Le jour J arrivait et, de derrière mon écran où je me terrais, je me demandais parfois si C. avait entendu parler de tout cela. Si parmi les milliers de personnes qui avaient été exposées à l’histoire des « envois du métro », un de ses amis, un de ses collègues en faisait partie. Un ami ou un collègue qui lui en aurait parlé autour d’un verre ou d’un café, qui aurait commenté une des photos et qu’il l’aurait faite apparaître dans son télex Facebook en le questionnant l’espace d’un instant sur l’identité de ce mystérieux expéditeur. Je savais bien que les chances que ce fusse le cas soient infimes, mais tel était le genre de raisonnements qui dans mon lit me travaillait. Comme si j’avais fait tout cela pour que C. le voie, et ne m’oublie pas.
Le jour J était arrivé. Je m’étais levé plus tôt en ce jeudi 14 février 2013 : j’avais 16 colis à envoyer. Je pris quelques dernières photos devant La Poste et expédiais mes 16 volumineux colis via les sacs de postiers que l’on m’avait gentiment prêtés. Ces derniers jours, estimant que tout était plus ou moins joué, j’avais fini par lâcher le morceau à mes amis les plus proches. Tous hallucinaient. Moi, j’avais fini par m’habituer à ce quotidien de postier : j’attendais juste ce 14 février. J’avais hâte de savoir si la révélation de mon identité et de mes coordonnées sur les manuscrits pousserait le jour-même les éditeurs à m’appeler. Ou si, vicieusement, ils attendraient de faire lire à leur comité de lecture mon récit comme pour des milliers de manuscrits oubliés. En tous cas, j’étais certain qu’au moins un des éditeurs allait se manifester.
Les manuscrits était désormais envoyés. Je les imaginais sur d’obscurs tapis roulants de centres de tri postaux véhiculer. Je les imaginais depuis mon lieu de travail d’où j’avais encore plus de mal que les autres jours à travailler. Je n’en foutais pas une en attendant impatiemment de recevoir la première notification de réception de colis grâce à une application iPhone dédiée que j’avais tout spécialement installée. Mon smartphone vibra : « Grasset. Colissimo délivré. » Et ainsi de suite mon smartphone vibra toute la matinée, les colis pleuvaient. Je les imaginais, tous, les éditeurs, intrigués de découvrir mon identité. Je les imaginais, tous, à chaque fois que mon smartphone vibrait dans la matinée : 15 fois il vibra. 15 fois ? 1, 2, 3, 14, 15. Oui, bien 15 colis livrés ! Mais quel était donc celui qui à l’heure du déjeuner n’avait pas encore été livré ? Non ? Pas lui quand même ? Et bien si, le seul manuscrit qui n’avait pas été livré était celui destiné à mon Editeur préféré, au seul qui s’était manifesté durant ces dernières semaines : seul Flammarion n’avait pas reçu le manuscrit.
Sur la page Facebook de l’Editeur, « le public » s’impatientait : tout le monde y avait fini par comprendre que le dernier envoi arriverait le 14 février et que ce choix portait en lui une signification. « Rien pour le moment ;-( » répondait laconiquement l’éditeur à ceux qui s’inquiétaient de l’absence du dernier envoi. Il était désormais près de 14h et Flammarion n’avait toujours rien reçu. Je pourrissais La Poste au téléphone, elle qui garantissait la réception des colis le lendemain avant 13h. J’étais catastrophé et avait de plus en plus de difficultés à le cacher à mes collègues devenus transparents pour moi.
Vers 15h passées, mon téléphone vibra. J’ouvris prestement l’application Colissimo et découvris le message suivant : « Votre colis a été retenu au centre de tri postal de Montfort-l’Amaury. » « Non ! », m’écriais-je dans l’open space. Tous mes collègues se tournèrent aussitôt vers moi. « J’ai une urgence personnelle, je dois absolument y aller ! », enchaînais-je avec conviction. Mes collègues ne trouvèrent rien à ajouter, me trouvant particulièrement affecté. Seul un timide « Bon courage » s’éleva. Du courage j’allais en avoir besoin vu la journée qui ne faisait que finalement commencer.