Contes de Facebook

« Les gens, tu les emmerdes avec un grand A », « Dans “ingénu” y’a “ingénieur” », « Je me suis fait épiler au scanner », « Oh bah le plat il a tombé ! ».
Le Loft 2 ce n’était pas que des maximes à faire rougir Oscar Guitry dans sa tombe, c’était également un véritable choc des classes :
« Bonjour. Moi c’est Kamel !
– Salut, David.
– Tu fais quoi dans la vie ?
– Mannequin et toi ?
– Heu… Je suis une formation pour devenir chauffeur de bus.
– Ah… »
Le Loft 2 : le poids des mots, le choc des socios.

Dans le loft, David et Kamelhan deviendraient inséparables. Avec l’aide d’Angela, Sandra et Lesly, ils fonderaient le célèbre Clan B qui bêtifie avec un grand A. Mais qu’en est-il advenu de leur amitié six ans plus tard ?
Retournés à leur quotidien, croyez-vous sincèrement que le mannequin continue à fréquenter le chauffard de car ? Au mieux David a-t-il accepté Kamel dans ses potes Facebook et s’est laissé poker par son ex-kolok.

Avec près de 400 amis sur Facebook, il est logique que bon nombre de mes contacts aient disparu de mon horizon depuis belle mirette. Marie, Amélie ou Raphaël ont ainsi rejoint mon réseau virtuel après quinze ans d’absence. Tout comme Maude.

Maude M. ou ma première amoureuse. La petite fille qui faisait plus de trois croches à ses m. Dans le mot « je t’aime », trop de M. Et jamais, jamais un seul post sur celle que j’aimais tant. Sur ses lacets fluos écrire que ma mémoire s’est arrêtée. Sur ses sourires lumineux décrire nos après-midi heureux. Des conneries de cet acabit mais des conneries qui me donnaient envie. Vous voyez à quoi vous avez échappés ; je me suis déjà senti plus inspiré. J’ai donc préféré m’abstenir jusqu’à trouver le bon angle pour l’aborder.

J’ai attendu vingt-deux ans avant d’aborder Maude.

“Poke her!” Coup de poker après vingt-deux ans. Allait-elle me répondre ? Entre temps, chute du mur et des deux tours, allais-je chuter à mon tour ?
Sur sa photo, une tête blonde sur ses genoux. Sur ma photo, un air con sur mon sourire. D’un côté la maman, de l’autre le fêtard : les contes de « face » ont pris un coup de vieille dans l’aile.

« Tu es Maude M. quand même ! »
Cela justifiait tous mes efforts pour la retrouver. Elle était juste elle-même et elle méritait qu’on la recherche pendant vingt-deux ans.
Comment expliquer en quelques mots ce que moi-même j’ignore ? Mais je l’ai senti de derrière mon écran, j’ai senti qu’elle m’attendait, que j’étais celui qui, que j’étais celui que. Qu’enfin elle pourrait et que finalement nous pourrions. Que ces années divorcées, que ces années esseulées, que ses nuits à pleurer, que ses journées à trimer, que tout cela avait un but : moi.
Et bien non : si Cendrillon a divorcé, le Prince est devenu pédé.

Bien sûr que je ne le lui ai pas annoncé comme ça ; on ne brise pas vingt-deux années d’illusions sans risquer de passer le restant de ses jours dans l’épiderme d’un crapaud. J’ai pris des pincettes de crapette et lui ai fait des courbettes jusqu’à ce qu’elle admette. Tout cela sans qu’une seule fois le terme ou assimilé surgisse dans la discussion. C’est qu’il sait rester élégant Prince Pédé. Alors que Cul Cendron, elle, a déjà beaucoup plus de mal avec le concept de tact.

« J’ai pris vingt-sept kilos pendant ma grossesse et ma fille s’appelle Kimberley. »
NFS, Chimie, Iono, Gaz du sang ! Vite on va le perdre !
Vingt-sept kilos ?? Mais c’est le poids qu’elle faisait quand je l’ai quittée ! Et surtout : Kimberley ! Ca a toujours été mon grand jeu d’imiter les beaufs en criant « Kimberley, va chercher une bière à ta mère ! »
Je devais donc changer d’humour en cet an de grasse 2007 où j’épousais Cul Cendron, fille du roi Gérard XII de Jive-sur-Yvette. La quête du râle avait bien piètre allure.
David et Kamel, Maude et moi-même, des destins qui plus jamais ne se pokeront. Après avoir tant partagé, l’un des deux a jugé qu’il valait mieux aujourd’hui garder. Que les choses ne peuvent pas être comme avant quand on a vécu ce qu’on a vécu en vingt-deux ans. Que l’on ne sait jamais, mais que l’on peut s’accrocher aux bons souvenirs comme à une certitude. Que la déception balaierait tout. Et décider d’avancer sans elle n’est pas le refus de la voir pour toujours à mes côtés. Puisqu’elle y a toujours été.
Maude.

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