Les spécialités de Mayotte

C’est JB qui avait eu l’idée du thème « Le Tour du Monde d’Adrénalille ». J’étais un peu sceptique. Nous étions en février 2002 et la mondialisation n’était plus trop à la mode après la chute des Tours Jumelles. Tant pis, ça deviendrait quand même le thème de notre campagne BDE. Ce avec quoi nous nous battrions pour obtenir le Bureau Des Elèves de notre Ecole de Commerce. Au nom de notre groupe d’amis : Adrénalille.

Ce jour-là nous devions animer la cafétéria de notre école, et cela pendant toute une journée.
Nous avions emprunté la décoration du restaurant universitaire, celle qu’ils utilisaient les jours de nems et de riz cantonais. Nous avions déplacé les plantes du hall de l’école pour en faire notre forêt amazonienne. Une enseigne Mc Donald dans un coin, une ambiance chicha dans un autre et vous l’aviez notre tour du monde. Notre planète aux quatre continents – en dissociant Amérique du Nord et du Sud bien entendu, car oui Adrénalille n’avait pas les moyens de se payer la Terre entière.

Maintenant que la déco était très réussie (si si, je vous assure), il fallait se déguiser. Le président d’Adrénalille serait Le King – le pantalon blanc moulant lui allait si bien, Mich-Mich le Chinois – logique si on se fiait à son visage et non pas à son prénom emprunté à Galabru. Marjorie était très sexy en Chinoise. Elle avait même poussé le vice jusqu’à suinter les deux cents nems qu’elle avait frits pendant la nuit. Quant à moi, on m’avait affublé du costume d’Indien. Un petit air de YMCA avant l’heure ; je portais la coiffe à merveille. Et c’était surtout très pratique pour deviner où je me trouvais dans l’école grâce aux entrechoquements des franges de mon pantalon.

Nous avions organisé mille et une activités toutes plus sophistiquées les unes que les autres : danse orientale, initiation à la danse country, concert de musique africaine, jeu du grain de riz et cætera et chabadabada. Bien entendu nous avions pris le soin de caler ces activités pendant les cours, si bien qu’aucun élève de l’école ne pouvait y assister. C’était le but recherché.
Pour qu’au moment où des yeux se poseraient sur le planning de la journée, l’un de nous puisse les interpeller éhontement : « T’étais pas là pour l’initiation à la capoeira ?? T’as raté quelque chose. C’était GE-NIAL !! »

Ainsi les membres d’Adrénalille passeraient pour de super organisateurs à la place de super menteurs.

« T’es pas allé voir Mich-Mich ?? Il écrit ton prénom en Chinois si tu veux !! »
C’est incroyable comme on peut s’enthousiasmer pour une activité somme toute dérisoire à partir du moment où on l’on organise.

Le pauvre Michel, écrire plus de deux cents prénoms en Chinois, ça l’a usé. A la fin, il écrivait même n’importe quoi tellement il en avait assez. Je pense que certaines personnes ont aujourd’hui les mots « bite » et « couilles » bien encadrés dans leur salon. Connaissant l’humour de Michel ça ne m’étonnerait pas. Mais le summum de la supercherie ça reste les Spécialités de Mayotte.

« Arnaauuuud ! Mais qu’est-ce que t’as fait ? T’as acheté de la semoule pour bébé ! Tu t’es trompée de s’moule ! C’est une blaaaaaaague ??
– Mais Laeti, j’ai pas fait exprès… Regarde, je vais arranger ça.
– Mais Arnaaauuud ! C’est complètement dégueu c’que tu fais !
– Mais Laeti, je mets du sucre avec la semoule et un peu d’eau et ça fait des boulettes…
– C’est une blaaaaaaague ??
– Et je mets des raisins secs par-dessus…
– Beurk !
– Et voilà une spécialité locale !
– Mais c’est trop dégueu !
– On n’a qu’à dire que ça vient de Madagascar.
– Pourquoi Madagascar ?
– J’en sais rien. Mais même si les gens trouvent ça dégueu, ils n’oseront pas critiquer si on leur dit que c’est une spécialité malgache !
– Oh oui trop bonne idée ! Mais on peut pas dire que ça vient de Madagascar… Y’a sûrement des Malgaches dans l’école… On n’a qu’à dire que ça vient de… Euh…
– Tahiti ?
– Bah non y’a Mingniouk qui est Tahitienne.
– Ah oui c’est vrai…
– D’Andorre ?
– Arnaud si c’est pour dire n’importe quoi…
– Ok ok Laeti… Et Mayotte ? C’est bien Mayotte non ?
– Oh oui c’est même très bien ! Je suis certaine qu’il n’y a personne qui vient de Mayotte dans l’école et qui pourrait nous griller ! On va appeler ce truc trop dégueu : les Spécialités de Mayotte !! »

Et voilà comment un met écoeurant et improvisé se trouvait sur le comptoir d’une cafétéria affublé d’un ridicule écriteau en papier Clairefontaine : « SPECIALITES DE MAYOTTE ».

« C’est bon ça ? C’est quoi ?
– Tu connais pas ?? C’est super bon ! C’est des spécialités de Mayotte. On a choppé la recette sur le Net. »

Une vingtaine de minutes plus tard j’en trouvais des restes recrachés dans la cuvette des toilettes. Vraiment très étonnant…

Décidemment, la mondialisation n’était pas très en vogue en 2002.

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