Je n’ai pas pleuré mon grand-père. Même pas aux funérailles lors des envolées lyriques de l’orgue luzien. Je ne pleure presque plus. Lorsqu’aujourd’hui je pleure, cela peut-être considéré comme un événement aussi important que l’absorption d’une choucroute de la mer par Paris Hilton.
Autant j’ai été un enfant rieur et peu pleurnicheur, autant j’ai été un adolescent dépressif. Je passais mes nuits à pleurer, une demi-heure au minimum de la sixième à la seconde. Mouiller mon oreiller ne me suffisait pas, c’était une centaine de matelas pneumatiques que je remplissais de mes larmes.
Quelques années plus tard, Laetitia ma copine de fumette me racontera un de ses rêves : son cœur dans la paume qui se vidait d’eau claire à chaque pression de sa main. Et bien c’était exactement ça dans ma chambre heptagonale de Versailles : je voyais mon cœur pleurer de battre dans le vide.
Tout a commencé un soir de juin 1992 lorsque je déclarai à une petite fille mon amour chaste et incandescent.
« Ah bon ? »
Gros zef dans ta gueule.
Le soir même je passais une heure dans les toilettes du Don Patillo à prétexter une crise de foie devant ma famille. Devant ma famille, derrière une porte. A pleurer jusqu’à la morve plutôt que de me délecter du jaune d’œuf de la calzone. A simuler le vomi plutôt que le sourire devant un café liégeois.
C’est à partir de ce soir-là que j’ai arrêté de me goinfrer comme un porc.
J’ai alors commencé à me nourrir de toute la misère du monde ; de la commisération divine et des postulations apostoliques. Mais tout ça, ça passait d’abord par les messes du Père Baudouin et les devoirs de mes camarades de classe. J’étais devenu un blaireau pour résumer.
Mes – rares – amis que j’ai gardés de cette période vous diront que non je n’étais pas Scritch, et que oui je suis trop dur avec celui que j’étais à l’époque. Mais moi je reste convaincu que j’étais aussi attrayant qu’un banquet de Madrange dans une synagogue. Oui c’est ça : j’étais un jambon tarre.
Après, je ne vous ferai pas le récit de mes pleurs, leurs causes perdues et enterrées, car nous sommes tous passés par là. Du moins, beaucoup de mes lecteurs. Ajoutez à cela une fille, puis une autre au destin corrompu, et vous obtiendrez le plus douceâtre des mojitos de larmes.
Un palanquin, une couche glorieuse de larmes, c’est bien ça qu’était ma chambre de Versailles. Comment appelle-t-on une chambre où la vie vous sourit ? Car j’ai ça chez moi et j’aimerais bien vous la faire visiter.