La ligne 14 (13/16)

Immédiatement, je les vis : toutes mes enveloppes méticuleusement posées en pile sur son bureau impeccablement rangé. Tellement bien ordonné qu’il en était presque vide : uniquement le roman pour lequel il assurerait alors la promotion, et mes enveloppes. Rien de plus. Deux sujets d’études sur son bureau, dont moi qui n’était pas encore publié… À ce moment-là, je pensais avoir atteint un summum de jubilation. Jusqu’à ce qu’arrive une femme qui devait être importante vu son tailleur, sa coupe de cheveux parfaite et sa démarche assurée. Elle s’avança vers moi, se présenta comme quelqu’un de très important dans la maison d’éditions, et en me tendant la main m’avoua : « Je suis ravie de faire votre connaissance.

– Bonjour. De même. »

Je ne m’étais pas présenté, exprès.

« Et vous êtes ? », ajouta-t-elle.

« Je ne peux pas vous le dire. Vous imaginez bien qu’avec cette histoire, c’est bien Monsieur Robert qui doit apprendre en premier mon identité. »

Elle resta muette de surprise, puis, comme si elle avait précédemment osé poser une question d’une évidente bêtise, lança : « Mais bien sûr. Qu’est-ce que je peux être bête. Vous avez entièrement raison ! » Une des personnes les plus importantes de Flammarion venait de reconnaître au bout de deux phrases échangées avec moi qu’elle venait d’être stupide : mon monde était inversé.

« Et donc, que nous vaut l’honneur de votre visite ?

– Je cherche Monsieur Robert.

– Ah, mais Monsieur Robert n’est pas là. Les mercredis soirs, il est à la Sorbonne. Il y donne des cours. »

Mon monde s’était écroulé. La nuit était déjà tombée et Monsieur Robert ne recevrait jamais mon manuscrit en ce 14 février.

« Mais rassurez-vous, je lui ai envoyé un texto et il y a répondu : il vous attend à 20h30 devant la fontaine de la Sorbonne. Cela vous convient-il ?

– Bien sûr que cela me convient. Merci beaucoup !

– C’est vous qu’il faut remercier pour cette belle aventure. Mais, veuillez m’excuser par avance, pourquoi l’avez-vous choisi lui et pas moi pour adresser vos enveloppes ?

– Car c’est son nom qui remonte en premier lorsque tape « Directeur Littéraire Flammarion » dans Google.

– Ah. », fit-elle un peu déçue. Puis elle se ressaisit et déclara : « Bon, il faut que je vous laisse, nous fêtons le départ d’un de nos collaborateurs ce soir et il m’attend à son pot. Voulez-vous vous joindre à nous d’ailleurs ?

– Oh non merci, c’est vraiment adorable de votre part. »

J’étais réellement gêné d’imaginer que le pot de départ d’une personne qui travaillait dans cette entreprise depuis peut-être plus de 25 ans était retardé par un morveux comme moi.

« Nous avons tous tellement hâte de vous lire ici. »

Nous traversâmes une salle dans laquelle une vingtaine de personnes étaient silencieusement rassemblées autour de quelques sachets de chips et de bouteilles de vin. Tout le monde m’observait fasciné, quelques uns en chuchotant, tous passionnément. L’une d’elle se risqua : « Bonne soirée, et : bonne chance !

– Merci, répondit-je flatté mais un peu gêné, Bonne soirée à vous également ! »

Le bruit reprit dès que je leur tournais le dos en empruntant les escaliers. Tout le monde chez Flammarion savait qui j’étais. Tout le monde sauf le principal intéressé. J’allais enfin le rencontrer : Monsieur Guillaume Robert.

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