Lapin dixit

« Ca suffit maintenant. Tu viens d’aller deux fois aux toilettes pendant le cours. Je pense que c’est amplement suffisant.
– Mais j’ai mal au ventre… »

La maîtresse n’avait rien compris. Ce n’était pas de ce mal au ventre là dont je souffrais, pas celui qui disparaît en faisant caca. Non, c’était là le plus gros mal de ventre que j’ai jamais eu. Mais comment le dire à la maîtresse quand c’est La Maîtresse et qu’on a que six ans ?

J’étais là devant l’école des Raguidelles à attendre ma grand-tante pour aller déjeuner des coquillettes à la maison. J’avais tellement mal au ventre que le chemin jusqu’à la résidence ne me parut jamais aussi long. En arrivant, il fallut appeler le Docteur Darragon. Je pleurais tellement la douleur était forte. Ma mère souffrait avec moi ; c’est ça la compassion.
« Appendicite », diagnostiqua le Docteur Darragon. « Il faut l’emmener d’urgence sinon il va faire une pérétonnite. »

Dans quel centre hospitalier souhaitez-vous que votre enfant soit transféré en cas d’urgence ?
Ca ne vaut pas la peine de remplir ces formulaires à chaque rentrée des classes si c’est pour voir son gamin souffrir sans considération au fond de la classe.

« Maman ! Argh ! J’ai maaaaaal au veeeeentre !
– Hein ? Toi aussi ?? »

Au bout de deux semaines, l’inflammation de l’appendice se déclara également chez mon frère. Un mimétisme fraternel qui fascina mes parents autant qu’il les affola.

A son réveil de l’anesthésie, mon frère manifesta les mêmes signes que moi : pertes des repères et besoin de la mère. Mais également de très fortes douleurs au ventre, ce que moi je n’avais ressenti à mon réveil. De même, je n’avais éprouvé cet irrésistible besoin de vérité propre à mon frère :

« Argh Maman ! Ce que ça fait maaal ! Argh !
– C’est normal mon chéri, calme-toi…
– Non mais tu comprends paaas ! J’avais pas prévu que ça ferait si mal !!
– Prévu ?
– Oui, pardonne-moi…
– Pardon ?
– Il faut que je te dise la vérité Maman… J’ai jamais eu lapin dixit, j’ai voulu faire comme mon frère car j’avais un contrôle de Maths le lendemain et… Argh ça fait maaaaal Maman ! »

Mes parents n’en revenaient toujours pas de ce qu’avait prétendu mon frère. Et moi je fermais ma petite bouche, me sentant coupable malgré moi de ce qui était advenu.

« J’ai faim Maman… C’est pas bon ce qu’ils me donnent à manger ici…
– Si j’étais toi, je me la jouerais discret.
– Mais Maman ! J’ai faim ! Ouiiiin !! »

En sortant de la clinique ce jour-là, ma mère repensa à ce que lui avait dit son fils sur son lit et, en voyant un appétissant sandwich dans une vitrine, l’acheta. Elle l’enveloppa soigneusement dans du papier aluminium tout en imaginant le plaisir que son fils aîné aurait à déballer cette collation. Elle savait qu’elle ferait un heureux.

« Tiens, je t’ai apporté ça aujourd’hui.
– Oh Maman super un sandwich !!
– Oui.
– C’est tellement mauvais ce qu’ils me donnent ici à manger…
– Oui oui.
– Mais il est bizarre ton sandwich non ? »

Pour être bizarre il l’était. Ce que ma mère avait offert à mon grand frère était en réalité un bloc-notes en plastique très réaliste en forme de sandwich en pain de mie au jambon-fromage . Mon frère était dégoûté et hyper vexé que ma mère le traite ainsi.

« Bien fait ! Ca t’apprendra à mentir ! Ah ah !! »

Famille de sadiques.

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