Il neige parfois en avril comme ce fut le cas à Versailles.
J’avais posé mes mains sur la fenêtre pour mieux voir tomber les flocons. Je dessinais des étoiles avec la buée pour le plus grand déplaisir de ma mère. C’était le printemps où ma grand-tante beurrait des tartines aux moineaux.
« Ils ont besoin de margarine », me disait-elle. « Je ne leur en donne pas beaucoup, juste de quoi prendre des forces. » Et les moineaux piquaient du bec dans la Fruit d’Or. Un drôle d’hiver que ce printemps-là.
On avait eu chaud au réveillon, il n’y avait plus de saison. Mon père avait acheté trois fusées et deux feux de Bengale à allumer dans le jardin. C’était quelque temps avant minuit et ma grand-tante avait froid. « Je regarderai du salon », avait-elle expliqué. La couronne de l’Avant brûlait sur la table basse.
Les fusées volaient et le ciel de la Saint-Sylvestre s’emplissait de couleurs. Ma grand-tante n’en ratait pas une miette le nez collé à la fenêtre. Les feux de Bengale éblouissaient le jardin. Ma grand-tante… Ma grand-tante ? Où était-elle passée ??
« ¡ Al fuego ! ¡ Al fuego ! »
Oh merde, le salon prenait feu !
La couronne de l’Avant s’était embrassée, enflammant napperon, table basse et tapis !
« ¡ Al fuego ! ¡ Al fuego ! »
Ma grand-tante courrait dans tous les sens à 95 ans, aspergeant à coups de Badoit l’incendie de salon.
« ¡ Al fuego ! ¡ Al fuego ! »
Le temps d’arriver jusqu’à elle et l’incendie était maîtrisé. A 95 ans cette dame avait protégé notre foyer des flammes. Et tel un pompier dans son uniforme, elle resplendissait dans sa veste rouge. Le souffle court mais la fierté tranquille. Et ce petit je-ne-sais-quoi de flegmatique qui la rendait si attachante. Elle souriait alors qu’on aurait pu tous y passer. Elle osait sourire comme lorsqu’elle défiait son père à quinze ans.
Les bras sur les hanches et le sourire aux lèvres, on se ressemble encore à 95 ans.