« Le cathé c’est sympa !
– Moi j’y vais !
– Et moi aussi ! »
Qu’est-ce qu’on a pu se foutre de cette pub affichée devant l’aumônerie avec Nicolas. Et pourtant on y allait nous aussi au cathé.
« Votre fils est un sacré p’tit… loulou » avait dit le Père Baudouin à ma mère. Je n’avais pourtant pas l’impression de l’être mais il est vrai que les choses avaient changé suite à notre représentation théâtrale pendant la retraite de notre sacrement de confirmation.
Mon groupe d’aumônerie était composé d’Annabelle, de Julie, d’Amandine ou encore de Matthieu le Black trop trop sympa dont la mère faisait de super gâteaux ananas-noix de coco pour les goûters du diocèse.
Le jeune couple trentenaire qui nous recevait chez eux pour nous donner cours avait six enfants qui avaient chacun neuf mois d’écart. Lui, Jean-Hugues, nous parlait de l’évangile les charentaises aux pieds. Qu’est-ce qu’on a pu se foutre de sa gueule. Surtout lorsqu’il a fait la prière agenouillé sur un coussin en déclamant que Dieu était amour. Rhalala, qu’est-ce qu’on peut avoir un humour spécial à 14 ans.
Lors de notre énième réunion « bol de riz » à la paroisse de Saint-Symphorien – où le riz qu’on nous offrait était mélangé aux cheveux morts des mères versaillaises qui y donnaient la catéchèse, le Père Baudouin nous avait demandé de préparer un petit sketch ou une petite scène inspirés de la Bible.
J’étais aux anges ; on allait enfin pouvoir s’amuser.
Le soir de la représentation, les autres groupes qui étaient passés avant nous avaient plutôt été chiants. On s’était tapé du bénédicité et de la Genèse à ne plus savoir quoi en foutre. Mon pote Biboul s’était notamment retrouvé à jouer les Adam en ombres chinoises derrière une toile tendue par deux mères de bonne famille extatiques.
On s’était malgré tout poilé la poilonade devant une parodie de l’émission de Nagui : « N’oubliez pas votre évangile, vangile ! ». Surtout lorsqu’à la question « Qui est mort pour nous ? », mon pote François avait répondu « François Mitterrand ! ». J’en peup’sais !
Les mères de bonne famille versaillaises avaient un peu moins apprécié la blague que le reste du jeune auditoire. Dans ces conditions, qu’allaient-elles penser du sketch de mon groupe d’aumônerie ?
Caché sous mon drap, je flippais comme un taré. Mais je savais qu’on allait se marrer. On était cinq sur scène ainsi voilés de trac et de tissu. On n’avait plus le choix de toute façon, fallait se jeter à l’eau de la Méditerranée.
C’est les noces de Cana
On y danse et on y boit
Et les jarres sont pleines de vin
Glou glou glou glou !
Les gamins du cathé étaient morts de rire dans la salle. C’était tellement gonflé de reprendre les noces de Cana sur l’air de La danse des canards. Les bonnes mères de famille versaillaises étaient offusquées.
Et là on est parti dans un trip sur le couscous, les boulettes et la grand-mère en prenant un accent pied-noir et tout en restant caché sous nos draps. Jusqu’à ce que mon pote black Matthieu débarque sur scène en jean et basket en marchant comme un pur djeun’s :
Mais voilà Jésus qui vient
Dans son habit tout divin
Nous apporter du bon vin
Sacré farceur !
Et là, notre Jésus noir s’exclama : « Du pain, du vin et du Boursin ! Musique ! ».
Les bonnes mères de famille versaillaises étaient au bord de la syncope.
I like to move it move it
I like to move it move it
I like to… move it!
Nous pouvions jeter nos draps et montrer à tous qui nous étions vraiment.
Annabelle était habillée en pétasse avec d’énormes faux seins, un rouge à lèvre outrancier et un grain de beauté à la Cindy Crawford. Amandine était déguisée en baba-cool, cheveux longs et grandes fleurs, la cigarette de l’amour à la main. Quant à moi j’étais en hard-rappeur, étrange espèce has-never-been qui mêlait t-shirt noir difforme à la vierge crucifiée, barbe maquillée, casquette et ghetto-blaster sur l’épaule.
Les bonnes mères de famille versaillaises n’en croyaient pas leur col Claudine. Surtout lorsque nous passâmes tous chacun à notre tour devant elles pour bouger notre boul’. Little Miss Sunshine attitude.
C’est lorsqu’elles s’aperçurent que l’assemblée commençait à se lever et à vouloir danser sur Real2Real, qu’elles s’empressèrent de demander au Père Beaudouin de stopper immédiatement cette musique. Dommage, le Père Baudouin avait l’air d’apprécier le spectacle.
Ecoutez, on n’a jamais su ce qui advint après la métamorphose de l’eau en pinard par Jésus Koresh. Peut-être que les noces de Cana se sont alors transformées en le plus grand open-bar que cette terre ait connu. Un peu comme dans Matrix Reloaded.
Qui pourra me prouver le contraire ? Pas les bonnes mères de famille versaillaises en tout cas.