La ligne 14 (2/16)

Il traînait dans un tiroir de mon disque dur externe depuis plus d’un an, rejeté comme un enfant qu’on aurait préparé pendant des années à un concours et qu’on sortirait au moment jugé parfait. Je ne voyais plus comment le perfectionner, à moins de le déconstruire totalement. J’avais pourtant déjà déplacé et replacé toutes les virgules et les points-virgules qui le cimentaient : il était temps aux éditeurs de le montrer. Toutefois, si j’ai bien tiré une leçon de l’envoi de mon premier manuscrit lorsque j’avais 18 ans, c’est que son envoi à l’aveuglette, sans contact nominatif particulier est comme le jet d’une bouteille à la mer : peine perdue en temps, énergie, espoir et autres grandes aspirations qu’en chacun de nous on peut porter. À dix ou quinze manuscrits reçus chaque jour par un éditeur parisien, comment faire pour émerger de cet océan de manuscrits qui restent pendant de longs mois empilés plein de poussières dans une pièce obscure à double tour fermée ?

A cette époque je travaillais dans une petite agence Web dans laquelle je mettais entre autres en place des opérations de RP digitales. Certaines de ces opération reposaient sur des envois teasing à des blogueurs dits influents ou à des sites très fréquentés. J’appréciais beaucoup faire cela, cela stimulait mon imaginaire pour lequel j’étais en plus payé. Et surtout : je faisais cela bien. Plusieurs des projets que j’avais conçus s’étaient en effet retrouvés sur ces sites de « buzz » que nous adorons détester. J’étais donc plutôt doué pour ce que je faisais dans mon travail, et surtout : cela me passionnait. J’en arrivais donc vite à cette conclusion par une nuit le nez collé à l’oreiller : pourquoi ne pas rassembler mes deux passions dans un seul mouvement ? Pourquoi ne pas vendre mon manuscrit aux éditeurs sous la forme d’une opération de RP digitale ? J’en restais moi-même « bouche A » ; je me renseignais vite et découvris que personne n’avait jamais fait cela ici-bas. Je serais donc l’initiateur et mon manuscrit serait le premier sur la pile des manuscrits oubliés : les éditeurs seraient même impatients de le dévorer. J’aurais au moins eu une idée de génie si mon manuscrit n’était pas ainsi considéré.

Il ne manquait plus désormais qu’à trouver pour l’opération le format approprié.

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