait encore aujourd’hui, mais non. Je suis sagement resté à fumer avec elle en l’entendant parler comme à la télé, avec fraîcheur et naturel. J’ai seulement approuvé certaines de ses paroles par mes rires et mes sourires. Comment oser interrompre un ange ?

C’est ce jour-là que je regrette amèrement en me rendant tous les jours au travail. Comment trouver grâce dans ces tâches qui me sont aujourd’hui incombées ? J’ai connu le Ciel trop tôt ; le retour sur Terre est très difficile.

C’est la vie, pas le paradis.

Les spécialités de Mayotte

C’est JB qui avait eu l’idée du thème « Le Tour du Monde d’Adrénalille ». J’étais un peu sceptique. Nous étions en février 2002 et la mondialisation n’était plus trop à la mode après la chute des Tours Jumelles. Tant pis, ça deviendrait quand même le thème de notre campagne BDE. Ce avec quoi nous nous battrions pour obtenir le Bureau Des Elèves de notre Ecole de Commerce. Au nom de notre groupe d’amis : Adrénalille.

Ce jour-là nous devions animer la cafétéria de notre école, et cela pendant toute une journée.
Nous avions emprunté la décoration du restaurant universitaire, celle qu’ils utilisaient les jours de nems et de riz cantonais. Nous avions déplacé les plantes du hall de l’école pour en faire notre forêt amazonienne. Une enseigne Mc Donald dans un coin, une ambiance chicha dans un autre et vous l’aviez notre tour du monde. Notre planète aux quatre continents – en dissociant Amérique du Nord et du Sud bien entendu, car oui Adrénalille n’avait pas les moyens de se payer la Terre entière.

Maintenant que la déco était très réussie (si si, je vous assure), il fallait se déguiser. Le président d’Adrénalille serait Le King – le pantalon blanc moulant lui allait si bien, Mich-Mich le Chinois – logique si on se fiait à son visage et non pas à son prénom emprunté à Galabru. Marjorie était très sexy en Chinoise. Elle avait même poussé le vice jusqu’à suinter les deux cents nems qu’elle avait frits pendant la nuit. Quant à moi, on m’avait affublé du costume d’Indien. Un petit air de YMCA avant l’heure ; je portais la coiffe à merveille. Et c’était surtout très pratique pour deviner où je me trouvais dans l’école grâce aux entrechoquements des franges de mon pantalon.

Nous avions organisé mille et une activités toutes plus sophistiquées les unes que les autres : danse orientale, initiation à la danse country, concert de musique africaine, jeu du grain de riz et cætera et chabadabada. Bien entendu nous avions pris le soin de caler ces activités pendant les cours, si bien qu’aucun élève de l’école ne pouvait y assister. C’était le but recherché.
Pour qu’au moment où des yeux se poseraient sur le planning de la journée, l’un de nous puisse les interpeller éhontement : « T’étais pas là pour l’initiation à la capoeira ?? T’as raté quelque chose. C’était GE-NIAL !! »

Ainsi les membres d’Adrénalille passeraient pour de super organisateurs à la place de super menteurs.

« T’es pas allé voir Mich-Mich ?? Il écrit ton prénom en Chinois si tu veux !! »
C’est incroyable comme on peut s’enthousiasmer pour une activité somme toute dérisoire à partir du moment où on l’on organise.

Le pauvre Michel, écrire plus de deux cents prénoms en Chinois, ça l’a usé. A la fin, il écrivait même n’importe quoi tellement il en avait assez. Je pense que certaines personnes ont aujourd’hui les mots « bite » et « couilles » bien encadrés dans leur salon. Connaissant l’humour de Michel ça ne m’étonnerait pas. Mais le summum de la supercherie ça reste les Spécialités de Mayotte.

« Arnaauuuud ! Mais qu’est-ce que t’as fait ? T’as acheté de la semoule pour bébé ! Tu t’es trompée de s’moule ! C’est une blaaaaaaague ??
– Mais Laeti, j’ai pas fait exprès… Regarde, je vais arranger ça.
– Mais Arnaaauuud ! C’est complètement dégueu c’que tu fais !
– Mais Laeti, je mets du sucre avec la semoule et un peu d’eau et ça fait des boulettes…
– C’est une blaaaaaaague ??
– Et je mets des raisins secs par-dessus…
– Beurk !
– Et voilà une spécialité locale !
– Mais c’est trop dégueu !
– On n’a qu’à dire que ça vient de Madagascar.
– Pourquoi Madagascar ?
– J’en sais rien. Mais même si les gens trouvent ça dégueu, ils n’oseront pas critiquer si on leur dit que c’est une spécialité malgache !
– Oh oui trop bonne idée ! Mais on peut pas dire que ça vient de Madagascar… Y’a sûrement des Malgaches dans l’école… On n’a qu’à dire que ça vient de… Euh…
– Tahiti ?
– Bah non y’a Mingniouk qui est Tahitienne.
– Ah oui c’est vrai…
– D’Andorre ?
– Arnaud si c’est pour dire n’importe quoi…
– Ok ok Laeti… Et Mayotte ? C’est bien Mayotte non ?
– Oh oui c’est même très bien ! Je suis certaine qu’il n’y a personne qui vient de Mayotte dans l’école et qui pourrait nous griller ! On va appeler ce truc trop dégueu : les Spécialités de Mayotte !! »

Et voilà comment un met écoeurant et improvisé se trouvait sur le comptoir d’une cafétéria affublé d’un ridicule écriteau en papier Clairefontaine : « SPECIALITES DE MAYOTTE ».

« C’est bon ça ? C’est quoi ?
– Tu connais pas ?? C’est super bon ! C’est des spécialités de Mayotte. On a choppé la recette sur le Net. »

Une vingtaine de minutes plus tard j’en trouvais des restes recrachés dans la cuvette des toilettes. Vraiment très étonnant…

Décidemment, la mondialisation n’était pas très en vogue en 2002.

Dévale les yeux

Parfois je t’imagine, toi derrière ton écran.

Je t’imagine parfois dans le noir en train de te bousiller les yeux à mes mots. Débarquant au travail et parcourant ton agrégateur avant même tes mails. Cherchant du boulot car oui, c’est la merde, et que t’as le temps de me lire.
Je t’imagine en caleçon, en chemise, en t-shirt, plus rarement en nuisette, la clope à la main, les chips ou le casque, musique, silence ou France Info, je t’entends.
J’entends tes mâchouillements, tes inhalations de fumée, les clics de souris et surtout je les vois, ça, eux, appelle-les comme tu veux moi je les appelle tes curieux. Tes yeux.

Je les vois parcourir, courir, dégringoler le long des lignes, cligner de droite à gauche, dévaler les escaliers de phrases jusqu’au dernier point. Je les entends, là, en moi, alors que personne ne les entend. Même pas toi.
Imagine-les en me lisant. Réfléchis-y mais rapidement, sans y penser rien qu’en parcourant, ne reviens pas en arrière, avance, avance sans écarquiller, avance je te dis c’est facile ça va tout seul. Car je suis là et tu es là. Quand je t’écris et quand tu me lis.