Le téléphone pleure

Lorsque je bossais à « La télé qui déconne », il m’arrivait souvent de téléphoner à des célébrités : « Axelle, bonjour ! », « Vous êtes bien sur le répondeur de Samuel Le Bihan », « Anne de Petrini’ s speaking » « Allô c’est Florence »…
Mais parler à une star revenue d’entre les morts, ça, je ne m’y attendais vraiment pas.

« Oui bonjour, Claude François à l’appareil, pourrais-je parler à…
– (Ne réponds pas Bob Marley. Ne réponds pas Bob Marley.) »

J’ai bien fait de me taire : c’était son fils Claude François Junior que j’avais au bout du fil.
J’ai évité de peu que le téléphone pleure.

J’ai rêvé CDD

J’ai rêvé d’un CDD.
Lorsque je devais tirer l’os du poulet ou choisir la bonne joue cilée, je choisissais le CDD. En voyant une étoile filante ou en soufflant mes 25 ans, je rêvais CDD. Je ne souhaitais pas la paix dans le monde ou un amoureux, non, je gardais les pieds sur terre. En revanche je faisais le voeu d’avoir un jour un CDD. Je ne demandais même pas un CDI hein – c’était trop beau pour moi, mais juste un contrat à durée déterminée. Déterminé mais humble comme mes prières au Dieu Tout Puissant. Le DTP à qui je ne demande jamais rien pour moi, juste le vaccin diphtérie-tétanos-polio pour les lépreux du monde.
Les prières ça marche jamais de toute façon, mais je continue à en faire. Les prières ça peut pas faire de mal et ça ne peut que faire du bien. Les prières c’est un peu comme le sexe : ça fait du bien là où ça fait mal. Du Synthol et ça repart dans les couvents. Les religieuses ont elles aussi une sexualité. Une prière et ça repart dans mon auvent. Dans le pire des cas c’est sans finalité. Mais les vœux…
Les vœux sont une supercherie qu’on inculque aux bébés depuis des millénaires. Pire que le super chéri Papa Noël, inculte imbibé dans nos chaumières. Les vœux ne marchent jamais car on n’y croit qu’un instant. Y’a que les rêves qui fonctionnent car on y croit tout le temps.

Les oreilles à Batman

Une vieille dame le sac plastique sur la tête. Ploc plic la pluie sur le plastique. Les coins du sac éclatent les plics à contre-éthique. Plic ploc les oreilles à Batman sur la tête à la vioc.

Au lieu de nous moquer, essayons de déchiffrer : Qu’est-ce qui pousse une vieille dame respectable à enfiler un sac Champion sur la tête ?

Elle aussi a trouvé ça ridicule. Elle aussi s’est moquée un jour comme nous nous moquons. Et pourtant quelque chose de plus fort que le ridicule la pousse à porter ce chapeau diluvien.

Au prix que coûte le coiffeur. La coiffeuse plutôt, Tony est très gentil mais pas très viril. Croyez-vous que ce soit lui qui fasse la femme ? Je lui ai demandé de me faire belle pour mes petits-enfants. Je ne les vois pas souvent. Ils habitent à Paris. Je ne veux pas qu’ils aient honte de leur grand-mère. C’est pour ça que je préfère avoir honte avant, toute seule dans la rue, mon chapeau de fortune sur la tête. Coiffée de ridicule plutôt que d’alopécie moutonne. C’est juste pour mes petits enfants. Je les aime tant.

La tecktonik ou l’avènement de la musique de chambre

« Dés que je rentre dans une piscine c’est plus fort que moi, je fais aussitôt pipi. », « C’est qui qu’a pété ? », « Le baryton je croyais que c’était un poisson moi ! ». En 2001 le ridicule ne tuait pas, il rendait même célèbre.
Laure de Lattre, Delphine du Loft ou bien encore Jean-Pascal de Dammarie-les-Lys, autant de noms auxquels la télé-réalité aura donné ses lettres de noblesse.

Il est vrai que l’intrusion d’une caméra dans son quotidien a quelque chose de perturbant. Elle peut aussi bien retenir des instants denses et propices aux souvenirs émus que les gestes les plus méprisables de nos vies. Car les journées ne sont pas faites que d’Edouard déclarant leur flamme à des Elodie Frégé ingénues. Les matins sont également remplis d’Angela se mâtinant la moustache de crème épilatoire. C’était dans le Loft 2 et c’était aussi dans la chambre de ta mère. Ne jamais regarder par le trou de la serrure t’a-t-on répété.

En 2001 la télévision magnifiait la banalité. Les enfants allaient grandir dans cette idée que ce qu’on fait dans sa chambre – à l’abri des regards – est forcément intéressant puisqu’on le montre à la télé. Ce qui était considéré comme ridicule devenait avouable au plus grand nombre, jusqu’à en devenir une source de fierté.

C’est dans ce contexte que naquit la tecktonik.

« A tôôôble !
– Pas maintenant !
– J’é dis « A tôble » !
– Mais Maman j’répète ma choré !
– Jordan tu discutes pô et tu vas chercher une bière à ta mère ! »

Pendant que la maman à Jordan lèche le goulot de sa Jupi, le ch’tio enfonce bien sa langue dans la gueule à Jessicô et pas dans celle à Jean-Dylan. Car bien que Jordan kiffe grave danser tout seul devant son miroir, sans contrefaçon il reste un garçon. Billy Elliot est probablement passé sur une télé du Nord-Pas-de-Calais, mais malheureusement pas Tchaïkovski.

Paroles d’ados :
« Ouais je kiffe m’egarder dans la glace. Pas ma gueule mais mes mouvements. Le rythme m’embellit, ça m’empêche de voir ma gueule acnéique. Tout ce qui m’éloigne de mon visage m’embellit. Et me rend plus confiant. »
« Lorsque tu sais bien danser ça veut dire que tu sais bien baiser. J’ai entendu ça chez Difool. »
« Dans la rue lorsqu’on danse avec mes potes, it’s like a battle you know. A hip-hop battle. »

Parce que de Dunkerque à Neuilly il n’y a que deux steps, le krump des ados gominés s’est naturellement éveillé dans la cité dorée. Et parce qu’une antichambre sépare le Rizing Neuilly de la Porte de la Chapelle, les ados aux portes mal verrouillées n’éprouveront jamais les mêmes hontes que leurs aînés.

« Bah tu faisais quoi là ? Tu dansais ?? Mouhahaha !! Mamaaan !! J’ai surpris David en train de danser tout seul dans sa chambre !
– C’est pas vrai ! Je faisais de la gym !! ».
Car aujourd’hui une vraie honte de djeun’s ça ressemble à ça :
« T’es trop un boloss ! Tu confonds Tecktonik et Milky Way !! Trop MDR !! ».

Les chambres postérisées ont bien changé : elles exposent désormais leur intimité à la postérité. Et le ridicule se perd en chemin aux yeux de ceux qui n’y voient qu’une épreuve de force. Car un corps qui se tord et se collapse est aujourd’hui synonyme de respect dans les halls des lycées. Le jeu du foulard ça l’fait trop aps mais les mêmes effets ça l’fait. Alors on va collectionner les mouvements du dos comme les vieux faisaient la collec’ des Arthus Bertrand du Mc Do.

Car finalement la tecktonik ce n’est que ça : la plus grande invention depuis le pin’s.

California makis sur le time-sheet

« T’as pas un truc à bouffer ? Pas eu une seconde à moi aujourd’hui. On est en pleine migration du site de la Fnac. Ouais, y’a des CP Tech qui sont dessus depuis vendredi soir. J’ai suivi ça par mail. J’ai time-sheeté sur mon week-end par solidarité avec eux. Moi je suis dessus depuis 11h. Avant j’étais chez mon étiopathe. Tes vraiment sûr que t’as rien à grignoter ? Parce que j’ai pas eu le temps de déj’ ce midi avec mon tennis et l’AO PG.

Ouais en ce moment je suis en pleine refonte. Pas de moi mais du site. Le CP Fonc est sur les specs depuis deux semaines. Les Client veut pas les valider. Pas assez précises alors que tout me parait clair, pas toi ? Un client chiant ch’te dis.

Je suis resté jusqu’à 21h hier soir. J’ai eu mon épouse au téléphone qui m’a expliqué qu’un parent d’élève l’avait insultée car Corentin a bousillé le cartable de son fils. Appeler le mec et le remettre à sa place ça m’a mis un temps fou. Mais au final on a convenu que Véro est une chieuse et qu’elle s’énervait très vite. Les stagiaires pourront te le confirmer, eux qui sont restés jusqu’à minuit.

Je me demande s’il faudrait pas time-sheeter le baby-foot des Dév’ sur autre chose qu’« interne inoccupé ». Le pét’ de midi des Créas je veux bien comprendre car ils sont réellement inoccupés à ce moment-là, mais le baby-foot des Dév’ c’est une occupation quand même !

J’aurais bien commandé des California makis mais je n’ai pas le numéro de Sushi Express sur moi. Tu l’as toi ? Non mais de toutes façons je dois bientôt filer en copil et les California makis c’est pas pratique à 130 sur le périph’. »

D&bile

Apr&s Val&rie Damidot, c’& la Cendrine Dominguez qui s’y & mise. Non mais s&rieusement, ils vont pas un peu nous lâch& le pinceau avec la déco ? Surtout lorsque la solution à tous nos probl&mes r&side en un sticker de cul de z&bre ?

Homosexuel (adj. et n.) [comp. du gr. homos, semblable, et du lat. sexus, sexe.] : Etre sensible et cultivé qui adore la déco. Syn. : Steevy Boulay, Wentworth Miller

Ouais bah moi j’aime pas la déco. Est-ce que ça fait de moi un bouffeur de tutus pour autant ? Non, en fait j’aime bien la déco. Les lustres noirs et les stickers de culs de girafe c’est mon oui-oui comme on dit en Russie. Mais je trouve ça bien triste d’aller choisir tout seul un abat-jour – quelle violence dans ce mot ! Abat-jour ! PAN !
J’aimerais tant pouvoir choisir mes bougies papillons roses à paillettes avec Ricardo ou Pablo mais surtout pas avec solo. J’ai besoin d’un blaireau pour me conforter dans mes goûts de techios.

Alors peut-être ai-je tort et dois-je envisager que mon Prochain soit enchanté en découvrant la beauté de mon intérieur : « Ton intérieur est très coquet, c’est très cosy. Ton intérieur a beaucoup de cachet, on s’y sent comme chez soi ». Oui, peut-être devrais-je me dire ça.
Mais en attendant je préfère envisager l’avenir comme un château que l’on construit et décore à deux. Les tours à édifier, les créneaux à crâner et les hachis-coulis à cuisiner. Que voulez-vous, je n’ai jamais joué tout seul aux châteaux de sable.

Ally dans le métro

C’est la fatigue, c’est la fatigue qui m’empêche d’écrire. Je n’ai plus de temps de cerveau disponible.

J’ai bien fait de préparer mes posts à l’avance avec ce nouveau taf. Le matin je n’écris plus dans le métro. Je dors ou je regarde Ally McBeal. Oui, je me paye ce luxe sur mon iPod vidéo. Je ne le fais pas sur toutes les lignes cependant. La 11 ou la 13 ne s’y prêtent pas trop. Je ne vais pas exhiber à l’honnête travailleur ce joujou qui représente la moitié de sa paye mensuelle. Je ne sors mon joujou doré que dans les lignes de Riches comme la 1 ou la 3. Et bien entendu dans ma ligne de métro privée : la 3bis. Même si son trajet ne me permet que de voir le générique de Vonda Shepard.

X-Tina VS Raphie

« Tu nous avais beaucoup impressionné lors des castings. Tu avais l’air si sûr de toi. Tu rayonnais. Et aujourd’hui, maintenant que tu es dans le château, tu es comme éteint. Tu ne crois plus en toi. Comment veux-tu alors que le public croit en toi ? »

J’étais victorieux lors des entretiens, si sûr de moi. Certain de ma valeur. Et aujourd’hui je baisse les bras lorsqu’un de mes collègues fustige mon travail sur la place mailistique. Qu’il en soit ainsi…
Et bah non.

Fuck mon éducation judéo-chrétienne et fuck la schtroumpf lala ! Aujourd’hui c’est rab de frites au Red Bull à la cantoche ! C’est open-bambouzeraie et c’est Fighter dans ta face !

Aujourd’hui c’est merci Raphie : Thanks for making me a fighter !

Aux Champs Elysées

J’habite la plus belle ville du monde. Ou du moins, réputée comme telle. Et pourtant rien ne m’empêche de m’y sentir triste.

Je travaille à deux stations des Champs Elyseés, la plus belle avenue du monde. Je pourrais y aller tous les jours en me disant ô combien j’y suis heureux, en me demandant combien de personnes au même moment sur la planète rêverait d’y être comme moi je peux rêver du Taj Mahal ou de la Cinquième avenue. Et pourtant.
Et pourtant en sortant de Franklin Delano Roosevelt je pense parfois à ce garçon « avec qui j’ai ». Rien de plus, alors que je pourrais penser à tout ce qu’il y a eu de mauvais entre nous. Je pense juste à lui, et ça me terrifie.
Parfois je suis terrifié sur les Champs Elysées.

Mais pas tout le temps.

Je me sentais victorieux ce soir-là sur les champs dorés, certain de la fin d’un long cycle. Quelle que fût l’issue de l’entretien professionnel que je venais de passer, je me sentais plus fort, certain de ma victoire sur le temps. J’étais devenu un homme entre temps. Un adulte. Un homme rond, dur. Comme une pomme. Je ne savais pas encore qu’être adulte n’est que la capacité à pouvoir vivre seul.
Toute seule la pomme dans la glotte. Il est loin le Paradis du Fruit sur les Champs Elysées.

Et puis il y a ce soir, où je sors de mon travail et m’aventure sur l’avenue maudite. J’ai enfin le poste que je voulais dans une entreprise qui me plaisait. Je ne suis pas en haut de la montagne, je suis sur une colline. Mais même si j’étais sur les cimes, je pense que je ne pourrais pas voir ce que se cache, là-bas, derrière l’horizon. La concrétisation d’un rêve n’enlève pas la tristesse, elle l’atténue à certains instants par des touches de joie. La joie touche ma tristesse. Le bonheur se trouve dans la sensation.
Le bonheur se trouve dans cette descente, des Champs Elysées. Le courant sur les tempes, les touristes affalés. Descendre les courants alizés pour se donner l’illusion d’avoir fait quelque chose de sa journée. Velléité. Je n’aurais fait que travailler et écrire ce billet. C’est déjà pas mal, déjà pas mal de travailler à deux pas des Champs Elysées.

Regarde-moi dans les yeux quand je t’embrasse

Tu regardes à droite quand je t’embrasse. Si si, ne dis pas le contraire.
Bah non maintenant je ne vais plus t’embrasser « pour voir », parce que tu vas faire attention à ne pas le faire. Ca compte plus parce que je te l’ai dit. Tu vas te concentrer pour ne plus regarder à droite.

Il faudrait que je relise mes cours de Techniques de Communication pour savoir ce que ça signifie déjà. Est-ce interprété comme un mouvement de recul ou encore une projection dans le futur ? Putain, je n’aurais pas jeté ces cours si j’avais su qu’un jour ils me serviraient à décrypter le comportement de mon amoureux.
En tout cas, ça ne m’a pas l’air bon. Si vraiment il voulait se projeter dans le futur il me regarderait dans les yeux, ou sur le nez plutôt. Ou alors il fermerait les yeux. Bah oui, il pourrait pas faire comme tout le monde et fermer les yeux cet abruti ? M’en fous s’il pense alors à un autre ou s’il les ferme parce qu’il me trouve moche !
Ah non, peut-être pas finalement…

« Tu peux continuer à regarder à droite si tu veux.
– Hein ? Quoi ?
– Non, rien. Embrasse-moi. »