Abreuve nos ballons

Petra n’est pas qu’une ville du pays de Jordan, c’est aussi une des meilleures amies de ma mère. Lorsque nous l’avons rencontrée en 1989, Petra avait honte de son pays ; elle avait honte d’être Allemande.
Car si aujourd’hui le fait de voir une présentatrice télé comme Eva Herman vanter les mérites du IIIème Reich réveille de vieux démons, pendant quelques années la jeunesse allemande a plus ou moins oublié qu’on pouvait ressentir de la honte pour son pays qui a commis tant d’atrocités sous le Führer.
Car aujourd’hui la fureur patriotique est en berne dans de nombreux Etats. Et cela est finalement normal puisque nous vivons dans l’illusion qu’une guerre est impossible ; pour nous, civilisés Occidentaux par rapport à la ligne du rien. Nous sommes forcément plus intelligents que les Anciens qui transformaient les bébés en savon lorsqu’ils ne les jetaient pas d’un précipice. Nous ne nous considérons pas comme des barbares, nous ne faisons donc pas la guerre et nous ne connaissons plus le sentiment patriotique. L’équation est simple car nous sommes forcément intelligents.

« Sale Français ! »
Monsieur Sarkozy a bien du travail avec ces jeunes gens à qui il est difficile de répondre « Sale Apatride ! ». Mais il ne faut pas trop leur en vouloir. Pour les jeunes générations, la nation française n’a pas trop de sens. Trop abstrait. Comme la guerre.

Alors oui le sport est bien l’opium du peuple, bien plus que les jeux d’argent et un truc qu’on appelle religion. Car pour moi – presque vieux jeune né sous Mitterrand, le patriotisme est un sentiment sportif. La première fois que j’ai ressenti ce truc bizarre au fond de moi c’était pour Marie-Jo à Barcelona. Truc bizarre que ce truc-là. Comme un petit chatouillement au cœur pour personne en particulier. Le souffle court agréable expiré par une idée. L’abstraction a du bon devant sa télévision.

Et la deuxième fois, et la deuxième fois a été la première pour beaucoup et l’unique pour des millions de Français. Pourtant je détestais ça à l’origine, mais je m’y suis mis, comme tout le monde, en me disant que je ne valais pas mieux qu’un autre pour m’en désintéresser. La vraie bêtise viendrait de ma persistance à éviter le foot.
1998 ou la vraie victoire de Chirac. Je ne m’attarderai pas dessus tant on a aimé la France Black-Blanc-Beur. Des bénéfices record pour l’entreprise Doublet leader mondial du drapeau. Hissez haut cocorico.

Alors l’autre soir lorsque la France a perdu contre Wilkinson, c’est le sentiment français qui s’est fait tondre. La noblesse du sentiment fut humiliée, piétinée ; les drapeaux ne flotteraient pas au-dessus des maisonnées. La croissance ne repartirait pas ; le vrai échec de Sarkozy était là.
Une défaite des Dieux du Stade à ce stade du jeu équivalait à une défaite guerrière. Mars et Arès se faisaient remballer à des années-lumière. Un Arès et ça repart. Les dieux pouvaient se moucher. A vos essais.

Alors qu’hier on ne ressentait cette appartenance qu’au son du clairon, aujourd’hui ce n’est qu’au rebond du ballon. Et si certains sifflent au poujadisme en voyant s’aligner les bannières sur les balcons, moi je chante La Marseillaise devant le ballon.

Le chant sanguinaire précède la lutte car le sport est une guerre, pas une compétition.
Qu’un sang impur abreuve nos ballons.

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