« Dés que je rentre dans une piscine c’est plus fort que moi, je fais aussitôt pipi. », « C’est qui qu’a pété ? », « Le baryton je croyais que c’était un poisson moi ! ». En 2001 le ridicule ne tuait pas, il rendait même célèbre.
Laure de Lattre, Delphine du Loft ou bien encore Jean-Pascal de Dammarie-les-Lys, autant de noms auxquels la télé-réalité aura donné ses lettres de noblesse.
Il est vrai que l’intrusion d’une caméra dans son quotidien a quelque chose de perturbant. Elle peut aussi bien retenir des instants denses et propices aux souvenirs émus que les gestes les plus méprisables de nos vies. Car les journées ne sont pas faites que d’Edouard déclarant leur flamme à des Elodie Frégé ingénues. Les matins sont également remplis d’Angela se mâtinant la moustache de crème épilatoire. C’était dans le Loft 2 et c’était aussi dans la chambre de ta mère. Ne jamais regarder par le trou de la serrure t’a-t-on répété.
En 2001 la télévision magnifiait la banalité. Les enfants allaient grandir dans cette idée que ce qu’on fait dans sa chambre – à l’abri des regards – est forcément intéressant puisqu’on le montre à la télé. Ce qui était considéré comme ridicule devenait avouable au plus grand nombre, jusqu’à en devenir une source de fierté.
C’est dans ce contexte que naquit la tecktonik.
« A tôôôble !
– Pas maintenant !
– J’é dis « A tôble » !
– Mais Maman j’répète ma choré !
– Jordan tu discutes pô et tu vas chercher une bière à ta mère ! »
Pendant que la maman à Jordan lèche le goulot de sa Jupi, le ch’tio enfonce bien sa langue dans la gueule à Jessicô et pas dans celle à Jean-Dylan. Car bien que Jordan kiffe grave danser tout seul devant son miroir, sans contrefaçon il reste un garçon. Billy Elliot est probablement passé sur une télé du Nord-Pas-de-Calais, mais malheureusement pas Tchaïkovski.
Paroles d’ados :
« Ouais je kiffe m’egarder dans la glace. Pas ma gueule mais mes mouvements. Le rythme m’embellit, ça m’empêche de voir ma gueule acnéique. Tout ce qui m’éloigne de mon visage m’embellit. Et me rend plus confiant. »
« Lorsque tu sais bien danser ça veut dire que tu sais bien baiser. J’ai entendu ça chez Difool. »
« Dans la rue lorsqu’on danse avec mes potes, it’s like a battle you know. A hip-hop battle. »
Parce que de Dunkerque à Neuilly il n’y a que deux steps, le krump des ados gominés s’est naturellement éveillé dans la cité dorée. Et parce qu’une antichambre sépare le Rizing Neuilly de la Porte de la Chapelle, les ados aux portes mal verrouillées n’éprouveront jamais les mêmes hontes que leurs aînés.
« Bah tu faisais quoi là ? Tu dansais ?? Mouhahaha !! Mamaaan !! J’ai surpris David en train de danser tout seul dans sa chambre !
– C’est pas vrai ! Je faisais de la gym !! ».
Car aujourd’hui une vraie honte de djeun’s ça ressemble à ça :
« T’es trop un boloss ! Tu confonds Tecktonik et Milky Way !! Trop MDR !! ».
Les chambres postérisées ont bien changé : elles exposent désormais leur intimité à la postérité. Et le ridicule se perd en chemin aux yeux de ceux qui n’y voient qu’une épreuve de force. Car un corps qui se tord et se collapse est aujourd’hui synonyme de respect dans les halls des lycées. Le jeu du foulard ça l’fait trop aps mais les mêmes effets ça l’fait. Alors on va collectionner les mouvements du dos comme les vieux faisaient la collec’ des Arthus Bertrand du Mc Do.
Car finalement la tecktonik ce n’est que ça : la plus grande invention depuis le pin’s.