C’est avec les écouteurs sur mes oreilles que je claque la porte. Elle résonne dans le couloir. Je ne l’entends pas mais la sens dans mon entonnoir. La chanteuse dans mes oreilles – une chanteuse forcément, je suis un homme-salsepareille, un Schtroumpf coquet – me force à continuer, à continuer ce clip que dans ma tête j’ai commencé. Je danse. Je fais des gestes, je suis la star, et Bercy est là pour moi ce soir : « Bonsoaaaar Paris !! » crie-je dans Krishna qui me regarde à ce moment-là. Quelque part là-haut on doit bien se foutre de moi.
Puis clefs posées, c’est le même mouvement au loin vers l’aquarium bombé. Un regard furtif pour vérifier, pour se rassurer : les poissons flottent à la surface, se sont noyés ?
Il y eut H & M. Il y eut Jésus, Marie, Joseph. Puis il y eut Colin Farrell brièvement suivi d’Abercrombie & Fitch. Et aujourd’hui, il y a Meurthe, et puis Moselle.
Meurthe et Moselle, mes deux poissons rouges que je nourris à chaque matin – pas plus de 6 cristaux de bouffe, ça les étouffe , que je caresse de mes bons mots (« Comment ça va mes p’tits poissonnous ?? »). Mes p’tits poissons sont rouges de l’attention que je leur prête, mes golden fishes dorés dans une cage vitrifiée.
Ils ne flottent pas.
Mes petits poissons gambadent, s’ennuient forcément, mais ils tournent et retournent la situation jusqu’à oublier et s’extasier du beau rideau à leur côté. (« Et t’as vu ce salon ? Quelle taille ! Waouh ! ») Et ainsi de suite toute la journée jusqu’à attendre mon arrivée. (« Il arrive !! I danse encore, cet abruti… ») Et oui je danse et je m’oublie.
Mes petits poissons ne flottent pas.
Ils ne flottent pas à la surface à mon arrivée le soir après le boulot. Ils sont vivants, vivants encore jour après jour, ils sont bien là. Pas comme H, comme M, Jésus, Marie et Josépha, pas comme Colin et les Yankees, toujours sont là, sont bien en vie. Car les précédents ont mal joués, et rapidement se sont allés. A la surface se sont glissés, en surface toute satinée. C’est la vision de mes poissons au quotidien, à mon retour de la journée, no life dans mon appart’ non-Hausmannien : ceux que j’aime avec par-dessus le filet baissé.
C’est là la possibilité de m’interrompre, de couper court à mes belles journées, de découvrir au milieu de mon salon ou d’une chanson, un corps inanimé, foudroyé, rayé par un dieu pêcheur, Dieu raturier. C’est une peur – La Peur – que je dois contrôler. Ce n’est pas parce qu’une fois s’en est allée que tous mes proches doivent l’imiter. Mes proches vivront âgés, vivront très vieux, je ne vais pas les perdre en un clin d’oeil, en une giclée. Je vivrai vieux aussi et je jouerai un jour avec mes petits-neveux – voire peut-être plus – au jeu des petits poissons et du filet.
C’est bon les enfants, personne ne vous fera de mal… baissez le filet !! 🙂