J’ai entendu son nom à la soirée – Samuel – alors je me suis retourné pour savoir qui c’était. J’ai vu son visage de métis et me suis dit « Serait-ce lui ? ». J’ai tenté un léger « Samy », puis plus fort je l’ai appelé : « Samy ! ».
Il s’est retourné ; c’était bien Samy.
Samy était la grosse tapette de mon lycée, celui dont mes potes se moquaient une fois le cul tourné. Moi, j’étais bien à l’abri derrière mes airs d’hétéros, et riait jaune aux blagues d’homophos. Pendant que Samy essuyait les lazzi, les quolibets, moi je regardais.
Beaucoup de mes amis actuels ont été des Samy, la tapette du lycée, du collège ou de la garderie. La rare fois où ce sujet a été évoqué entre nous, je n’ai fait que me taire car je n’ai jamais connu ça. Je portais mon masque et collaborais. On aurait pu les raser, les tabasser, je n’aurais fait que dire à ma mère en rentrant : « Aujourd’hui, y’a un garçon qui s’est fait taper dessus par les autres ». Je ne suis pas convaincu que j’aurais pris sa défense. Ou si je l’avais fait, ça aurait été sans évoquer son homosexualité, ce mot qui me donnait du rouge aux joues.
Je suis très heureux d’avoir revu Samy l’autre soir. Sa féminité autrefois outrageante ne m’est plus aussi évidente ; moi-même j’ai changé et ne dois plus voir les garçons du même côté. J’ai souvent pensé à lui pendant ces années, me demandant s’il avait survécu aux insultes lycéennes. Et bien oui il a survécu, et il n’en est que plus beau et plus fort. Mais n’aurait-il pas été aussi victorieux en évitant les ténors de la bêtise ? Je pense que oui, et ce n’est pas eux qui le disent.