C’est parce que je la vois parfois dans la rue que je l’écris. Une blonde en débardeur avec un gilet sur les hanches. Au détour d’une vitrine, d’un scooter ou d’une gare, Maggy me suit.
Nous avions très mal commencé pourtant – ce qui est très bon signe chez moi vu que j’ai commencé par détester de très bons amis.
Nous étions invités à la même soirée ; elle se trouvait sur un balcon, moi en dessous. Une bouteille de bière est alors venue s’exploser sur le sol à dix centimètres de ma tête. J’ai cru que j’allais la tuer. On n’entendait plus la musique sous mes hurlements. Je criais encore plus fort que JoeyStarr dans sa Zoum-Zoum-Benz. Personne ne m’avait jamais vu comme ça.
C’est pourtant comme ça que j’ai rencontré Maggy.
Je l’ai revue pour la deuxième fois le jour de la rentrée en Prépa. Personne ne se connaissait alors et s’exprimait avec parcimonie. C’est ce moment que j’ai choisi pour aller lui parler devant tout le monde :
« C’est bien toi Maggy ?
– Heu oui… (Elle ne se souvenait visiblement pas de moi.)
– C’est bien toi qui étais complètement bourrée à l’anniversaire de Stéphane et qui m’a balancé une bouteille de bière à la gueule alors ?? »
Tout le monde se mit immédiatement à dévisager cette jeune fille violente et alcoolique. Maggy se mit à rougir et aurait voulu s’enterrer six feet under.
Sa réputation était faite ; j’étais très fier de ma vengeance.
Je n’ai jamais pu supporter mes camarades de Prépa malgré mon caractère plutôt sociable. Chaque dimanche soir était propice à une profonde dépression où s’entretuaient les formules de Bayes avec les têtes de cons de ma classe. C’est à cette époque que j’ai le plus haï mes dimanches. Seuls mes sentiments pour Anne me poussaient un tantinet à retourner en cours le lendemain matin.
Jusqu’à ce que je sympathise avec Maggy.
Maggy c’était la fille qui explosait de rire en plein cours et que tout le monde prenait pour une conne. Parce qu’elle ne pouvait tout de même pas expliquer raisonnablement au prof qu’il venait de faire la pose « Staying’ alive » en posant une main sur sa hanche et en montrant du doigt une formule au tableau. Non, « ça ne l’aurait pas fait » comme on ne le disait pas encore à l’époque.
C’est à partir du moment où j’ai raconté la blague de la biscotte beurrée et du chat beurré qu’on balance par la fenêtre que nous avons sympathisés. Nous avons alors découvert l’un comme l’autre que nous méprisions les gens de notre classe – le mépris est le pire sentiment que je puisse éprouver sachant que la haine ne m’atteint que très rarement. Nous avons alors découvert l’un comme l’autre que nous nous moquions tous les deux dans notre tête des gens qui la composaient, et cela pour les mêmes raisons. Constance et ses « fait trop ‘ièche ‘ », Julien et ses chemises « Country-Club », Raphaëlle et ses positions « fleur de lotus », tout était propice à moquerie. Et c’est pourquoi notre amitié reposerait jusqu’à la fin sur le cynisme.
Nous avons tous les deux choisi d’intégrer la même école de commerce à la fin de notre Prépa. C’est alors elle qui m’a hébergé le temps que je trouve un appartement, et c’est avec elle que j’ai assisté à la chute des deux tours jumelles. « Je peux pas y croire c’est comme dans un film c’est pas possible ! » C’est aussi avec elle que j’ai monté une liste du Bureau Des Elèves et que j’ai gagné les élections qui feraient de nous les stars de l’école. C’est également avec elle que j’ai dormi trois heures quarante-cinq en quatre jours et que j’ai pleuré en regardant Nolwenn chanter Piensa en mi avec Luz Casal bourrée. Mais c’est surtout avec elle que j’ai pleuré cinq heures au téléphone lorsque je lui ai avouée que j’aimais les garçons et que je me trouvais allongé de nuit sur une route de campagne. Ca marque ces choses-là. Parce que je l’aimais, Maggy.
Je parle d’elle au passé car Maggy et moi ne nous parlons plus. Nous prenons indirectement des nouvelles de l’autre par un ami commun et ça s’arrête là. Car l’amitié a ses frontières comme tout amour. Car l’amitié détruit un cœur comme toute relation. Car Maggy et moi nous nous aimions plus que de raison ; sans être un couple.
Et sans avoir la même conception de l’amitié.
J’ai longtemps hésité à écrire ces lignes car j’ai longtemps hésité à écrire son vrai prénom.
J’ai longtemps hésité à écrire ces lignes, même si c’est elle que j’ai voulu appeler en premier après l’avoir dit à ma famille.
Sans le faire.
Si ces mots lui parviennent, je pense qu’elle saura y lire quelque chose de bon. Parce que oui on peut rayer quelqu’un de sa vie mais il en reste toujours une trace. Et plus que les pincements au cœur quand je crois la revoir, restent en moi les ridules de nos fous rires. De beaux restes en somme, de beaux dégâts.
Aujourd’hui, seul reste d’elle mon pseudonyme. Car TacTac c’est elle.
Et c’est pour ça que je tenais à vous parler d’elle, à vous parler de Maggy.